Machiavel l’a dit, mais n’importe quel propriétaire de voilier le confirmera: «On peut commencer la guerre (ou prendre la mer) quand on veut, mais pas la finir de la même façon.» Ni rentrer au port quand on veut.
La guerre du Liban, déclenchée le 13 avril 1975, est toujours, de toute évidence, inachevée. Après Tayouné (14 octobre 2021) et Kahalé (9 août 2023), la mort de Pascal Sleiman, coordinateur des Forces libanaises dans la région de Jbeil, en est une nouvelle preuve. Sans la présence de cadres partisans conscients, sans une consigne claire venue des partis représentatifs des chrétiens, certaines régions du pays frôlaient la violence.
Pour Marwan Chahine, un Franco-libanais auteur d’un livre d’enquête sur le 13 avril 1975, à paraître en septembre aux éditions Belfond, «beaucoup de jeunes Libanais de tous les camps continuent de vivre, sans aucun recul, dans la mythologie de la guerre, la culture de l’héroïsme».
Chahine, dont l’ouvrage a été écrit après une dizaine d’années d’enquêtes ardues, se souvient clairement que certains de ceux qui ont fait le 13 avril 75 cherchaient «à régler des comptes remontant aux affrontements interlibanais de… 1958». «Est-il donc normal, s’interroge-t-il, de laisser les chabéb sans autre mémoire que celle du foyer familial ou de l’appartenance communautaire? Est-il sain de les laisser prendre goût aux barrages et se sentir en droit de faire la guerre?»
«Entre le pire et le moindre mal»
En politique, dit ailleurs Machiavel, «le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal». Certes, il est normal que la première chose qui vienne à l’esprit de Salim Sayegh, vice-président des Kataëb, quand on évoque le 13 avril, soit les termes «résistance libanaise». Mais, si l’on veut éviter la confusion et le surplace auxquels nous condamneraient des narratifs fragmentaires de l’histoire, ne faut-il pas que les consciences conflictuelles de ce qu’a été notre guerre civile soient confrontées et transcendées dans une vision de notre vocation historique commune?
La transmission de la mémoire est l’une des grandes missions de l’Éducation nationale. L’armistice de la Première Guerre mondiale (1914-18), signé entre les Alliés et l’Allemagne, est commémoré en France le 11 novembre, et son histoire est enseignée à l’école et au lycée. Dans le cadre d’un projet pédagogique, les élèves sont associés aux cérémonies organisées en hommage aux combattants et aux victimes de la guerre. Ce travail permet de rappeler que la mémoire des deux grands conflits mondiaux contribue à la construction d’une Europe fondée sur la tolérance et la paix.
Au Liban, donc, de reconnaître et de choisir ce qui constitue son patrimoine, de concilier des narratifs apparemment contradictoires et de transmettre ce patrimoine dans le respect d’un pluralisme bien compris. Nous sommes placés aujourd’hui dans une situation nouvelle et un regard critique sur notre passé est indispensable.
L’article «Deux négations ne font pas une nation» qui valut la prison à Georges Naccache, a été écrit en 1948. Il montre que, dès le départ, le pays a été mal pris en charge. Certes, le Liban de l’Indépendance s’est heurté aux aléas de l’histoire, et d’abord – il faudrait dire avant tout – à cet immense séisme qui s’appelle partage de la Palestine. Mais faut-il pour autant que la classe politique végète dans l’infantilisme et que ce soit un quintette qui nous biberonne l’avenir?
Ces remarques sont générales. Plusieurs personnalités comparent le délitement de l’autorité politique actuel à celui qui prévalait avant 1975. Le bombardement du Liban-Sud, qui contribue incontestablement à ce délitement, doit s’arrêter aussi vite que possible, si l’on veut prévenir un surcroît de désintégration et d’impunité collective.
Un guerrier repenti, Assaad Chaftari, jadis bras droit d’Élie Hobeika, ancien président des Forces libanaises, s’étonne dans un ouvrage, «La vérité, même si ma voix tremble», que les Libanais aient une date pour commémorer le déclenchement de la guerre de 1975, mais n’en aient pas une pour célébrer sa fin.
Un travail de réflexion et de mémoire de longue haleine doit être entrepris, de toute urgence, pour que la confiance soit rétablie entre les Libanais et que nous cessions, à chaque incident grave, de frôler la guerre civile... et de l’arrêter à la dernière seconde.
Lire aussi
Commentaires