Dans son ouvrage Le Liban et les pays avoisinants, l'historien Jawad Boulos – qui était membre du Front libanais (souverainiste) au début de la guerre – explique que le relief et l’environnement géographiques constituent un facteur fondamental dans l’histoire d’un peuple. Avec les développements spectaculaires des moyens de communication et de transport, d’aucuns apportent aujourd’hui un bémol à cette thèse sur l’impact de la géographie sur l’histoire et sur les spécificités socio-culturelles d’une population établie sur un territoire donné.
Dans le cas particulier du Liban, les effets des paramètres géographiques (notamment le relief du territoire ainsi que son éloignement, ou non, du «centre») continuent de se répercuter sur le comportement politique des différentes composantes du tissu social du pays. Cela est surtout vrai au niveau de certains réflexes communautaires. C’est ce qui a d’ailleurs poussé Walid Joumblatt à souligner récemment, lors d'une rencontre-débat organisée à Achrafieh par l’ancien ministre Ibrahim Najjar, qu’il avait mieux compris l’opiniâtreté, le caractère combatif et l’attachement à la terre des maronites de la haute montagne du Nord lorsqu’il a visité la région de Becharré à l’occasion du baptême de sa petite-fille (organisé à la périphérie de la Vallée sainte emblématique de Qadicha…).
L’observation fortement pertinente de Walid Joumblatt illustre parfaitement, sans doute de façon non intentionnelle, des réalités sociétales profondément enracinées dans le pays et que certains s’obstinent à ne pas admettre. Feindre d’occulter ces réalités risque de déboucher rapidement sur de dangereuses discordes à caractère sectaire. L’histoire ancienne et contemporaine du Liban est marquée sur ce plan par le comportement, immature et irréfléchi, de factions qui, croyant avoir atteint le faîte de leur influence prépondérante (qu’elles estimaient inébranlable), se refusaient à prendre en considération les sensibilités et les spécificités des autres composantes de l’échiquier national. Et l’histoire a montré que la toute-puissance de ces parties, atteintes de cécité politique, a été, en définitive, éphémère.
Cet aveuglement politique s’explique soit par une arrogance démesurée dépassant tout entendement, soit par une ignorance totale non seulement des réalités locales, mais aussi de l’impact du relief géographique sur l’inconscient collectif, la ligne de conduite et les particularités de certains pans de la société. Force est de relever sur ce plan, à titre d’exemple, que le Hezbollah affiche depuis des décennies, plus spécifiquement depuis 2004, cette ignorance – du moins en apparence – des réalités sociétales libanaises.
Dans une récente interview télévisée, l’ancien député et ancien secrétaire général du 14 Mars, Farès Souhaid, soulignait, fort à propos, que le Hezbollah «ne connaît pas le Liban». Le long parcours et la conduite de la formation pro-iranienne, notamment depuis le retrait syrien en 2005, illustrent effectivement, au niveau du directoire du parti et de son parrain régional, de très graves failles dans la compréhension des réalités et des spécificités du «Liban profond».
Ces failles dans la perception des réalités socio-politico-communautaires locales ont pour conséquence, entre autres, que le Hezbollah considère le pays comme sa «propriété privée» dont il dispose à sa guise, l’entraînant dans des guerres et des conflits successifs dont le seul et unique but est de servir les desseins hégémoniques des mollahs de Téhéran. Il prend à cette fin toute la population en otage sans tenir le moindre compte des impératifs d’une légitime paix civile dont les Libanais sont privés depuis des décennies.
C’est également ce manque de compréhension des particularités locales qui aboutit à des initiatives irresponsables telles que l’invasion milicienne, le 7 mai 2008, des quartiers de Beyrouth contrôlés par le courant du Futur pour mettre au pas la formation sunnite et, plus grave encore, la tentative de prise de contrôle de fiefs druzes dans la Montagne. Sans compter l’offensive, ratée, contre le bastion chrétien de Aïn el-Remmané, le 14 octobre 2021, ou aussi les attaques épisodiques – par le biais des réseaux sociaux – contre le rôle de Bkerké et du patriarche maronite en raison des appels répétés en faveur de la neutralité du Liban… Et, cerise sur le gâteau, le parti pro-iranien a tenté tout récemment d’imposer son hégémonie sur la région sunnite de Saïda en essayant, en vain, de marginaliser le député (sunnite) de la ville, Oussama Saad, qui, depuis les élections législatives de 2022, prend ses distances à l’égard du Hezbollah, refusant tout suivisme aveugle au parti chiite. Le résultat de cette «maladresse» a été un renforcement de la popularité et du positionnement politique de M. Saad…
La liste de ces dangereux faux pas, souvent marqués par le recours à la violence, est (très) longue. Elle a pour effet d’approfondir, jour après jour, un grave ressentiment vis-à-vis d’une formation pour qui le pays du Cèdre n’est qu’un simple champ de manœuvre, et de bataille, au service du Guide suprême de la révolution islamique iranienne.
Faisons un rêve: faisons le rêve de voir un jour, pas trop lointain, le directoire du Hezbollah faire l’effort intellectuel de comprendre en profondeur les fondements du ferme attachement des autres composantes nationales à leur terre, leur montagne, leur liberté, leurs croyances, leurs coutumes, leur culture et leur passé.
Lire aussi
Commentaires