Quand la guerre électronique met en danger l’aviation civile

Depuis le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre 2023, la sécurité de l’aviation civile à l’Aéroport international de Beyrouth est compromise et certains vols, déréglés. D’où proviennent ces perturbations et quelles seraient les solutions de rechange pour l’AIB?
L’avion est le moyen de transport le plus sûr, d’après les statistiques mondiales. Mais, alors que la guerre fait rage à Gaza, prendre l’avion à l’Aéroport international de Beyrouth (AIB) devient une aventure périlleuse.
En effet, depuis le déclenchement de la guerre entre le Hamas et Israël, le 7 octobre dernier, et l’ouverture, le lendemain, du front au Liban-Sud par le Hezbollah, l’espace aérien est mis en danger par la perturbation des signaux des systèmes de navigation.
Cette situation affecte dangereusement la sécurité de l’aviation civile. Pas plus loin que fin mars, un avion de la compagnie Turkish Airlines a rebroussé chemin, le pilote s’étant trouvé dans l’incapacité d’atterrir sur les pistes de l’AIB. La raison? Un brouillage des signaux du système de positionnement global (GPS).
Comment agissent ces perturbations et dans quel but, d’autant que ces phénomènes affectent également les systèmes de navigation en territoire israélien?
Une guerre électronique
La guerre électronique consiste souvent à brouiller les communications et les systèmes de navigation de l’ennemi, généralement pour interférer avec les drones et les missiles qui utilisent le GPS pour trouver leurs cibles.
Les systèmes GPS permettent au drone de se repérer via des signaux transmis par des satellites. À l’approche du sol, le signal est plus faible donc plus facile à brouiller.
Roland Abi Najem, consultant dans le domaine de la cybersécurité et la transformation digitale, explique à Ici Beyrouth qu’il existe deux types d’interférences sur les signaux GPS, le brouillage et le «leurrage».
Le brouillage (jamming), comme son nom l’indique, brouille le signal transmis par satellite. Résultat: le navigateur renvoie à différentes géolocalisations de manière simultanée. Cette perte de précision est directement détectable par l’utilisateur.
En revanche, l’usurpation ou «leurrage» (spoofing) est la transmission intentionnelle de faux signaux GPS, ce qui entraîne de fausses données de position ou de temps. Le but est de tromper l’utilisateur en le détournant de sa véritable position. Ce phénomène est plus difficile à détecter qu’un brouillage.
Dans le contexte des conflits guerriers, commençant par Gaza et le Liban-Sud jusqu’aux frappes qui secouent plusieurs pays dans la région du Moyen-Orient, l’État hébreu utilise le brouillage pour parasiter les drones et missiles guidés par GPS, envoyés vers ses territoires.
Par conséquent, les perturbations des signaux GPS sont devenues presque quotidiennes à l’AIB, depuis octobre dernier. Contactée par Ici Beyrouth, la direction de l’aviation civile n’a pas donné suite à notre requête.
Visualisation des signaux de brouillage GPS sur le site de GPSJam
L’État hébreu avait déjà activé, depuis le début de la guerre à Gaza, le brouillage et le «leurrage» dans le nord d’Israël, à la frontière avec le Liban. Mais, à la suite des développements régionaux, il a récemment étendu cette technique à tout le pays. De ce fait, les Israéliens eux-mêmes en pâtissent: le système de défense se retourne sur son utilisateur.
Entre technologie et politique
Les systèmes GPS font partie, parmi plusieurs autres, d’un ensemble de systèmes mondiaux de navigation par satellite, le Global Navigation Satellite System (GNSS). Ils sont créés par les États-Unis, allié numéro un d’Israël.

Visualisation des systèmes mondiaux de navigation par satellite. Source: mobatime.com
Dans ce cadre, M. Abi Najem, émet un constat important: «On ne peut utiliser la technologie créée par l’ennemi et croire qu’on peut en maintenir un parfait contrôle.»
En d’autres termes, «si le Hamas et le Hezbollah utilisent les systèmes de GPS développés et gérés par les États-Unis, ils ne devraient pas s’étonner de se voir surpassés et contournés par des technologies israéliennes toujours plus avancées, particulièrement grâce à l’intelligence artificielle», avance M. Abi Najem.
En l’occurrence, avant même l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier, une entreprise israélienne avait déjà produit une nouvelle technologie antibrouillage, destinée à protéger les drones de l’armée israélienne contre toute perturbation.
Cela montre que les projets de perfectionnement technologique sont toujours en cours, en temps de guerre effective ou pas. Si le Hamas a recours aux brouilleurs de signaux pour perturber les mini-drones israéliens, ceux-ci sont déjà immunisés.
Les solutions de rechange pour l’AIB
Tout cela est extrêmement dangereux, en particulier pour le trafic aéroportuaire. Cela soulève d’importantes questions sur les mesures de sécurité et de défense contre de telles menaces.
Les solutions de protection contre les attaques de brouillage et de «leurrage» existent bien. Il va sans dire que le coût de ces technologies est faramineux. Ils sont, de facto, hors de portée de l’État libanais.
En l’absence de techniques antibrouillage, la seule option qui s’offre à l’AIB est de s’appuyer sur les systèmes de navigation conventionnels, basés au sol. Le radar utilisé par les contrôleurs de la circulation aérienne ne dépend pas des satellites.
Ainsi, pour les pilotes de l’aviation civile contraints d’atterrir à l’AIB, il devient impératif d’utiliser des moyens de localisation alternatifs, à savoir les tours terrestres.
«Or les pilotes sont actuellement habitués à utiliser le GPS et ne sont pas nécessairement familiarisés avec les démarches conventionnelles, indique M. Abi Najem. C’est une grande responsabilité pour le pilote qui évite de prendre des risques à ce niveau.»
Le dernier exemple est bien celui de la compagnie allemande Lufthansa qui vient de prolonger jusqu’à fin avril la suspension de ses vols à destination et en provenance de Beyrouth.
Initiatives officielles
Le ministère des Affaires étrangères a chargé, le 22 mars dernier, la mission permanente du Liban auprès des Nations unies à New York de «déposer une plainte urgente au Conseil de sécurité de l’ONU concernant la perturbation, par Israël, des systèmes de navigation et de la sécurité de l’aviation civile dans l’espace aérien de l’AIB, depuis le début de la guerre à Gaza», selon le communiqué.
Cette démarche a été conduite sur base de la proposition du ministère des Travaux publics et à la demande du Conseil des ministres.
Pour sa part, le ministre sortant des Travaux publics, Ali Hamiyé, avait exhorté, le 5 mars dernier, l’Union européenne (UE) à «prendre des mesures drastiques afin d’éliminer la grave menace à la sécurité aérienne dans toute la région», en raison des interférences sur les systèmes de navigation, provoquée par Israël.
Ces démarches, comme tant d’autres, sont restées lettre morte.
Jusqu’à nouvel ordre, le Liban se trouve pris dans une sorte de triangle clos, avec pour sommets les avancées technologiques, les visées militaires et les intérêts politiques.
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