L’éditorial – «Indignations sélectives»

Ces centaines de jeunes qui ont investi ces derniers jours de nombreux campus aux États-Unis et dans certains pays européens, en y implantant des tentes, suivant un même scénario – qui n’est pas sans rappeler l’occupation du centre-ville de Beyrouth en 2006 par le Hezbollah et ses acolytes locaux – ces jeunes, donc, sont inconsciemment «l’arbre qui cache la forêt». En apparence, l’objectif de ce mouvement de contestation est de stigmatiser les bombardements meurtriers israéliens à Gaza et de réclamer l’émergence d’une «Palestine libre». Attitude, certes, louable et noble, voire envoûtante, sur le plan du principe… Mais à y regarder de plus près, on en vient à se demander s’il n’y aurait pas quelque part anguille sous roche au niveau des circonstances qui entourent cette subite vague propalestinienne. Il est difficile, en effet, dans le contexte présent, de ne pas soulever plusieurs interrogations fondamentales…
La guerre de Gaza dure depuis sept longs mois… Les développements les plus meurtriers et les plus durs ont eu lieu durant les premiers mois du conflit sans susciter pour autant une quelconque réaction. Comment expliquer donc l’apparition de ce soudain mouvement de contestation qui s’est étendu de manière concomitante, en l’espace de quelques jours, à de nombreux campus américains et européens, suivant un scénario quasiment identique dans les différentes universités: installation de tentes; sit-in prolongé; apparition de drapeaux partisans du Hamas et du Hezbollah; slogans et banderoles ayant quasiment un même contenu?
Les réseaux sociaux ont joué, à l’évidence, un rôle-clé de catalyseur, comme cela est le cas dans de pareilles circonstances. Mais, pour initier aussi rapidement une telle extension du mouvement en un court laps de temps dans plusieurs pays, sur de multiples espaces universitaires et dans des conditions aussi similaires, deux conditions doivent être remplies: une synchronisation et une centralisation des directives permettant d’organiser de manière concomitante les actions de protestation; et, surtout, un financement global et exhaustif du vaste mouvement, d’autant que de nombreuses tentes ont fait subitement leur apparition sur plusieurs campus.
La question qui se pose à cet égard est de savoir quelle est la force occulte qui aurait synchronisé et financé cette fronde, et dans quel but véritable. Les hypothèses vont bon train sur ce plan. D’aucuns établissent un lien avec la prochaine élection présidentielle américaine, le but étant de provoquer un courant d’opinion susceptible de faire pencher la balance lors du scrutin de novembre. D’autres analystes pointent en outre du doigt des Services étrangers, notamment russes ou iraniens, dont les desseins de déstabilisation n’échappent à personne…
Nombre d’observateurs crieront au complotisme aigu face à de telles supputations. Pourtant, certaines questions essentielles méritent d’être posées. Le Premier ministre français, Gabriel Attal, a dénoncé (à juste titre), à ce propos, dans sa dernière intervention devant l’Assemblée nationale, «les indignations sélectives». Pourquoi, à titre d’exemple, aucune réaction d’envergure n’a jamais été enregistrée à la suite des massacres perpétrés par le régime syrien contre la population civile, laquelle a plus particulièrement pâti de l’utilisation intensive par le pouvoir d’armes chimiques et de barils d’explosifs?

Comment expliquer aussi le mutisme total qui entoure la répression sauvage et meurtrière à laquelle se livrent les pasdaran iraniens contre la jeunesse et la population d’Iran, notamment les femmes et les jeunes filles qui sont jetées en prison, fouettées, torturées, violées et battues jusqu’à ce que mort s'ensuive, et dans certains cas pendues, uniquement parce qu’elles refusent de porter le voile ou parce qu’elles chantent et dansent en public? Sans compter l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec toutes ses conséquences et ses retombées sur le plan humanitaire. La liste sur ce plan risque d’être longue…
Les partisans de l’axe obscurantiste rétorqueront sans doute qu’il s’agit dans les cas de la Syrie et de l’Iran, pour ne citer que ces deux exemples, de conflits internes. Admettre cette logique reviendrait à dire qu’un régime répressif et meurtrier a le droit, sans être interpellé, de massacrer et d’opprimer sauvagement son propre peuple. Il serait ainsi tolérable et «légitime» qu’un pouvoir sanguinaire, comme celui en place à Damas, se livre à une lutte acharnée contre sa population, faisant des centaines de milliers de morts et poussant à l’exil forcé plusieurs millions de ses citoyens. L’indignation dans ce cas n’est donc pas de mise! De même, et suivant cette même logique, les Gardiens de la révolution au pouvoir à Téhéran peuvent impunément tirer dans le tas sur des manifestants et imposer manu militari un mode de vie qui plonge les civils, notamment les femmes, dans une atmosphère obscurantiste des plus rétrogrades.
Les droits humains suscitent ainsi des «indignations sélectives» lorsque les Palestiniens sont en jeu, mais ils sont totalement occultés lorsque les civils syriens et iraniens sont victimes par centaines de milliers d’une politique de répression sauvage et sanglante, ou lorsque la population libanaise se voit imposée une guerre dont elle n'a nullement cure. Les droits humains seraient par conséquent sélectifs (pour reprendre le terme de Gabriel Attal) et ne seraient donc pas porteurs des mêmes valeurs selon que l’on est victime de politiques pratiquées par des étrangers ou des concitoyens!
Notre propos ne vise nullement à banaliser les épreuves endurées par la population de Gaza… Mais il est sans doute grand temps d’arrêter la vile exploitation de la cause palestinienne pour atteindre des objectifs totalement étrangers au problème de base. Il est grand temps de mettre fin aux vaines gesticulations médiatiques – aussi enivrantes soient-elles – ainsi qu’aux diaboliques manœuvres géostratégiques auxquelles se livrent des décideurs très peu soucieux du sort des Palestiniens…
Il est grand temps de mettre un terme à la stratégie de l’irrationnel qui ne fait que plonger depuis des décennies les populations du Proche-Orient dans des guerres entièrement stériles, dans des conflits armés sans fin, sans horizons, sans qu’aucun règlement rationnel, pragmatique et durable puisse poindre à l’horizon. Il est grand temps de cesser de faire «la guerre pour la guerre» en cherchant à envoûter sa jeunesse et sa population par le biais de slogans trompeurs et démagogiques dont la seule fonction est de camoufler de manière insidieuse les véritables desseins hégémoniques de ceux qui sont aux commandes.         
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