Ce serait utopique, voire un tantinet naïf, de prôner l’établissement d’un État de droit au Liban à l’ombre des circonstances présentes, alors que le pays et l’ensemble du Moyen-Orient sont en pleine mutation. Mais est-ce trop demander, pour autant, que les Libanais puissent aspirer, au moins, à ne pas être soumis à la loi de la jungle, au règne du mépris et de l’absurde qui verse dans le risible et le grotesque? En peu de mots, est-ce trop demander qu’ils ne subissent pas dans leur quotidien la règle du «n’importe quoi»?
Cette interrogation se justifie par deux faits notables survenus ces derniers jours sur la scène locale: la nouvelle fronde de la magistrate Ghada Aoun et la petite phrase lancée, sur un ton des plus arrogants, par un ténor du tandem Hezbollah-Amal concernant les indemnités que le gouvernement devrait verser aux familles des «martyrs» tombés au Liban-Sud.
Dans une déclaration à une chaîne locale, le haut responsable chiite a souligné, dans un mépris répugnant à l’égard des Libanais et de toutes les factions politiques locales, que «le gouvernement a le devoir sacro-saint d’indemniser les familles des martyrs et des habitants du Liban-Sud, que cela plaise ou non à certains»! En clair, cela revient à dire, implicitement: «Le pays nous appartient exclusivement, nous agissons à notre guise, vous assumez les conséquences de nos actes, que vous le vouliez ou pas. Personne n’a droit à la parole!»
Le Hezbollah décide ainsi de manière unilatérale de rouvrir le front avec Israël, après 18 années d’accalmie totale, et d’entraîner le pays dans une guerre dont les Libanais n’en ont cure, dans leur écrasante majorité… Prétexte invoqué: diminuer la pression militaire sur le Hamas à Gaza. Le Hezbollah veut faire croire qu’il vole au secours du Hamas, alors qu’il y a quelques mois il canardait les miliciens de cette même formation fondamentaliste sunnite dans le camp de Yarmouk et dans les rues de Damas ou d’autres localités syriennes.
Nul n’est évidemment dupe du prétexte affiché publiquement par le parti chiite pour justifier sa nouvelle aventure guerrière. L’objectif inavouable est à n’en point douter de permettre à la République islamique iranienne de renforcer son emprise au niveau de la carte libanaise – en plus du Yémen, de l’Irak et de la Syrie –afin uniquement de s’imposer comme acteur incontournable et majeur sur l’échiquier moyen-oriental.
Près de 400 cadres et miliciens du Hezbollah ont été tués dans cette confrontation armée avec Israël, cent mille habitants du Sud ont été contraints à l’exode, des villages et des milliers d’habitations ont été détruits, les dégâts dans le secteur agricole sont incommensurables, les pertes dues à cette guerre initiée par le régime des mollahs sont estimées à non moins de 10 milliards de dollars, à en croire une source ministérielle… Le tout pour servir exclusivement les ambitions hégémoniques de la République islamique. Et, cerise sur le gâteau, la formation pro-iranienne demande que ce soit le gouvernement libanais, et donc le contribuable, qui paye les frais de «la guerre des autres» alors qu’il n’a nullement été consulté à cet égard et que l’opportunité de cette confrontation n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable… Une «logique» qui reflète un inqualifiable mépris et qui entretient la prééminence de la loi de la jungle.
Le mépris et la loi de la jungle sont également au rendez-vous dans l’affaire Ghada Aoun. Sans se contenter de faire fi du devoir de réserve que doit respecter tout magistrat en fonction et de l’obligation à ne pas afficher une quelconque allégeance à une formation partisane, Mme Aoun se plait aussi à bafouer, sans aucun scrupule, toutes les décisions de ses supérieurs hiérarchiques. Prétexte invoqué pour justifier cette insubordination: sa détermination à mener une guerre totale contre la corruption, alors même qu’elle ne cache pas son alignement sur un courant politique dont le chef est sanctionné par l’administration américaine pour… corruption! Pire encore: sa chasse aux sorcières a bénéficié à un parti – le Hezbollah – qui est, par essence, l’antithèse de la souveraineté et de l’indépendance du Liban qui furent pourtant le slogan fondateur du courant qu’elle ne cesse de soutenir. Le règne de l’absurde fortement risible et du mépris dans tout ce qu’il a de plus répugnant…
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