Chou mnelbous? («Qu’est-ce qu’on porte»?) est une pièce interprétée par Anjo Rihane et mise en scène par Yehia Jaber au théâtre Le Monnot. Après le succès de Moujaddara Hamra, le duo scénique enchaîne les succès.
Chou mnelbous? est une pièce interprétée par Anjo Rihane et mise en scène par Yehya Jaber au théâtre Le Monnot. Cette œuvre mêle tragédie et comédie de manière subtile et émouvante.
Qui nous revêt d’idées ou de vêtements? Qui décide «qu’est-ce qu’on porte»? Que signifie être à la mode ou dépassé en ce qui concerne l’amour, la politique, la révolution ou le mariage? Qu’est-ce que la nudité ou la tenue?... Chou mnelbous? Qui nous a affublés d’accusations? Qui nous a attrapés en flagrant délit d’aimer la vie ou de craindre la mort?
Au-delà de la situation personnelle de la famille vue à travers les yeux de la petite Yara qui grandit, la pièce s’adresse à la conscience de l’après-guerre et de la mémoire collective. Elle questionne l’amnésie de tout un peuple, préserve l’esprit des hommes engagés et rend hommage aux femmes fortifiées d’un amour éternel, transcendantal, comme celui des mères. La mère ouvre grand les bras pour cuisiner, astiquer, laver, serrer et frapper. Elle dialogue avec tous les sens: le toucher de sa grande cuillère en bois, l’écoute des mots ou des sifflements de balles, l’odeur des plats cuisinés ou du shampoing...
Anjo Rihane domine la scène comme un poisson dans l’eau dans une scénographie pauvre à laquelle elle donne vie. Elle remplit l’espace vide avec ses mots, ses mouvements de hanches saccadés, ses mains qui attrapent le ciel et ses onomatopées. Elle capte les regards et offre généreusement presque deux heures de jeu, incarnant la fille, le père Youssef Salamé, la mère Najwa, leurs douleurs masquées et toutes les souffrances des femmes et des hommes du Liban.
L’actrice talentueuse jongle avec l’âge et le temps. Elle se mue dans la peau de chaque personnage. Elle porte l’étendard des disparus, les plats des voisines, la cause des communistes, le voile des sœurs, la prière du Coran et, adolescente, revendique le maillot deux pièces, symbole de liberté et d’émancipation.
Dans son enchaînement scénique, la question répétitive de l’enfant qu’elle était revient incessamment. Elle ponctue la trame: «Est-ce ma faute»? Se défait-on jamais de la culpabilité d’être né libanais?
Anjo Rihane a le talent inné du hakawati. Les lumières de la scène la suivent et lui collent à la peau. Les planches se prosternent sous ses pieds. En survêtement et en chaussettes, elle n’hésite pas à jouer avec les tissus, ôter son costume et le remettre en toute aisance et sans tabou. Ses mouvements épousent les sujets qu’elle aborde, sans retenue. Anjo Rihane fait partie de ces actrices qui se fondent dans le texte et les histoires qu’elles transmettent. On est touché par son récit, celui de la petite Yara Salameh qui grandit dans un milieu engagé, au beau milieu d’un champ de mines fictif. Dans cet espace accrocheur, entre se voiler et devenir sœur ou jeune fille libérée, la menace de mort rôde autour de sa famille, dans les bottes cloutées d’un soldat ou au son des mitraillettes. De quel courage faut-il s’armer pour garder son sens de l’humour?
Chou mnelbous? est une pièce comique tendre et revêtue de plusieurs couleurs. La mise en scène repose sur un dépouillement scénique, accompagné d’un texte narratif et poignant, ainsi que de la présence marquante de l’actrice. Le duo scénique Anjo Rihane et Yehia Jaber remporte encore un succès, celui de bouleverser la mémoire et la conscience. Combien de guerres intérieures avons-nous tues? Qu’adviendra-t-il d’un peuple qui jette aux oubliettes les histoires enchevêtrées des combats atroces et indélébiles? Aux larmes des spectateurs et aux désillusions de la petite Yara qui grandit à vue d’œil, le sourire d’Anjo Rihane sur scène répond de tout.
La pièce est reprise au théâtre Le Monnot les 16, 19 et 28 juillet 2024.
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