Le Yémen risque de retomber dans la guerre civile, en raison du régime houthi, de plus en plus puissant, du durcissement de la politique occidentale et de l'intensification de la guerre économique, qui poussent ce pays ravagé par la guerre au bord du gouffre.
«C’est la période la plus tendue que j’aie connue depuis la trêve; la guerre pourrait éclater dès la semaine prochaine», a déclaré Mohammed Albasha, analyste principal du Navanti Group basé aux États-Unis.
La paix précaire qui prévaut au Yémen est menacée alors que les Houthis, de plus en plus renforcés et radicalisés par la guerre à Gaza, se soulèvent contre les États-Unis qui ont durci leurs positions et font face à une nouvelle phase de guerre économique.
Le Yémen est pris au piège d’une guerre civile brutale qui dure depuis dix ans, opposant les Houthis, un mouvement revivaliste zaydiste, aux factions divisées du gouvernement internationalement reconnu (GRI) du président Abd Rabbo Mansour Hadi. Selon les estimations de l’ONU, ce conflit dont les victimes s’élèvent à 377.000 personnes est considéré comme «la plus grande crise humanitaire au monde».
En 2022, un espoir est né avec l’accord d’un cessez-le-feu négocié par les Nations unies et la mise en place de mesures pour établir une paix durable.
Bien que la paix ait largement été préservée, certains analystes s’inquiètent qu’elle soit désormais menacée, notamment depuis le début des opérations militaires en mer Rouge.
Renforcement des Houthis
Selon les analystes, les opérations militaires des Houthis, qui ciblent les navires liés à Israël passant par la mer Rouge, ont considérablement renforcé leur position au Yémen.
Vendredi dernier, un drone houthi a frappé Tel-Aviv, causant la mort d’une personne et faisant dix blessés. Cette attaque illustre la sophistication croissante de leur capacité militaire.
Bien que l’ONU procède actuellement à l’inspection des cargaisons entrant au Yémen, plus de 500 cargaisons sont arrivées dans les zones du Yémen contrôlées par les Houthis sans avoir été inspectées depuis octobre, selon M. Albasha.
M. Albasha a déclaré à Ici Beyrouth que les Houthis importaient des armes d’Iran depuis longtemps, mais qu’«historiquement, ils n’avaient pas accès à la technologie iranienne de pointe. Aujourd’hui, la donne a changé étant donné qu’ils reçoivent pratiquement tout ce qu’ils demandent». En juin, les Houthis ont dévoilé un nouveau missile supersonique «Philistine», qui ressemble beaucoup au missile «Fattah», le plus avancé d’Iran.
La guerre à Gaza leur a également permis de détourner le mécontentement populaire, en orientant la colère vers une cause largement soutenue au Yémen.
Avant la guerre à Gaza, le régime houthi faisait face à une crise de légitimité, avec une montée de la contestation due à des problèmes économiques croissants, indique Luca Nevola, chercheur chez ACLED.
Selon M. Albasha, le «soutien des Houthis à la Palestine a effectivement détourné la colère publique et renforcé leur légitimité nationale». Chaque vendredi, ils organisent des rassemblements de solidarité massifs qui attirent souvent des millions de Yéménites à travers le pays.
Avec une légitimité locale à son apogée, les Houthis affirment que des nombres record de personnes s’engagent désormais dans ce qu’ils appellent la «mobilisation générale».
Bien que ce concept ne soit pas nouveau, il a pris une nouvelle ampleur, les chiffres officiels indiquant que plus de 300.000 nouveaux combattants se sont inscrits depuis octobre.
Cependant, ces chiffres doivent être interprétés avec prudence. Selon M. Nevola, «ces affirmations semblent peu plausibles, car les Houthis ne sont tout simplement pas en mesure de payer les salaires de 300.000 nouveaux combattants.»
M. Nevola reconnaît cependant «que si les hostilités reprennent, les Houthis seraient presque certainement capables de mobiliser beaucoup de nouveaux combattants».
De son côté, Al-Jazeera a rapporté que les Houthis ont déployé 50.000 nouveaux combattants autour de la région très convoitée de Marib, où se trouvent d’importants champs pétroliers.
Positions de plus en plus rigides
Avant octobre, la politique occidentale au Yémen visait à mettre fin à la guerre et à contenir les Houthis en normalisant le régime et en l’engageant dans un processus de paix dirigé par les Nations unies. Cependant, les opérations en mer Rouge ont entraîné un profond changement de politique.
En décembre 2023, les États-Unis ont annoncé l’opération «Bouclier de la prospérité» et la formation d’une coalition internationale, qui a lancé une offensive aérienne en janvier.
Cependant, cela n’a pas réussi à dissuader les Houthis. Selon M. Nevola, les Houthis ont désormais compris qu’ils pouvaient renforcer leur légitimité grâce à leur implication dans l’«axe de la résistance» soutenu par l’Iran. Ils ne dépendent plus du processus de paix et de la reconnaissance internationale pour légitimer leur position.
En conséquence, M. Nevola affirme qu’«ils seront de moins en moins enclins à accepter les conditions imposées par la communauté internationale pour parvenir à la paix.»
Les fondements théologiques du mouvement jouent également un rôle dans leur radicalisation croissante. Selon M. Albasha, «leur série de victoires au cours des dix dernières années leur a donné un sentiment d’orgueil euphorique», alimenté par la conviction que leur victoire est inévitable grâce à «une intervention divine en leur faveur».
Le leader houthi, Abdul Malik al-Houthi, est de plus en plus perçu comme un messager de Dieu dans une guerre prophétisée, visant le retour du Mahdi et la prise de Jérusalem.
Selon M. Nevola, les partenaires de la coalition constatent cette radicalisation croissante et réalisent qu’en tentant de normaliser les Houthis, ils ont laissé naître une menace à long terme.
Les responsables américains sont conscients qu’une opération aérienne prolongée est inutile, vu l’échec des Saoudiens à déloger les Houthis malgré neuf années de bombardements incessants. Le président Biden lui-même a d’ailleurs reconnu cela en janvier.
En conséquence, les États-Unis recherchent d’autres alternatives pour dissuader les attaques houthies et envisagent désormais de renforcer le GRI pour contrer les Houthis, explique M. Albasha.
Guerre économique
Selon Mohammed Albasha, la dernière phase de «guerre économique» est la principale raison pour laquelle nous pourrions être au bord d’un nouveau conflit.
En janvier, les États-Unis ont désigné les Houthis comme un «groupe terroriste mondial spécialement désigné», une classification qui interdit toute transaction avec les entités liées aux Houthis.
En raison de cette appellation, l’Arabie saoudite – qui, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu, avait accepté de verser 100 millions de dollars par mois pour financer les salaires du secteur public au Yémen, y compris ceux des combattants houthistes – a été empêchée d’effectuer ces paiements, mettant ainsi en danger l’une des conditions centrales du cessez-le-feu.
En avril, le GRI a exigé que toutes les banques yéménites déménagent à Aden dans un délai de 60 jours, faute de quoi elles seraient exclues du réseau Swift et des services de transfert d’argent, conformément aux interdictions établies par la désignation américaine de groupe terroriste.
Cette désignation a pour conséquence d’isoler davantage l’économie houthie, en limitant la capacité du secteur bancaire à traiter les paiements internationaux – une nécessité vitale pour un pays fortement dépendant des importations alimentaires.
Selon M. Nevola, «les Houthis se retrouvent acculés par ces mesures, qui se sont révélées très efficaces».
En conséquence, Abdul Malik al-Houthi affirme, dans ses derniers discours, que les États-Unis orchestrent cette guerre économique contre eux.
Les responsables américains nient être impliqués dans cette escalade économique. Cependant, M. Luca Nevola affirme qu’il est probable qu’un effort coordonné entre le GRI et les États-Unis vise à exercer davantage de pressions pour stopper les attaques.
Le risque est de voir les Houthis, sous pression économique mais renforcés militairement, riposter contre le GRI, en se présentant comme un front «légitime» de défense de la Palestine, accusant ainsi le GRI de collaborer avec l’axe américano-israélien.
Quelle suite?
Les analystes s’accordent à dire qu’en cas de guerre, le GRI serait incapable de résister aux Houthis.
Le gouvernement, miné par des luttes internes, n’a survécu jusqu’à présent qu’avec le soutien de bombardements saoudiens implacables. Cependant, Riyad semble peu enclin à relancer un conflit et les analystes estiment qu’il est peu probable que les Saoudiens reprennent leurs frappes aériennes.
M. Albasha estime que le GRI sera rapidement défait de manière similaire au gouvernement afghan soutenu par les États-Unis, qui a également perdu la protection de son patron.
Cependant, il met en garde contre les lourdes conséquences humanitaires, affirmant que «cela aura des implications humanitaires encore plus désastreuses pour la pire crise humanitaire au monde… Cela exacerbera l’insécurité alimentaire, déplacera davantage de personnes et mettra à mal un système de santé déjà en ruine».
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