Le Metropolis renaît, ancré face au port de Beyrouth

Les salles du cinéma Metropolis regorgeaient d’un public fidèle. Une nouvelle année de programmation cinématographique était en cours. Le cinéma a été contraint de fermer ses portes en 2020, en pleine effervescence sociale, politique et économique. Aujourd’hui, grâce à la ténacité des combattants pour la culture et aux rêves des cinéastes, un espace innovant sera construit à Beyrouth, face au port, afin de regrouper institutions, artistes, chercheurs, étudiants, cinéastes et amateurs de cinéma.
La révolution et la crise de 2019 ont eu un impact direct sur le Metropolis. La fermeture définitive a eu lieu en janvier 2020 à cause de la vente du cinéma. Pendant la Covid, dès que la situation sanitaire le permettait, Metropolis organisait des séances de cinéma dans des lieux divers. Puis l’explosion au port de Beyrouth, en 2020, a soulevé de nombreux questionnements au sein de l’équipe.
À la question «pourquoi maintenant et pourquoi construire le Metropolis en tant que lieu fixe?», Hania Mroue, directrice et fondatrice de l’Association Metropolis, répond: «En dépit des circonstances, personne n’envisageait de quitter le Liban ni de changer de métier. La mission de Metropolis, celle de créer un lieu pour le cinéma indépendant, s’est imposée comme une évidence. Fin 2020, nous avons activement entrepris nos recherches et mené une étude de faisabilité sur une quarantaine de lieux de toute sorte: écoles fermées, hangars, usines abandonnées, maisons anciennes... Nous voulions up-cycler, sans ajouter du béton à Beyrouth qui suffoque déjà. Le loyer était fluctuant face à l’inflation de la livre libanaise, aussi l’engagement à long terme était inestimable. Une aide précieuse, parmi celles des donateurs qui nous ont soutenus depuis le début, nous est venue de l’ambassade de France et du CNC. Nous avons acheté le matériel technique nécessaire grâce, aussi, à nos 18 ans de programmation et de crédibilité. À défaut de lieu, nous sommes tombés par hasard sur un terrain mis à notre disposition pour une longue durée. Dans un moment de folie absolue, l’idée m’est venue de construire... une tente! Pour une personne qui fait du cinéma, l’idée de construction paraissait simple. Heureusement, nos partenaires y ont cru aussi.» Pour Hania Mroue, bâtir un lieu fixe, face au port, signifie aussi, symboliquement, être ancré, «sinon on serait déraciné. L’architecte Sophie Khayat nous a énormément aidés dans la conception du projet.» Cette dernière ajoute: «Le hangar placé sur le terrain constitue un rempart par rapport à l’autoroute. Cet atout acoustique renforce notre empreinte environnementale. Les espaces connectés encouragent les rencontres et les échanges culturels. Les jardins offrent une dimension écologique… La légèreté est aussi un facteur important pour démonter éventuellement le bâtiment dans l'avenir… »


Quant aux liens fidèles de Metropolis avec le passé et au pont avec l’innovation, Hania Mroue atteste: «Ce projet s’inscrit dans la continuité du Metropolis, qui existe depuis 2006 en tant que première salle de cinéma indépendant du monde arabe. Ce moment relève d’une certaine maturité, parce que ce sera le troisième lieu que nous exploiterons; de notre première salle, le Saroulla, en passant par la Sofil... nous avons construit notre réseau de confiance au fil de ces dix-huit ans, mais aussi gagné un public fidèle et curieux, dans un contexte d’instabilité politique, sécuritaire et financière. Le Metropolis a, en effet, ouvert ses portes le 11 juillet 2006, un jour avant la guerre. Nous évoluerons en coexistant avec le bouillonnement national et international... Les regards se tournent vers le Global South, un courant cinématographique à mettre en relief; en Afrique, en Amérique Latine.»
Parlant de la décentralisation d'activités tout au long du projet, elle explique: «Depuis 2021, nous avons dû chercher des lieux aptes à se transformer temporairement en salles de cinéma; l'esplanade du musée Sursock, le jardin d'un hôtel du Chouf, un café à Tripoli, la magnifique salle Ishbilia à Saïda…» Quant à l'archivage du patrimoine national, Hania Mroue affirme: «Nous avons lancé en 2015, à Beyrouth, une cinémathèque virtuelle afin de préserver la mémoire collective. Elle s'est transformée en un lieu physique, à Mar Mikhael. Cinémathèque Beyrouth est notre version IMDb, spécialement conçue pour le cinéma libanais, qui comprend les films de l’âge d’or…». Sophie Khayat intervient: «Nous avons créé des “creux” en dessous ou près des salles. L’un d'eux deviendra la nouvelle cinémathèque.» Ainsi, la vision de Metropolis se reflète dans cet espace architectural. «Dans cette structure légère, écologique, prête à recevoir par la suite des panneaux solaires, nous avons accompli des prouesses techniques inégalables, inventées pas à pas avec ingénieurs et consultants. Le rapport de l’ingénieur acoustique Fouad Bechwati a confirmé que le son est le plus clair qu’il ait jamais perçu durant son parcours.» Quant au choix des couleurs et de la forme, Sophie Khayat répond: «Nous avons opté pour des couleurs neutres qui refléteront la verdure. Deux couloirs “rouge Metropolis”, conduiront graduellement aux salles de cinéma où sont maniées les couleurs. Le côté industriel de la structure métallique est équilibré par la douceur d’autres matériaux: tissu, bois, lumières et formes, afin de garder le côté humain.» Hania Mroue insiste sur la simplicité des salles «accueillantes et accessibles» du Metropolis, loin du luxe des salles d’aujourd’hui, «pour que les gens se sentent à l’aise, quel que soit le public.»
En pleine effusion de festivals, Metropolis conserve un cachet unique. «Nous nous sommes demandé si ces nouvelles initiatives, tout en étant une évolution naturelle, remplaçaient notre projet et s’il était temps pour nous de passer à autre chose», dit Hania Mroue. «Nous nous sommes finalement rendus à l’évidence: Metropolis n’est ni un festival ni un organisateur d’événements, mais une adresse, un lieu inspirant et permanent de rencontres soutenant le cinéma indépendant. Notre projet est de longue haleine: on croit en ce pays et on y reste. Un message aux jeunes qui ne veulent pas émigrer: “On est avec vous”.»
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