Catherine Ribeiro: une voix libre, un destin d'exception

Figure incontournable de la scène musicale française des années 70, Catherine Ribeiro a marqué son époque par sa voix singulière, ses textes engagés et son parcours hors norme. Retour sur la vie d'une artiste rebelle et passionnée, décédée le 23 août 2024 à l'âge de 82 ans.
Quand Catherine Ribeiro voit le jour en 1941 à Lyon, rien ne la prédestine à devenir une icône de la contre-culture. Fille d'un couple d'ouvriers immigrés portugais, elle grandit dans le fracas des usines de Saint-Fons. Mais très tôt, cette enfant rêveuse aspire à une autre vie. À 17 ans, elle prend son envol pour Paris, bien décidée à embrasser une carrière artistique.
Dans la capitale, la jeune femme au caractère bien trempé se frotte d'abord au 7ᵉ art. En 1963, elle décroche un rôle dans Les Carabiniers de Godard, donnant la réplique à Patrice Moullet, son futur compagnon de route. Parallèlement, elle enregistre quelque 45 tours dans la mouvance yéyé, enchaînant les apparitions télé et les couvertures de magazines. En 1966, on la retrouve même au côté de Sheila et Claude François sur la «photo du siècle». Pourtant, malgré ce début de notoriété, Catherine Ribeiro refuse de se laisser formater. Sa soif de liberté et son tempérament rebelle l'entraînent bientôt vers d'autres horizons.
C’est au sein du groupe expérimental Alpes, fondé avec Patrice Moullet à la fin des années 60, que la chanteuse va véritablement trouver sa voie. Mêlant rock progressif, poésie engagée et sonorités psychédéliques, le tandem signe une série d’albums inclassables qui bousculent les codes de la chanson française. De No2 en 1970 à  Paix en 1972, leur musique ensorcelante et hallucinée ne ressemble à rien de connu. Sur scène, le charisme magnétique de Catherine opère. Avec sa longue chevelure brune, ses yeux noirs et sa voix venue des entrailles, elle hypnotise le public, telle une chamane en transe.
Portée par ce succès d’estime, celle que les médias surnomment désormais la «pasionaria rouge» s’affirme aussi en solo. En 1969, son premier opus Catherine Ribeiro + 2 Bis pose les bases d’une œuvre dense et exigeante, qui n’aura de cesse de montrer patte blanche. Accompagnée de musiciens hors pair comme le bassiste Patrice Moullet ou le batteur Jean-Sébastien Lemoine, elle grave des perles folk teintées de rage comme Le Chasseur en 1975, Le Blues de Piaf  en 1977 ou Jacqueries en 1978.

Mais plus que jamais, ce sont ses textes qui forcent le respect. Dans une France giscardienne corsetée, les mots de Catherine Ribeiro font l’effet d’un coup de poing. Palestine, Chili, Vietnam, écologie, cause féministe… Rien n’échappe à sa plume acérée. Avec ses chansons comme autant de cris, la «Barbara des années 70» met sa notoriété au service des opprimés. En 1979, alors que les boat-people fuient l’enfer vietnamien, elle recueille une famille de réfugiés dans sa maison de l’Oise. Un geste fort et sans calcul, à l’image de cette artiste entière, qui n’hésite pas à donner de sa personne pour les causes qui lui tiennent à cœur.
Cette politique du cœur, on la retrouve jusque dans son mode de vie. Avec son compagnon Patrice Moullet, Catherine Ribeiro mène une existence en marge, entre happenings sauvages et réflexion spirituelle. Le couple habite un temps dans une grange à Hérouville, en totale autarcie. Loin des strass du show-business, ils cultivent leur propre bio avant l’heure et expérimentent des états de conscience modifiée. Leur quête mystique les mènera plus tard à la Réunion, puis en Ardèche, où ils se consacrent à la poésie, au jeûne et à la méditation.
Cette fougue créatrice et cet engagement viscéral atteignent leur point d’orgue en 1982, avec une série de concerts à Bobino. Trois semaines à guichets fermés et un triomphe public qui marque l’apogée de la carrière de Catherine Ribeiro. Un soir, un spectateur de marque se glisse incognito dans le public: François Mitterrand en personne, conquis par l’aura volcanique de cette chanteuse hors norme. Mais malgré ce succès, les grands médias boudent cette artiste trop frondeuse. Jamais sa musique ne passera en radio. Un ostracisme mal vécu par Catherine Ribeiro, qui met progressivement sa carrière en sommeil pour se consacrer à l’écriture et à sa vie de famille.
Mariée depuis 1974 au maire socialiste de Sedan, Claude Démoulin, la chanteuse goûte un temps aux joies des mondanités provinciales. Mais l’appel de la marge est trop fort. Au milieu des années 80, le couple prend le large et s’exile dans une ferme des Ardennes. Là, entre deux escapades en Allemagne où Catherine enregistre quelques opus confidentiels, le temps semble suspendu. Pendant près de vingt ans, celle qui a enflammé les scènes se fait discrète, préférant cultiver son jardin et s’adonner à l’écriture.
Pour autant, la flamme militante n’est pas éteinte. En 2017, alors que le mouvement MeToo libère la parole des femmes, Catherine Ribeiro révèle avoir été violée à l’âge de 20 ans. Une prise de parole courageuse, pour celle qui a toujours porté haut l’étendard du féminisme. Malgré le poids des années et une santé déclinante, l’éternelle rebelle n’hésite pas à reprendre le micro pour dénoncer ces violences et appeler à l’émancipation des femmes. Un dernier combat pour cette artiste intègre, qui aura consacré sa vie à la lutte contre toutes les oppressions.
C’est finalement loin des tournées et de l’agitation médiatique que Catherine Ribeiro s’éteint paisiblement, ce 23 août 2024, dans une maison de retraite des Bouches-du-Rhône. Celle qui se définissait comme une «femme debout, libre et libertaire» laisse une œuvre foisonnante et inspirée, où la poésie le dispute à la révolte. Une petite musique en forme d’appel à l’insoumission, qui n’a pas fini de résonner dans le cœur de tous les assoiffés de justice et de liberté. «Résister, c’est créer», aimait à dire cette infatigable combattante. Un adage qu’elle aura suivi à la lettre, jusqu’à son dernier souffle.
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