Quand l'éphémère devient éternel: l'univers onirique de Shirine Geagea

Avec l’exposition Pas si éphémère que ça, l’artiste photographe Shirine Geagea nous invite à découvrir, jusqu’au 17 avril, un univers étrange et onirique à la galerie Takeover.
À l’appui, un processus artistique inédit inspiré du vécu traumatique de l’artiste lors de l’explosion du 4 août, quand passé, présent et futur ont volé en éclats dans l’absurdité du chaos. Blessée par les éclats de vitre et de verre, l’artiste prend soudain conscience de la fragilité de l’existence, celle de l’instant fatidique qui vient en effacer toute trace. Portée par l’instinct de survie, elle oppose au sentiment d’anéantissement et de finitude l’élan créateur, celui qui s’inscrit dans la durabilité.
À travers ses œuvres, installations et photos, Shirine Geagea tente de limiter les ravages du temps, de saisir la fugacité du moment pour en cristalliser la beauté éphémère. Pour cela, elle use d’une technique originale, une double intervention qui consiste à faire geler des fleurs dans un bloc de glace et à transformer ce support en représentation picturale. En photographiant les fleurs à travers la transparence de la glace, l’artiste parvient alors à capter l’infime poésie née de la subtile interaction entre élément aquatique et végétal afin d’en immortaliser toute la grâce. Par cette émouvante fusion, elle parvient à obtenir multiples formes abstraites et infinies nuances de couleurs. Par le biais du grossissement de l’image, l’artiste opère ainsi une métamorphose, faisant apparaître un univers interstellaire, cosmique ou utérin.

Grâce à cette étrange maïeutique où l’infiniment grand semble rejoindre l’infiniment petit, elle pousse le spectateur à s’interroger sur les origines du monde, le mystère de sa création. La photographe se transforme ainsi en magicienne, en démiurge, s’opposant au dieu Chronos lui-même pour arrêter la course du temps, en limiter les outrages. Par le biais de l’hibernation florale, l’artiste fige la nature dans sa splendeur infinie et glacée. Elle tente d’en saisir les moindres vibrations en capturant la tendre fragilité des pétales de roses, la douceur des nervures, le frémissement des corolles, la verte fraîcheur des feuilles. Elle nous donne aussi à en contempler la légèreté et fluidité de celle-ci, à en ressentir les moindres palpitations.

Par le titre même de l’exposition Pas si éphémère que ça, l’artiste incite surtout au débat, suscite le doute et les interrogations. Il est vrai que cette œuvre, si fascinante qu’elle soit, ne peut manquer de rappeler le spectacle glaçant des oiseaux empaillés ou des papillons cloués dans leur cadre. En effet, comment maintenir la vie dans l’immobilité sans contredire le principe de la vie même? Comment lui garder ce goût intense sans l’exacerber par le principe de finitude? Comment se laisser émouvoir par la rose sans cette fragilité, cette beauté éphémère qui nous appelle à vivre le moment dans son intensité?
Face à l’angoisse de l’inexorable fin, l’œuvre artistique continue heureusement à défier la marche du temps. Elle s’offre comme une promesse de renouveau et d’immortalité, celle de bourgeons non encore éclos, celle d’un monde en devenir. Quand la vie ne tient plus qu’à un fil, l’art antidestin permet ainsi grâce au processus créatif de renouer avec le cycle des saisons, de se reconnecter au flux d’énergie qui participe au renouvellement du monde, de se joindre à la danse de l’univers dans sa course perpétuelle.
Laissez-vous entraîner à votre tour dans cette quête romantique qui invite à savourer les délices d’une exposition au goût d’éternité et à murmurer à l’instar du poète: «Ô temps, suspends ton vol!»
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