Alors que j’avais la boule au ventre, craignant un énième JidarSot (franchissement du mur du son) à l’approche du discours du grand manitou, l’enturbanné Hassan Nasrallah, je reçois un WhatsApp qui me crève le tympan.
C’était le énième message d’une amie terrée chez elle à la montagne, encore plus flippée que moi, qui avait fui la capitale depuis que les avions israéliens franchissaient le mur du son dans le ciel libanais à un rythme quasi quotidien. «Putain! Même à Broumana, j’entends le Jidarsot! Tu as entendu quelque-chose, toi?», me demande-t-elle effarée.
Sme3to shi (Vous avez entendu quelque-chose)? Jidarsot (mur du son)
Quelques minutes plus tôt, j’avais reçu le lien vers un site web qui montre l’inventivité des Libanais même en temps de flippe! Sur ce site, www.Jidarsot.com, un peu comme lors d’une psychothérapie de groupe sans psy et sans payer un sou, les Libanais de toutes les régions peuvent se poser la même question en choeur: Sme3to shi (Vous avez entendu quelque-chose)?
Lors de ces échanges, certains en oublient même leurs craintes. En effet, lorsqu’on n’a jamais entendu un Jidarsot, on peut aisément le confondre avec un bombardement. Puis, quand on devient expert, on attend le second «boum». Cela arrive toujours en deux temps, semble-t-il.
Je retiendrai quelques phrases d’internautes dont l’humour a même réussi à détendre mon amie flippée de la montagne: «Pas assez fort, le pet de mon chat est plus fort!». «Je n'ai pas entendu de Jidarsot aujourd'hui, malheureusement, je pense que le Jidar me déteste». “It was chill, fakart sawt khezzen el may” (C’était cool, j’ai cru que c’était le bruit de la citerne d’eau). «Honnêtement, je ne me suis pas pissé dessus cette fois-ci. Gagnant. Yes»
«Rien ne peut arrêter la joie de vivre des Libanais»
«Regarde, regarde vite cette vidéo, l’humoriste Amine Radi est génial, les Libanais inspirent même les franco-marocains!» dit le second message que je reçois, cette fois, sur Instagram.
Intriguée, je clique alors sur la vidéo de l’influenceur aux plus de 2 millions de followers intitulée: «Ma vie au Liban. Rien ne peut stopper la joie de vivre des Libanais».
On y voit notamment un jeune homme qui fume sa chicha pendant qu’un avion franchit le mur du son, un autre qui sirote un verre tranquillement en terrasse, des gens qui dansent jusqu’au bout de la nuit dans une boîte de nuit branchée ou encore une maman qui demande à son ado qui a eu peur et s’est caché sous la table, «s’il voulait une tétine».
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Objectif plutôt réussi : en un instant, j’en oublie mon angoisse grandissante depuis mon retour sur ma terre natale et celle de toute une population qui se débat depuis des années dans des crises aux multiples visages: politique, institutionnel, financier, social et psychologique. Une population qui lutte dans un pays sans président depuis le 31 octobre 2022 et avec un gouvernement qui n’en a que le nom. Avec, cerise sur le gâteau, une guerre qui dure depuis dix mois déjà au Liban-Sud entre le Hezbollah et Israël. Une guerre dont tout le monde se serait bien passé d’ailleurs, pour une cause non libanaise en plus. Ça, c’est le pompon!
Pour ceux qui ne le savent pas encore, depuis des semaines, les habitants de mon si joli pays, du moins ce qu’il en reste, vivent eux aussi la boule au ventre, effrayés par des Jidarsot et parfois aussi par des menaces israéliennes de «détruire Beyrouth» si le Hezbollah pousse le bouchon trop loin en visant le cœur d’Israël.
Être Libanais, c’est un métier !
Déjà le 12 août 2020, juste huit jours après la double explosion au port de Beyrouth qui a éventré la capitale, faisant plus de 235 morts, 6.500 blessés et 300.000 déplacés, un comédien et metteur en scène belge d’origine libanaise, Roda Fawaz, avait montré l’étendue du talent et de l’inventivité dans l’ADN libanais en temps de drame!
Après avoir confié son effroi sur une chaîne télévisée française lorsqu’il avait appris la nouvelle apocalyptique, alors qu’il se trouvait à l’autre bout de la France, il avait même dit ces mots révélateurs: «Être Libanais, ce n'est pas une nationalité. C'est un métier. Qu’est-ce que tu fais dans la vie? Je suis libanais. Oui, c’est vrai, être Libanais, c’est un métier. Un métier qui se transmet de génération en génération (…) avec les traumatismes qui vont avec. Un drone israélien qui traverse la frontière, et c’est tous les Libanais qui frémissent. (…) Être Libanais est un métier répétitif qui consiste à basculer en permanence entre l’espoir et le désespoir».
Tristement, je clôturerai ce billet d’humeur, voire d’humour – je vous en laisse seul juge – par une question: quand les Libanais (NOS POLITICIENS) si inventifs et que l’on dit si résilients utiliseront-ils donc leurs neurones pour sauver leur pays et bâtir enfin un État de droit?
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