Ligne bleue: une ligne de retrait, pas une frontière

 
Le 8 octobre 2023, le Hezbollah a ouvert, au Liban-Sud, un «front de soutien» au Hamas dans sa guerre contre Israël, déclenchée la veille. Depuis lors, plusieurs voix internationales et locales, notamment celles de la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban (Finul), se sont élevées pour appeler à la cessation des tirs de part et d’autre de la Ligne bleue et à l’application intégrale de la résolution 1701 du Conseil de sécurité.
On a souvent tendance, à tort, à considérer cette ligne comme la frontière entre le Liban et Israël. Mais qu'est-ce que la Ligne bleue, en réalité?
 Une ligne de retrait établie en 2000
En juin 2000, les Nations unies ont tracé une ligne de retrait de 120 km, appelée Ligne bleue, pour confirmer le retrait total de l’armée israélienne du territoire libanais. Cette mesure a été mise en place après vingt-deux ans d'occupation militaire du Liban-Sud, depuis l'invasion de 1978.
«Cette ligne ne constitue en aucun cas une frontière internationale et n'affecte pas les futurs accords frontaliers entre le Liban et Israël», indique le dossier de presse publié par la Finul sur son site officiel.
Le 22 mai 2000, le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan avait déjà publié un rapport sur l’application des résolutions 425 et 426 (1978) du Conseil de sécurité. Ces résolutions stipulent le retrait d’Israël de l'ensemble du territoire libanais et établissent la Finul.

Cependant, la présence de l’État hébreu au Liban a duré vingt-deux ans, au cours desquels plusieurs opérations militaires ont eu lieu: les opérations Litani (1978), Paix en Galilée (1982), Règlement de comptes (1993) et Raisins de la colère (1996).
Hicham el-Achkar (2012), d’après George Solley (1987)
«Le 17 avril 2000, j’ai formellement reçu notification du gouvernement israélien de son intention de retirer les forces israéliennes du Liban à partir de juillet 2000», peut-on lire dans le rapport de M. Annan. Sur la base de cette notification, le secrétaire général a entrepris les démarches nécessaires pour superviser le retrait israélien sous l’égide des Nations unies.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la demande de «déterminer le tracé d’une ligne devant être adoptée conformément aux frontières internationalement reconnues du Liban, en se basant sur les meilleures informations disponibles, notamment cartographiques», selon le texte. Le rapport mentionne à cet égard la frontière internationale entre Israël et le Liban, «établie conformément à l'accord de 1923 entre la France et la Grande-Bretagne», en notant que ce tracé «a été confirmé dans l'accord d'armistice général israélo-libanais signé le 23 mars 1949».
Conformément à cette initiative, le commandant en chef de la Finul a officiellement transmis aux parties concernées, le 6 juin 2000, une carte de la ligne de retrait, ou Ligne bleue. Le 23 juin, une liste de 198 coordonnées délimitant la Ligne bleue sur toute sa longueur a été envoyée séparément aux parties. Ces deux documents demeurent la seule source officielle pour la ligne de retrait.
Alors que le Liban a accepté à la fois la carte et la liste des coordonnées, Israël n'a accepté que la carte comme seule source officielle. Les deux parties se sont engagées à respecter cette ligne dans son intégralité, telle qu'identifiée par les Nations unies, en acceptant que la Finul soit le seul gardien de la Ligne bleue et l’arbitre final en cas de violation.
Par ailleurs, les deux pays ont exprimé des réserves concernant certains points le long de la ligne de retrait. Le Liban conteste 13 zones, dont les fermes de Chebaa et les collines de Kfarchouba. Israël n'a, de son côté, toujours pas précisé le nombre ni la localisation de ses réserves.
Hicham el-Achkar, 2012, d’après l’armée libanaise
La Ligne bleue rendue visible
Au printemps 2007, la Finul a lancé un projet pour marquer visiblement la ligne de retrait sur le terrain, en collaboration avec les parties concernées. L’objectif était de clarifier l’emplacement de la ligne pour la population et les troupes, afin de prévenir les violations et les franchissements involontaires.
La Finul a estimé qu'il serait nécessaire de placer plus de 541 marqueurs sur une distance de 120 km, soit environ 4 marqueurs par kilomètre, pour assurer une bonne visibilité de la ligne.
En mars 2023, 272 marqueurs avaient déjà été installés. Chaque point marqué fait l’objet d’un accord mutuel avec les parties avant qu’un marqueur ne soit érigé et rendu visible par un baril bleu.
Le général Luciano Portolano, chef de la mission et commandant de la Finul, avec les généraux Antoun Mourad et Hassan Bachrouch de l’armée libanaise, lors du marquage de la Ligne bleue dans les environs de Kfar Kila, en juillet 2017. Source: Site officiel de la Finul

La ligne d’armistice de 1949



L’accord d’armistice entre Israël et le Liban a été signé à Ras el-Naqoura le 23 mars 1949. Ce document fait partie d’une série d’accords bipartites conclus en 1949 sous l’égide de l’ONU, entre Israël et quatre de ses pays voisins: la Syrie, l’Égypte, la Jordanie et le Liban.
Ces accords ont été signés à la suite de la première guerre israélo-arabe, qui a éclaté après la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Cette guerre, connue sous le nom de Guerre de Palestine (15 mai - 11 juin 1948), avait pour objectif de défendre le peuple palestinien contre l'expansion du nouvel État hébreu.
Le 7 janvier 1949, un cessez-le-feu met fin aux hostilités, et les négociations débutent à Rhodes le 12 janvier.
L’accord libano-israélien de 1949 établit une ligne de démarcation d'armistice, une limite que les forces armées ne doivent pas franchir. À l'intérieur de cette zone, les effectifs militaires sont censés avoir un rôle défensif.
La ligne d’armistice de 1949 suit la frontière internationale entre le Liban et la Palestine, telle que définie par l'accord Paulet-Newcombe du 7 mars 1923. Cet accord, signé entre la France et le Royaume-Uni, délimitait les frontières entre les mandats du Grand Liban (à l'époque sous administration française) et de la Palestine (sous administration britannique). Ce fut la première délimitation officielle entre ces deux territoires.
La ligne de démarcation de 1923 est devenue la référence pour la frontière, avec certaines modifications introduites par les accords ultérieurs.
En 1949, la commission d'armistice a repris les 38 points de séparation établis par l'accord Paulet-Newcombe et en a ajouté de nouveaux, portant le total des points de la ligne frontalière à 141.

La frontière officielle de 1923
L'accord Paulet-Newcombe, signé le 7 mars 1923, détermine la limite entre les territoires de la Syrie et du Liban, sous mandat français, et la Palestine, sous mandat britannique. Cet accord est le fruit du travail de deux lieutenants-colonels, le Français Paul Paulet et le Britannique Bristol Newcombe, chargés de délimiter les frontières et de rédiger le document.
L'accord découle des discussions menées lors de la convention franco-britannique du 23 décembre 1920, qui portait sur les frontières entre la Syrie, le Liban et la Palestine. Le rapport de clôture, rédigé le 3 février 1922, présente le tracé des frontières et est soumis à la Société des nations, l'ancêtre de l'ONU. Ce rapport est accompagné de trois cartes illustrant le tracé proposé par la Commission.
La convention identifie 38 points de repères pour les frontières entre le Liban et la Palestine. Cet accord s'inscrit dans le cadre du découpage des zones d'influence mandataire dans la région du Proche-Orient, amorcé par les accords Sykes-Picot de 1916.
Archives nationales du Royaume-Uni
Au lendemain de la Première Guerre mondiale et de la chute de l’Empire ottoman, la France et la Grande-Bretagne définissent les frontières pour départager les États placés sous leurs autorités respectives.
 

La Ligne bleue dans la résolution 1701
À la suite de la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 11 août 2006, la résolution 1701. Cette résolution appelle à la cessation totale des hostilités et renforce le mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).
La résolution 1701 stipule notamment la création d’une zone tampon, définissant la zone au sud du Litani comme «démilitarisée». Conformément à cette résolution, le Hezbollah et d’autres milices, notamment palestiniennes, ne peuvent pas maintenir une présence armée dans cette zone.
Le texte de la résolution 1701 appelle également au respect de la Ligne bleue et souligne l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance politique du Liban à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, «comme le stipule l’accord d’armistice du 23 mars 1949».
D’ailleurs, la Ligne bleue est décrite comme «la meilleure approximation de la ligne frontalière de 1923 et de la ligne de démarcation de l’armistice de 1949», selon le dossier de presse de la Finul.
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