Michèle Sayegh Naja signe son roman «Juste retenir la vie»

Peintre et auteure, Michèle Sayegh Naja signe son premier roman, Juste retenir la vie, né au sein de Beyrouth. La signature aura lieu à Arthaus Beirut, Gemmayzé, le mercredi 26 juin à 17h.
À la suite de l’explosion du port de Beyrouth, Michèle Sayegh Naja cherche à apprivoiser des petits riens du passé. Son roman, Juste retenir la vie, décrit le rôle joué par le silo du port et quatre personnages féminins dans une singularité de cheminement et dans leur combat de trop. Comment survivre à la peur dévastatrice en faisant semblant d’être heureux? «Quel énorme gâchis! Que sont devenus mes rêves?», écrit l’auteure. «La littérature lui promet que tout ira bien, que la vie est belle, et qu’elle doit apprendre à vomir le non-dit dans lequel elle a grandi», peut-on aussi lire dans le livre.
De page en page, les mots de Michèle Sayegh Naja se dessinent comme une peinture, noir sur blanc. Telle une archéologue, elle fait ses fouilles dans un passé disloqué. Le monde des êtres qu’elle décrit s’ouvre aux lecteurs au fil d’un style imagé. Cette description retrace les petites histoires pas à pas, et s’accroche aux gestes et aux souffles. De l’instant séparateur qui partage les vies en un passé et en un présent, l’auteure retient la vie. Elle va sur la trace des erreurs inéluctables et des moments d’insouciance qui font chavirer. «Ce rire crève l’inquiétude, remplit le four longtemps éteint, remplit les placards», écrit-elle. Elle remodèle la culpabilité humaine en un élan de vie transcendantale au nom des survivants, des écorchés vifs, au nom de Beyrouth. «Il y a des choses qu’on ne peut plus taire», lit-on. Et encore: «Sommes-nous des miroirs qui renvoient aux différentes facettes de Michèle?» Dans la souffrance, sous le regard du silo qui brûle, dans ce roman à fleur de peau, tous les êtres sont unis.
Puiser dans les histoires d'autrui, est-ce un passage obligé pour nourrir son inspiration?
Pour Rainer Maria Rilke, l’écriture suppose le fait de «trouver l’inspiration en soi». Mais on ne peut pas non plus écrire sans tenir compte de l’histoire des autres et celle de son pays. Dans Juste retenir la vie, «l’autre est moi et je suis l’autre». Derrière les autres se cache toujours un «je» pudique. Ce livre est par conséquent un cri, un désir d’invoquer la magie pour retenir les gens aimés, un pays qui s’écroule, des enfants qui partent, une sensibilité à «fleur de mots», pour apprendre enfin à s’apprivoiser.
Kundera dit dans L’Insoutenable légèreté de l’être: «Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté.» Mon inspiration se cache donc dans cette «mémoire poétique». J’ai alors pris un crayon pour laisser venir «ces petits riens», réservoirs de souvenirs et de tendresse, ainsi qu’une gomme pour ne plus retenir.

Peut-on ranger les émotions dans des tiroirs qu’on ouvrirait au besoin?

Je crois que les émotions liées à la perte ne peuvent pas toujours se cacher derrière un «yalla» qui banalise les cicatrices. On ne peut pas toujours parler avec cohérence et propreté des choses qui nous touchent. On ne peut pas toujours enjamber les franges du tapis de la maison de sa mère pour les garder alignées. Les bouleversements balayent nos certitudes… et les franges du tapis. On ouvre alors les tiroirs qui abritent nos émotions. Il y a un moment où on a besoin de comprendre. Il y a un moment où les histoires se racontent. Et dans chaque mot, il y a une crise. Dans chaque mot, il y a une explosion et le souci de recoller les morceaux. En écrivant, j’ai compris que les traumatismes ne disparaissent pas, qu’ils se transmettent. C’est peut-être cette transmission qui permet de les réparer. En écrivant, j’ai appris à apprivoiser ce pays, à apprécier les après-midis du mois d’août quand ils ont l’odeur de la délicatesse et du gardénia. Le «yalla» est une identité qui permet de mieux revenir à la maison.
Les mots, noir sur blanc, vous hantent-ils toujours, même quand vous peignez?
Dans l’écriture comme dans la peinture, j’ai essayé d’explorer les différentes possibilités du noir. Aller jusqu’au bout de cette couleur, la décliner sous différentes formes pour faire surgir des reflets qui font naître le blanc. Ceci fait écho au vers de Baudelaire: «Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.» Je crois que le noir et blanc répondent à mon désir de transformation alchimique, pour aller de la perte à la réparation.
Que représentent les mots pour vous?
Dans Juste retenir la vie, les mots revendiquent une appartenance. En effet, j’ai tenté de retrouver une «syntaxe natale» parce que les «yalla», «khay», «habibi», «3amo» qui parsèment cette histoire ne sont pas des clichés linguistiques. Ces mots racontent une identité.
La littérature a-t-elle encore un pouvoir dans notre monde moderne souvent artificiel?
La littérature comme la peinture ne sauvent pas le monde. Elles permettent de le regarder autrement, de l’adoucir, sans artifice.
 
Commentaires
  • Aucun commentaire