Trois candidats, dont le président sortant, Kaïs Saied, ont été retenus dimanche pour se présenter à l'élection présidentielle en Tunisie, le 6 octobre, à l'heure où le tournant autoritaire entrepris par ce dernier s'accentue.
Fin du suspense en Tunisie en ce dimanche 11 août: l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), en charge de l’organisation et de la supervision des élections, a rendu publique la liste définitive des candidats à la présidentielle qui se tiendra le 6 octobre prochain.
Le quatrième scrutin de ce type depuis le renversement, en 2011, du régime de Zine el-Abidine Ben Ali à la suite de la révolution tunisienne, revêt aussi un caractère particulier. En effet, il s’agira du premier organisé sous les auspices de la nouvelle constitution. Cette dernière fut mise en place par l’actuel président, Kaïs Saied, en 2022.
Outre l’actuel président, qui brigue un second mandat, deux autres postulants ont vu leurs dossiers acceptés. Il s’agit des anciens députés Zouhair Maghzaoui et Ayachi Zammel, deux figures considérées comme étant relativement peu médiatisées. Les autres prétendants, dont les principaux opposants à M. Saied, ont donc été écartés de la course par divers moyens. Ils peuvent toujours présenter des recours, avec des chances de succès néanmoins limitées.
Car cette fameuse constitution fut mise en place en raison d’un contexte précis, celui du coup de force institutionnel réalisé par l’actuel président en 2021. Vainqueur de l’élection de 2019, il est surnommé «Robocop» par les Tunisiens, en raison de l’image d’ascète particulièrement rigide qu’il renvoie en public.
S’il remporte aisément le scrutin, avec 72% des voix, sa position d’indépendant place Kaïs Saied sur une trajectoire de collision avec les principaux partis présents au Parlement: Ennahda (islamistes) et «Au cœur de la Tunisie» (laïc).
La constitution alors en vigueur, mise en place en 2014, avait instauré un système semi-présidentiel. Comme le président, le Parlement est élu au suffrage universel direct. Il élit le Premier ministre, qui choisit ensuite ses ministres et dirige le gouvernement. Ses représentants possédaient donc la même la même légitimité que le détenteur de la fonction suprême.
Frustré par des mois de blocage au Parlement qui l’empêchent de mettre en place son programme, le président tunisien choisit la manière forte. En juillet 2021, il déclare l’état d’urgence, limoge le Premier ministre et suspend le Parlement, avec le renfort de l’armée. Deux mois plus tard, il dissout celui-ci.
Dès lors, Kaïs Saied a les mains libres. Il en profite alors pour méthodiquement mettre à terre toutes les institutions démocratiques tunisiennes. Le but? Éliminer tout ce qui pourrait contrebalancer son pouvoir.
En 2022, il met en place l’actuelle constitution. D’un régime semi-présidentiel, la Tunisie passe à un modèle hyper présidentiel, à l’issue d’un référendum boycotté par l’opposition. Concentration des pouvoirs entre ses mains, limitations draconiennes de la liberté d’expression, arrestation d’opposants… le virage autoritaire est désormais assumé. Dernier exemple en date: le limogeage sans explication du Premier ministre Ahmed Hachani, mercredi 7 août.
Ce contexte pèse tout d’abord pour les potentiels candidats à la présidentielle. Car l’ISIE, qui doit recevoir les candidatures, a de facto perdu toute indépendance. En effet, depuis 2022, ses membres sont nommés directement par le président.
L’institut a, depuis, mis en place des critères d’acceptation particulièrement draconiens. Pour les aspirants candidats, il faut d’abord obtenir le parrainage de dix parlementaires, ou bien de 40 présidents de collectivités locales. Or, ceux-ci sont largement à la botte de Kaïs Saied. Autre possibilité, recueillir celui de 10.000 électeurs, à raison d'au moins 500 signatures par circonscription. Un nombre difficile à recueillir, selon des experts interrogés par l’AFP.
Si le président sortant a ainsi pu présenter son dossier sans difficulté, ce ne fut pas aussi simple pour la centaine de candidats qui ont annoncé leur intention de se présenter. Dans les faits, seuls quatorze d’entre eux ont ainsi pu franchir cette étape préliminaire.
Ceux-ci ont alors dû faire face à un nouvel obstacle: l'obtention, auprès du ministère de l’Intérieur, de leur casier judiciaire avant la date limite pour le dépôt de leur candidature, mardi 6 août. Plusieurs candidats, à l’image de Mondher Zenaïdi, le concurrent le plus sérieux de M. Saied, ont indiqué ne pas avoir été en mesure d’obtenir le précieux sésame.
Pour d’autres, il s’agit de faire face à des procédures judiciaires jugées aussi expéditives qu’abusives visant à les disqualifier. Ainsi, par exemple, le rappeur K2Rhym (de son vrai nom Karim Gharbi), accusé de fraudes électorales. Accusation catégoriquement démentie par l’intéressé.
D’autres font les frais de décrets-lois abusifs. Dans le cas de l’ex-députée Abir Moussi, c’est un texte contre la cybercriminalité, jugé draconien par l’ONG Amnesty International, qui fut attaqué. Raison invoquée: Mme Moussi, autre détractrice notable de M. Saied, avait critiqué le processus électoral et l’ISIE.
Si les deux cas ci-dessus n’ont pas encore fait face à une condamnation définitive, d’autres n’ont pas eu cette chance. Lundi 5 août, cinq candidats ont ainsi été condamnés à des peines de prison, synonymes d’inéligibilité à vie: Abdellatif Mekki, Nizar Shaari, Adel Aldo, Mourad Messaoudi et Leila Hammami.
Quoiqu’il en soit, les candidats retenus devront faire face à des enjeux de taille. Au niveau du scrutin lui-même, tout d’abord, puisqu’ils devront convaincre les Tunisiens aux urnes.
En effet, les prochaines élections seront un test pour la légitimité du futur président. Aucune des consultations populaires organisées depuis 2021 – du référendum aux deux tours des législatives en passant par les récentes locales – n’a réussi à mobiliser les électeurs.
Mais les enjeux se situent aussi à l’issue du scrutin. Pour les opposants à M. Saied, il s’agira de rétablir le fonctionnement des institutions démocratiques. Il est néanmoins peu probable que cet objectif soit atteint, tant les chances des candidats se mesurant à Kaïs Saied sont minces.
L’un d’entre eux, Zouhair Maghzaoui, est même considéré comme un «opposant de l’intérieur», a notamment déclaré l'analyste tunisien Hatem Nafti dans un entretien à l’AFP. Celui-ci se constitue davantage critique du président sur des questions socio-économiques que politiques et a soutenu son tour de force en 2021.
À l’inverse, Kaïs Saied a déclaré aux journalistes, lundi 5 août, à Tunis, que sa candidature s'inscrivait dans le cadre d'une «guerre de libération et d'autodétermination» visant à «établir une nouvelle république». Autrement dit, il entend bien poursuivre sur la voie de l’autoritarisme.
Dans tous les cas, le vainqueur aura devant lui un chantier de taille: la remise à flot de l’économie tunisienne qui fait face à des difficultés croissantes. Taux de chômage à 15%, exode des jeunes diplômés, inflation dépassant les 10%, explosion des prix des denrées alimentaires, endettement à plus de 80% du PIB...
Pour résoudre ces défis, le prochain président devra négocier un prêt d’urgence avec le Fonds monétaire international. Ce à quoi M. Saied s’oppose, lorgnant davantage du côté de Pékin pour sauver l’économie nationale. Autre preuve, s'il en fallait, de la future orientation post-élections à laquelle les Tunisiens doivent s'attendre.
Fin du suspense en Tunisie en ce dimanche 11 août: l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), en charge de l’organisation et de la supervision des élections, a rendu publique la liste définitive des candidats à la présidentielle qui se tiendra le 6 octobre prochain.
Le quatrième scrutin de ce type depuis le renversement, en 2011, du régime de Zine el-Abidine Ben Ali à la suite de la révolution tunisienne, revêt aussi un caractère particulier. En effet, il s’agira du premier organisé sous les auspices de la nouvelle constitution. Cette dernière fut mise en place par l’actuel président, Kaïs Saied, en 2022.
Outre l’actuel président, qui brigue un second mandat, deux autres postulants ont vu leurs dossiers acceptés. Il s’agit des anciens députés Zouhair Maghzaoui et Ayachi Zammel, deux figures considérées comme étant relativement peu médiatisées. Les autres prétendants, dont les principaux opposants à M. Saied, ont donc été écartés de la course par divers moyens. Ils peuvent toujours présenter des recours, avec des chances de succès néanmoins limitées.
Virage autoritaire
Car cette fameuse constitution fut mise en place en raison d’un contexte précis, celui du coup de force institutionnel réalisé par l’actuel président en 2021. Vainqueur de l’élection de 2019, il est surnommé «Robocop» par les Tunisiens, en raison de l’image d’ascète particulièrement rigide qu’il renvoie en public.
S’il remporte aisément le scrutin, avec 72% des voix, sa position d’indépendant place Kaïs Saied sur une trajectoire de collision avec les principaux partis présents au Parlement: Ennahda (islamistes) et «Au cœur de la Tunisie» (laïc).
La constitution alors en vigueur, mise en place en 2014, avait instauré un système semi-présidentiel. Comme le président, le Parlement est élu au suffrage universel direct. Il élit le Premier ministre, qui choisit ensuite ses ministres et dirige le gouvernement. Ses représentants possédaient donc la même la même légitimité que le détenteur de la fonction suprême.
Frustré par des mois de blocage au Parlement qui l’empêchent de mettre en place son programme, le président tunisien choisit la manière forte. En juillet 2021, il déclare l’état d’urgence, limoge le Premier ministre et suspend le Parlement, avec le renfort de l’armée. Deux mois plus tard, il dissout celui-ci.
Dès lors, Kaïs Saied a les mains libres. Il en profite alors pour méthodiquement mettre à terre toutes les institutions démocratiques tunisiennes. Le but? Éliminer tout ce qui pourrait contrebalancer son pouvoir.
En 2022, il met en place l’actuelle constitution. D’un régime semi-présidentiel, la Tunisie passe à un modèle hyper présidentiel, à l’issue d’un référendum boycotté par l’opposition. Concentration des pouvoirs entre ses mains, limitations draconiennes de la liberté d’expression, arrestation d’opposants… le virage autoritaire est désormais assumé. Dernier exemple en date: le limogeage sans explication du Premier ministre Ahmed Hachani, mercredi 7 août.
Critères de validation draconiens
Ce contexte pèse tout d’abord pour les potentiels candidats à la présidentielle. Car l’ISIE, qui doit recevoir les candidatures, a de facto perdu toute indépendance. En effet, depuis 2022, ses membres sont nommés directement par le président.
L’institut a, depuis, mis en place des critères d’acceptation particulièrement draconiens. Pour les aspirants candidats, il faut d’abord obtenir le parrainage de dix parlementaires, ou bien de 40 présidents de collectivités locales. Or, ceux-ci sont largement à la botte de Kaïs Saied. Autre possibilité, recueillir celui de 10.000 électeurs, à raison d'au moins 500 signatures par circonscription. Un nombre difficile à recueillir, selon des experts interrogés par l’AFP.
Si le président sortant a ainsi pu présenter son dossier sans difficulté, ce ne fut pas aussi simple pour la centaine de candidats qui ont annoncé leur intention de se présenter. Dans les faits, seuls quatorze d’entre eux ont ainsi pu franchir cette étape préliminaire.
Procédures judiciaires abusives
Ceux-ci ont alors dû faire face à un nouvel obstacle: l'obtention, auprès du ministère de l’Intérieur, de leur casier judiciaire avant la date limite pour le dépôt de leur candidature, mardi 6 août. Plusieurs candidats, à l’image de Mondher Zenaïdi, le concurrent le plus sérieux de M. Saied, ont indiqué ne pas avoir été en mesure d’obtenir le précieux sésame.
Pour d’autres, il s’agit de faire face à des procédures judiciaires jugées aussi expéditives qu’abusives visant à les disqualifier. Ainsi, par exemple, le rappeur K2Rhym (de son vrai nom Karim Gharbi), accusé de fraudes électorales. Accusation catégoriquement démentie par l’intéressé.
D’autres font les frais de décrets-lois abusifs. Dans le cas de l’ex-députée Abir Moussi, c’est un texte contre la cybercriminalité, jugé draconien par l’ONG Amnesty International, qui fut attaqué. Raison invoquée: Mme Moussi, autre détractrice notable de M. Saied, avait critiqué le processus électoral et l’ISIE.
Si les deux cas ci-dessus n’ont pas encore fait face à une condamnation définitive, d’autres n’ont pas eu cette chance. Lundi 5 août, cinq candidats ont ainsi été condamnés à des peines de prison, synonymes d’inéligibilité à vie: Abdellatif Mekki, Nizar Shaari, Adel Aldo, Mourad Messaoudi et Leila Hammami.
Enjeux d'une élection verrouillée
Quoiqu’il en soit, les candidats retenus devront faire face à des enjeux de taille. Au niveau du scrutin lui-même, tout d’abord, puisqu’ils devront convaincre les Tunisiens aux urnes.
En effet, les prochaines élections seront un test pour la légitimité du futur président. Aucune des consultations populaires organisées depuis 2021 – du référendum aux deux tours des législatives en passant par les récentes locales – n’a réussi à mobiliser les électeurs.
Mais les enjeux se situent aussi à l’issue du scrutin. Pour les opposants à M. Saied, il s’agira de rétablir le fonctionnement des institutions démocratiques. Il est néanmoins peu probable que cet objectif soit atteint, tant les chances des candidats se mesurant à Kaïs Saied sont minces.
L’un d’entre eux, Zouhair Maghzaoui, est même considéré comme un «opposant de l’intérieur», a notamment déclaré l'analyste tunisien Hatem Nafti dans un entretien à l’AFP. Celui-ci se constitue davantage critique du président sur des questions socio-économiques que politiques et a soutenu son tour de force en 2021.
À l’inverse, Kaïs Saied a déclaré aux journalistes, lundi 5 août, à Tunis, que sa candidature s'inscrivait dans le cadre d'une «guerre de libération et d'autodétermination» visant à «établir une nouvelle république». Autrement dit, il entend bien poursuivre sur la voie de l’autoritarisme.
Dans tous les cas, le vainqueur aura devant lui un chantier de taille: la remise à flot de l’économie tunisienne qui fait face à des difficultés croissantes. Taux de chômage à 15%, exode des jeunes diplômés, inflation dépassant les 10%, explosion des prix des denrées alimentaires, endettement à plus de 80% du PIB...
Pour résoudre ces défis, le prochain président devra négocier un prêt d’urgence avec le Fonds monétaire international. Ce à quoi M. Saied s’oppose, lorgnant davantage du côté de Pékin pour sauver l’économie nationale. Autre preuve, s'il en fallait, de la future orientation post-élections à laquelle les Tunisiens doivent s'attendre.
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