La brutalité de la dégradation sécuritaire au Moyen-Orient nous renvoie à un état de pourrissement prolongé qui se situe en amont des événements du 7 octobre 2023 et nous met en phase avec les mutations d’une scène régionale éclatée. L’échec des printemps arabes n’a fait que thématiser les déboires d’une modernité arabe faillie qui alternait les dictatures, qui comptabilisait les ratages des politiques publiques à tous égards et qui s’inscrivait dans un temps mort. Les écroulements auxquels on assiste ne font que récapituler les étapes d’une débâcle monumentale qui explique le déchaînement des violences de nature nihiliste qui se sont emparées des sociétés en question.
Les guerres régionales en cascade, l’âpreté des crises systémiques et l’absence des politiques réformistes et iréniques ont été doublées par l’ascension d’un islamisme militant et la montée des impérialismes chiites et sunnites. L’échec des printemps arabes ne faisait qu’illustrer les naufrages conjugués, la mort du récit islamique et sa transformation en catalyseur des ressentiments et en code d’agencement des «mouvements de rage» en état d’effervescence. Les faillites en cascade des régimes arabes, loin d’offrir des plateformes aux entreprises réformistes, ont servi de véhicule aux politiques impériales et au terrorisme islamiste. L’épisode du 9 septembre 2001 et ses dynamiques conflictuelles ont fini par s’installer dans la durée et se structurer à l’intersection de l’intérieur et de l’extérieur.
La prise d’assaut des politiques iraniennes de subversion s’est effectuée jusque-là sans entraves majeures et elle a fini par installer des relais qui devraient sanctuariser leurs acquis. Elle se heurte, dorénavant, au dernier obstacle qui l’empêcherait de sceller sa domination impériale qui opère sur la base des ersatz étatiques et des friches sécuritaires qu’elle cherche à multiplier et entretenir. Il n’est pas du tout question de solution négociée des conflits, de reconstruction des États en faillite, de réformes systémiques et de développement. Le modèle du proconsul administrateur du domaine impérial et des milices créées, au gré des circonstances, s’impose désormais comme le substitut fonctionnel aux États.
L’assaut frontal qui a visé la sécurité israélienne le 7 octobre 2023 bute, désormais, sur la contre-offensive israélienne et sur des enjeux géostratégiques de plus grande ampleur qui remettent en question la politique impériale iranienne. Le double assassinat des chefs miliciens du Hezbollah et du Hamas est un coup de semonce qui vise à enrayer la dynamique de subversion iranienne et redéfinir les règles du jeu dans une région où le chaos prédomine. Le coup de boutoir israélien est un appel à la réalité et l’amorce d’une politique d’endiguement qui fera échec aux embardées discrétionnaires du régime iranien. Cette politique dispose d’un large répertoire qui commence par l’appui ouvert et résolu aux oppositions, qui s’étend à tous les théâtres opérationnels sur le plan régional et se termine par les stratégies d’endiguement à géométrie variable. Contrairement à une hypothétique manœuvre cynique de Benjamin Netanyahou, le double assassinat correspond à un impératif géostratégique incontournable, celui de casser la dynamique impériale en cours et sa neutralisation à terme. C’est là où se rejoignent les dynamiques disparates des conflits locaux et celles de la nouvelle guerre froide.
La guerre de Gaza et ses doubles sur les théâtres libanais et syrien ne semblent pas sur la voie du dénouement et les complications prolifèrent dans tous les sens. La stratégie de la désescalade tentée par l’administration américaine bute sur les ambiguïtés de la politique iranienne qui cherche à entretenir les lignes de fracture, multiplier les fronts militaires, et se jouer des contradictions politiques afin de sceller ses verrouillages et sanctuariser ses acquis. Les trêves intérimaires ne débouchent pas forcément sur une dynamique de normalisation qui faciliterait la mise en œuvre d’un projet de paix israélo-palestinien. Alors que du côté israélien, les perspectives d’une solution à deux États sont loin d’être à l’ordre du jour quelles que soient les orientations politiques.
Le contrôle de la scène palestinienne par la politique de puissance iranienne ne fait que perpétuer tout un legs de politiques de satellisation qui ont instrumenté la question palestinienne à des fins contrastées, et saboté les chances d’une solution négociée entre les deux peuples en question. Cette autodisqualification permanente du côté palestinien a favorisé l’irrédentisme israélien: nous sommes, en effet bien loin des scénarios du camp David et d’Oslo. Les chances d’une solution négociée des conflits en cours passe inévitablement par un rétablissement des rapports de force, l’enrayement de l’interventionnisme iranien et l’émergence d’un ordre régional alternatif. L’ambivalence de la candidate Kamala Harris met en péril la politique de déblocage du président Biden et conduit inévitablement aux louvoiements de la politique iranienne et aux politiques de sabotage qu’elle entretient de manière systématique.
La politique des atermoiements joue pleinement en faveur des dictatures belliqueuses, des extrémismes islamistes, de la criminalité organisée et de la répression des mouvements de la société civile comme cela est amplement attesté au Liban et à Gaza, au Venezuela où Nicolas Maduro menace d’un «bain de sang» en cas de perte des élections et de les subvertir à la suite de son échec, en Iran où la répression sanglante fait pendant aux politiques de déstabilisation régionale, et en Russie où la prolongation de la guerre en Ukraine est le gage de survie d’une autocratie impériale, alors que la Chine cherche d’une manière aussi maladroite que cynique à promouvoir ses aspirations impériales. On se demande si la politique des atermoiements est à même d’opérer des ouvertures et de surseoir aux dynamiques conflictuelles en cours, ou sommes-nous devant des impasses qui rendent inévitables le changement des rapports de force et la quête d’une voie alternative.
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