À quinze jours des élections générales anticipées au Royaume-Uni, le parti conservateur au pouvoir n'a jamais été aussi affaibli. Il joue aujourd’hui sa survie. Ce constat alarmant est révélé par divers sondages qui non seulement prédisent une victoire écrasante de l'opposition travailliste mais annoncent également l'implosion des conservateurs qui obtiendraient un nombre de sièges humiliant, le plus bas depuis la création du parti.
Selon les projections les plus pessimistes, le Daily Telegraph, un journal de droite, ne prévoit que 53 sièges pour les conservateurs, contre 516 pour les travaillistes. Bien que d'autres instituts de sondage indépendants ne corroborent pas de tels chiffres, ils indiquent néanmoins une tendance anticonservatrice marquée au Royaume-Uni après quatorze années au pouvoir. Peut-on affirmer avec certitude que le chef de l'opposition travailliste, Sir Keir Starmer, émergera victorieux et sera nommé Premier ministre le 5 juillet prochain? Peut-on réellement dire que les conservateurs sont au bord de l’annihilation?
Il est extrêmement probable, voire quasi certain, que l'opposition travailliste sortira de ces élections largement victorieuse, avec une super-majorité écrasante au nouveau Parlement. Le roi Charles III devrait alors nommer Sir Keir Starmer au poste de Premier ministre du Royaume-Uni le 5 juillet au matin. Pour cela, les travaillistes devraient obtenir une majorité absolue (qui leur est quasi attribuée), soit 326 sièges. Avec de nombreux sondages fiables qui s'accordent sur des chiffres quasi similaires (à l'exception de celui du Daily Telegraph), prévoyant entre 90 et 150 sièges pour les conservateurs dans le meilleur des cas, rien ne présage une quelconque victoire conservatrice à l'horizon.
Un sondage réalisé par la chaîne britannique Sky News prédit 108 sièges pour les conservateurs contre 425 pour les travaillistes, surpassant même la plus large majorité travailliste obtenue par Tony Blair en 1997. Dans le meilleur des cas, selon la même source, les conservateurs arracheraient 150 sièges. Mais qu’est-ce qui justifie ce résultat des plus humiliants?
La défaite écrasante très probable aux élections générales anticipées du 4 juillet prochain se justifie par plusieurs facteurs. Le premièr serait le bilan des quatorze dernières années d'une gouvernance conservatrice, marquée par des scandales à répétition et par le tumultueux mandat de Liz Truss. À cela s'ajoutent les crises mondiales successives, notamment la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Si cet aspect explique en grande partie une défaite électorale imminente, il ne prend toutefois pas en compte la globalité des facteurs ayant contribué à l'érosion de la confiance publique envers le Parti conservateur.
Une deuxième explication serait une faute de calcul dans la stratégie électorale adoptée par le Premier ministre lorsqu’il a fait son choix. On s’accorde à dire que la décision de Rishi Sunak d’appeler à des élections anticipées supposait que les améliorations économiques substantielles introduites pourraient changer la donne. D’ailleurs, en début de semaine, la Banque d’Angleterre a annoncé que l’inflation annuelle avait atteint l’objectif fixé des 2%, originellement prévu pour fin 2025. De plus, bien que les taux d’intérêts demeurent stagnants, ils sont donnés à diminuer dans les mois, voire les semaines à venir. Enfin, au niveau de l’immigration clandestine, M. Sunak misait sur l’adoption du projet de loi dit «Rwanda Bill», après des mois de tergiversations visant à déporter tout immigré clandestin vers le pays africain, le but étant d’avoir un effet dissuasif.
L’erreur de calcul inclut également le choix d'une longue campagne électorale de six semaines, alors que le Premier ministre aurait pu se contenter de la durée minimale stipulée par la Constitution, soit vingt-cinq jours.
Le 22 mai, jour où le Premier ministre a fait l'annonce choc de la convocation d’élections générales anticipées, certains députés conservateurs ont remis en question la décision de M. Sunak de mener une longue campagne.
Un député en particulier a estimé, lors d'une interview accordée au Times of London, que le choix de M. Sunak mettait en danger le parti et minimisait toute chance d'inverser la tendance. Ce dernier a également rappelé que les campagnes électorales de l'ancienne Première ministre Margaret Thatcher, perçue comme une icône du Parti conservateur et symbole de sa gloire passée, ne dépassaient pas les trois à quatre semaines lors des trois élections successives qu'elle a remportées. Cela est apparu, pour cette stratège politique hors-pair, comme la décision la plus ingénieuse. L’histoire ainsi que l’actualité lui ont donné raison.
Avec les conservateurs à la traîne derrière les travaillistes dans les sondages depuis des mois, M. Sunak espérait clairement qu'une longue campagne offrirait à son parti plus de temps pour se redresser et combler l'écart avec les travaillistes. Cependant, il semble que l'inverse se soit produit. À mesure que la campagne se poursuit, avec encore deux semaines avant le jour J, les sondages suggèrent des pertes de plus en plus importantes pour les conservateurs, et non des moindres.
Lors des élections municipales d'avril dernier, qui avaient abouti à une défaite des conservateurs, Sky News avait publié une projection encourageante pour le gouvernement sortant en vue des prochaines élections législatives. La chaîne britannique avait prédit une majorité relative pour le Parti travailliste à Westminster, les conservateurs n'étant pas loin derrière.
De plus, il y a à peine quinze jours, le Daily Mail avait publié un nouveau sondage, validé par le Daily Telegraph et le Times of London, plaçant les conservateurs à seulement 12 points derrière les travaillistes, alors que tous les autres sondages les donnaient à au moins 20 points d’écart.
Face à ces sondages encourageants, Sunak a manifestement cherché à capitaliser sur un vent favorable pour son parti, tentant tant bien que mal d'inverser la tendance, mais sans succès significatif. Il a également misé sur le manque de charisme du leader de l'opposition travailliste, Sir Keir Starmer, ainsi que sur l'absence de clarté de son programme électoral. Sunak a ainsi proposé plusieurs débats télévisés successifs qui ont mis en lumière le manque de convictions réelles et l'absence de plan clair chez les travaillistes.
Cependant, deux facteurs inattendus ont affaibli Sunak. Le premier: le scandale de son départ accéléré des commémorations du débarquement en Normandie, le positionnant comme leader non crédible à l’international. Le second et le plus notable: la montée significative dans les sondages du parti Reform UK – parti dissident de l’aile d’extrême droite du Parti conservateur – et de son leader Nigel Farage qui est donné à 12%, dont une grande partie des voix sont normalement attribuées aux conservateurs.
Donc, est-ce trop peu, trop tard pour les Tories? Il semble que la réponse soit désormais claire: oui.
La question qui se pose aujourd'hui n'est plus de savoir si les conservateurs vont perdre les élections générales du 4 juillet prochain, mais plutôt de déterminer si le parti est véritablement au bord de l'annihilation. Si l'annihilation se définit littéralement comme la destruction totale de quelque chose, le faisant disparaître complètement de l'existence, les sondages semblent indiquer que les conservateurs s’y orienteraient. Alors que les chances de changer le cours des prochaines élections relèvent presque de l’impossible, le scénario le plus favorable pour les conservateurs serait d’essayer de remporter le maximum de sièges possible, seulement pour réduire l'écart et atténuer une humiliation imminente.
Lire aussi
Commentaires