En visite depuis mardi à Beyrouth, la ministre allemande des Affaires étrangères (AE), Annalina Berbock, n'a pas été reçue par le président de la Chambre, Nabih Berry. Le prétexte avancé par le chef du législatif? «Un chevauchement d’agendas», alors que la visite de Mme Baerbock au Liban s’inscrit dans le cadre d’une tournée qu’elle effectue au Moyen-Orient pour tenter de désamorcer le conflit militaire qui s’intensifie à la frontière entre le Hezbollah et Israël. Simple question d’horaire ou décision délibérée de M. Berry pour faire parvenir un message clair aux Allemands avec lesquels les relations, jadis «amicales», se sont détériorées au fil des ans? Pour essayer de le comprendre, Ici Beyrouth a établi un aperçu général des rapports entre la formation pro-iranienne et Berlin.
Berlin: terrain d’activités illégales
Fuyant la guerre au pays du Cèdre, beaucoup de chiites libanais, dont, notamment, des partisans du Hezbollah, se sont implantés à Berlin et ce, à partir des années 80. Une décennie plus tard, soit au milieu des années 90, un accord tacite aurait été conclu entre le gouvernement du chancelier Helmut Kohl et le Hezbollah. Depuis, Berlin ferme l’œil sur la présence mais aussi sur les «trafics» de la formation. En contrepartie de cette «tolérance», cette dernière s’engage à ne pas commettre d’attentat sur le territoire de son hôte. Au fil des ans, le nombre de partisans du Hezbollah augmente considérablement. En 2018, les services de renseignement allemands et l’Office fédéral de protection de la Constitution évaluent le nombre de membres affiliés à la formation à environ 1050, comme mentionné dans un rapport publié la même année.
Longtemps donc, le sol allemand a constitué, pour le Hezbollah, l’espace à partir duquel il pouvait mener à bien ses activités économiques, acquérant une certaine indépendance vis-à-vis de son bailleur de fonds, l’Iran. Blanchiment d’argent, racket, collecte de fonds, trafic de drogue… les crimes organisés, qui constituent la principale source de revenu – non étatique – du Hezb, se sont ainsi multipliés dans un pays qui, pendant plusieurs années, a toléré ce genre de manœuvres. Peu médiatisée, la présence du Hezbollah a, néanmoins, toujours été suivie de près par les services de renseignement allemands.
Sur les plans politique et social, la formation pro-iranienne a également été constamment active à Berlin. Recrutement de sympathisants, organisation de manifestations appelant à la destruction d’Israël, notamment dans le cadre de la journée d’Al-Qods, régulièrement célébrée en Allemagne depuis 1996… le Hezbollah réussit à y étendre son potentiel opérationnel. Comment? Via ses partisans qui s’adonnent à des activités illégales, servant les intérêts de la formation, sous couvert d’associations religieuses et culturelles. Pour n’en citer que quelques-unes, il s’agit notamment du Centre islamique d’Hambourg, du Centre islamique de l’imam Reza à Berlin-Neukölln, du Centre de l’imam Mahdi à Munster, etc.
L’Allemagne, médiateur entre le Hezbollah et Israël
C’est en 1996 que l’Allemagne se lance dans une mission complexe: celle d’une médiation entre Israël et le Hezbollah. Ce rôle d’intermédiaire a ainsi permis, et à plusieurs reprises, l’échange de prisonniers et de corps entre les deux protagonistes. On rappelle à cet égard qu’en 1996, 132 dépouilles de combattants anti-israéliens sont restituées et 45 prisonniers libanais sont libérés de la prison de Khiam, gérée dans un Liban-Sud alors occupé par les Israéliens, par l’Armée du Liban-Sud (ALS)*. En contrepartie, le Hezbollah s’engage à relâcher 17 miliciens de l’ALS et remet deux dépouilles de soldats de l’armée israélienne à l’État hébreu. Une opération qui avait été préparée trois mois à l’avance et qui n’aurait pu voir le jour sans l’intervention directe de l’Allemagne et, plus spécifiquement, de son médiateur, Bernd Schmidbauer.
Trois ans plus tard, en 1999, Berlin facilite une nouvelle fois le transfert de 13 détenus libanais par Israël. La médiation allemande est réactivée en 2004, lorsqu’un échange «historique» de prisonniers et de corps se concrétise, après quatre ans de négociations initiées par les services de renseignement allemands. 32 partisans du Hezbollah, 400 Palestiniens qualifiés de «terroristes» par Tel Aviv et 59 dépouilles lui ont été remis, contre un homme d’affaires israélien, Elhanan Tennenbaum, et trois corps de soldats israéliens. En 2008, au lendemain de la guerre qui a opposé les deux protagonistes, un nouveau «troc» négocié par un officier du renseignement allemand permet la restitution, de part et d’autre, des dépouilles respectives.
Tournant majeur dans les relations
En 2020, au bout de quelque 38 années de présence effective en Allemagne et sous le coup des pressions américaines et israéliennes, le gouvernement berlinois se prononce finalement. Le Hezbollah est désigné comme une organisation terroriste et ses activités sont interdites sur le territoire. «Plusieurs actions de police sont menées dans diverses régions contre des établissements liés au mouvement», avait alors déclaré le porte-parole du ministre de l’Intérieur allemand, Horst Seehofer. La dégradation des relations se poursuit, lorsqu’au lendemain de l’offensive du 7 octobre dernier, Berlin s’engage dans un processus de démantèlement d’un réseau de soutien au Hezbollah. 54 propriétés de la formation sont alors perquisitionnées, dont le Centre islamique de Hambourg (IZH), soupçonné de soutenir le Hezbollah en exerçant une «forte influence», notamment antisémite et hostile à Israël, sur des mosquées et des associations allemandes.
Ainsi et en limitant, tant bien que mal, les activités du Hezbollah sur son territoire, l’Allemagne aurait-elle trouvé sa place sur la «liste noire» du Hezb et de son allié Nabih Berry à la tête du mouvement Amal?
*L’ALS, dont les membres étaient principalement composés de maronites et de chiites, était une milice libanaise qui opérait avec le soutien de l'armée israélienne lors de l'invasion de la zone sud du Liban, en 1978, par l’État hébreu.
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