Que reste-t-il de nos accords commerciaux?

Mine de rien, et sans l’annoncer, on a raté notre amarrage à l’Europe, à défaut d’en faire partie. C’était pourtant une belle perspective pour un tas de raisons: l’Europe est notre première source commerciale et culturelle, le premier bailleur de fonds pour nos administrations déglinguées et pour nos ONG, un modèle de modernisme, de démocratie, de civilisation, et une source potentielle inépuisable d’investissement.
L’alternative serait de «se diriger vers l’est», comme le préconise Hassan Nasrallah. Ce qui est normal, car le sayyed est de tout temps allergique à la démocratie, au modernisme et à la culture (de la vie). Cela ne l’empêche pas de dépendre de l’Occident pour ses équipements jihadistes et personnels. Mais, en fin de compte, on n’est allé nulle part – sauf de bunker à bunker.
Premier signe de l’amarrage souhaité, mais raté avec l’Europe: l’accord de libre-échange Euromed. On a mis des années à le négocier et on a obtenu des avantages certains, grâce au regretté Bassel Fleihan, alors négociateur en chef.
Ces accords nous permettent, entre autres avantages, d’exporter librement la plupart de nos produits agricoles et industriels vers les 27 pays de l’Union et ses 450 millions d’habitants. On y ajoute un accord parallèle avec les quatre pays de l’Association européenne de libre-échange (la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein), puis avec le Royaume-Uni. Tout cela à condition de respecter les normes européennes, et que ces produits soient réellement d’origine locale, c’est-à dire qu’au moins 40% de la valeur ajoutée soit libanaise ou libano-européenne.
Une fois les accords conclus, on a fait en sorte de ne pas en profiter, ou si peu. D’autres partenaires de l’espace Euromed ont fait beaucoup mieux, comme la Tunisie, la Jordanie ou l’Égypte. Malgré l’accord, nos exportations vers l’Europe n’ont jamais connu une augmentation substantielle. Et ce, malgré l’assistance technique européenne, à travers le programme Elcim pour la mise à niveau de l’industrie, les plans en faveur de notre agriculture, ou Libnor, le programme de standardisation. Les investissements européens ne furent pas au rendez-vous non plus, en raison de notre environnement déplorable.
Il est vrai que la plupart de nos producteurs, de leur côté, n’ont pas fait ce qu’il faut pour. C’était plus commode pour eux de rester dans leur «zone de confort», celle des clients habituels du Golfe, où ils ont des connexions tissées depuis des décennies. Alors que les centrales d’achat en Europe sont plus difficiles d’accès. Ils ont eu tort. D’ailleurs ceux qui ont misé sur l’Europe ont été gratifiés.
Mais pourquoi le marché européen est plus intéressant? Il y a bien sûr ces accords de libre-échange, ouvrant la voie à ces centaines de millions de consommateurs à bon pouvoir d’achat. Il est vrai qu’on a aussi un accord de libre-échange panarabe. Mais il faut voir la réalité en face: ça ne marche pas très bien. D’abord, les pays arabes ne se conforment pas toujours aux stipulations de l’accord. C’est aléatoire, ça dépend des cas, de la politique, de l’humeur d’un ministre, des élans de protectionnisme occasionnels…

Prenons l’exemple de l’Arabie saoudite. Grâce au Captagon du Hezbollah, ses marchés se sont fermés devant nos producteurs. On a mauvaise figure de parler de mal de ce pays, et des pays du Golfe en général qui ont historiquement soutenu notre économie, par des dons, des crédits, des investissements et des milliers de touristes.
Il n’en reste pas moins qu’aucun pays européen n’aurait décrété un embargo sur l’ensemble de nos produits, rien parce qu’une cargaison contenait des stupéfiants. D’ailleurs, des tentatives de contrebande de drogue sur le marché européen, il y en a tous les jours, venant de tous les pays. Ce n’est pas pour cela que l’Europe se ferme au commerce avec la Colombie, la Bolivie ou le Panama.
Enfin, on est en train actuellement de passer à l’étape suivante, celle de prendre le risque de bousiller les bases de cet accord Euromed. Signe tout récent: la réinstallation des droits de douane sur l’ensemble des produits importés (3%) et sur les produits qui ont un équivalent au Liban (10%), selon le budget 2024. Alors que les accords déjà conclus ne le permettaient pas.
Les autorités européennes auraient dû normalement s’offusquer, puis prendre des mesures de représailles. Or, du moins publiquement et jusqu’à maintenant, cela n’a pas été le cas, probablement par compassion pour ce pays qui s’enlise, qui n’arrive pas à se gouverner, qui ne sait pas déchiffrer trois pages, et qui n’a même pas un interlocuteur crédible avec qui parler. Mais une réaction négative peut aussi arriver à tout moment.
Au milieu de tout ça, on peut toujours trouver un aspect comique à cette histoire, grâce à nos politiciens qui ne manquent aucune occasion pour arborer leur côté ridicule. Sur ce sujet, ne voyant pas où est le problème, vous trouverez toujours quelqu’un qui vous sortira: «Les États ne sont pas des organisations caritatives; quand ils font des accords, ils pensent surtout à leurs intérêts propres.»
Puis il se démène pour diffuser cette perle partout, la lira quinze fois dans le journal du lendemain, tout fier d’avoir ainsi découvert une nouvelle planète dans notre système solaire.
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