Les scènes se répètent à l’identique, les scénarios se reproduisent sur l’ensemble des fronts, les accusations et les contre-accusations fusent de toutes parts. On a l’impression que ce conflit s’éternise en l’absence d’un horizon politique. Ce schéma n’est pas fortuit, il se structure aux interstices d’un ordre régional éclaté, d’une scène palestinienne entièrement phagocytée par la politique de puissance iranienne, d’un Liban en état de désagrègement avancé, d’un Israël en butte à des défis stratégiques majeurs et pâtissant de fractures idéologique et politique. Autrement, les États Unis sont, d’ores et déjà, projetés dans les élections présidentielles avec des lests conflictuels lourds et des intérims politiques de plus en plus difficiles à gérer.
Entre-temps, le régime iranien aux abois cherche à se défaire de ses crises structurelles en propulsant des dynamiques conflictuelles tous azimuts. De surcroît, la guerre d’Ukraine se prolonge dans une Europe en pleine période électorale où des choix stratégiques se jouent et remettent en cause les consensus qui ont prévalu jusqu’à lors: la problématique de l’Europe des nations et de l’Europe fédérale se posent plus que jamais sur fond de débats substantiels de société. Les résultats des élections européennes mettent en relief la montée des droites souverainistes et le rejet express des politiques velléitaires sur lesquelles surfent les islamistes et les mouvances de la gauche altermondialiste et woke. C’est une remise en cause non pas du projet européen mais de ses dérives bureaucratique et antidémocratique, ainsi que de la culture politique qui n’a cessé de prôner la thèse de l’«Europe sans identité» (Europa ohne Identität, Bassam Tibi, 2016).
Les conflits du Proche-Orient s’articulent sur un arc de conflit triangulaire regroupant Gaza et les territoires palestiniens, le Liban et la Syrie qui servent conjointement de plateformes à la stratégie de subversion iranienne. Il est impossible, d’un point de vue stratégique, de séparer les enjeux qui s’y déploient. Gaza demeure prisonnière des clôtures idéologiques et stratégiques assignées par la politique de puissance iranienne, le règne de la terreur du Hamas se poursuit via la stratégie des boucliers humains et ses drames répétés, en plus de la détermination à vouloir perpétuer les engrenages conflictuels quel qu’en soit le coût sur le plan humain.
Le carnage au quotidien est délibérément recherché dans le cadre d’une dynamique conflictuelle qui se ressource dans de multiples conflits internationaux et régionaux (la nouvelle guerre froide, les guerres civiles régionales, entre autres). Comment peut-on briser ce cercle vicieux intentionnellement conçu en vue d’entretenir des conflits de longue durée? La proposition du président Biden bute sur des irrédentismes, d’ordre idéologique et stratégique, peu enclins à des règlements consensuels: le Hamas cherche à restituer le statu quo ante comme si de rien n’était, alors que les Israéliens, en dépit de leurs différends politiques et stratégiques, sont taraudés par les enjeux sécuritaires du 7 octobre 2023.
Le contexte libanais et ses prolongements géostratégiques du côté de la Syrie font partie de la même constellation sécuritaire et ressortent des mêmes considérations que Gaza. Il s’agit, en réalité, de la même mouvance qui requiert une approche intégrée et entièrement coordonnée. On a affaire à des menaces sécuritaires et stratégiques identiques qui se déploient sur des théâtres opérationnels multiples. Le Liban, à l’instar de Gaza, est un pays otage dont se sert le régime iranien afin d’asseoir une politique de subversion qui vise non seulement des changements de courte durée, mais des recompositions géopolitiques et démographiques qui préparent des mutations de grande envergure.
La politique du chaos en cours au niveau régional relève d’un dessein politique intentionnel qui rend compte de cet écheveau de politiques de terreur, de criminalité organisée et d’intoxication idéologique et informationnelle qui obturent les espaces de communication. La vie politique libanaise n’est que théâtre d’ombres où s’effectuent la destruction effective de la vie démocratique et la subversion des canons historiques et anthropologiques qui l’ont rendue possible. Le prolongement syrien n’est que le terrain opérationnel adventice qui devrait suppléer à la politique de subversion d’ensemble inaugurée en octobre 2023.
La question qui se pose à la suite de la récapitulation cursive des enjeux est la suivante: comment peut-on contenir les politiques de subversion en cours en l’absence d’un nouveau rapport de force qui mettrait fin aux dynamiques en cours et redonnerait à la diplomatie, dans ses déclinaisons multiples (étatique et sociétale), la possibilité de se substituer aux débridements de la violence nihiliste qui régente la vie politique dans cette partie du monde? Une diplomatie des conflits gelés, une gestion des abcès de fixation et des conflits reportés ne sont plus seulement non souhaitables, mais surtout non viables.
Les solutions expéditives ou de remédiation temporaire sont aporétiques et renvoient aux non-dits et aux archaïsmes qui ont structuré la psychologie collective et ses intemporalités. La diplomatie n’aura d’effectivité que le jour où elle sera à même de changer la donne et d’infléchir le cours de l’événement politique. Or on en est loin, il n’y a que le changement des rapports de force et les mutations politiques pour mettre fin à la violence nihiliste: la fin du régime iranien et la destruction de ses relais opérationnels sont des passages incontournables.
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