Quid du rapprochement turco-égyptien dans le contexte politique actuel?

L’accueil exceptionnel réservé au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi lors de sa visite à Ankara ne constitue pas le seul élément à considérer pour comprendre les perspectives d’avenir des relations entre l'Égypte et la Turquie. Depuis que la Turquie a qualifié la destitution de l’ancien président égyptien Mohamed Morsi en 2013 de «coup d’État», les relations entre les deux pays ont été empreintes de fortes tensions, marquées par des divergences sur de nombreux dossiers régionaux et des divergences bilatérales persistantes.
Cette visite de M. Sissi fait suite à celle du président turc Recep Tayyip Erdogan au Caire en février, laquelle a marqué la fin de près d'une décennie de rupture et de tension. Cette rencontre a permis la tenue de la première réunion du Conseil de coopération stratégique, visant à renforcer les relations entre l'Égypte et la Turquie, tout en favorisant une coopération et coordination accrues dans divers domaines.
Il ne fait aucun doute que l'influence politique du Caire et d'Ankara à l'échelle régionale implique que leur rapprochement, tant politique qu'économique, aura des répercussions majeures sur les équilibres des forces dans la région, ainsi que sur les alliances et les perspectives de coopération entre les principaux acteurs du Moyen-Orient. Plusieurs dossiers, à l'instar de la guerre civile en Libye, pourraient bénéficier de manière positive de cette nouvelle dynamique entre la Turquie et l'Égypte.
En effet, les deux pays ont longtemps adopté des positions diamétralement opposées sur la question libyenne. Tandis que Le Caire a soutenu le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle l'est du pays, Ankara a appuyé Fayez al-Sarraj, puis Abdelhamid Dbeibah, le chef du Gouvernement d'union nationale (GNU), reconnu internationalement et exerçant son autorité sur l'ouest de la Libye.

Cette embellie des relations entre les deux pays pourrait, d'une manière ou d'une autre, contribuer à réduire les divisions internes en Libye et à sortir le pays de l'impasse dans laquelle il s'est enfoncé après la chute du colonel Mouammar Kadhafi, qui l’a dirigé pendant près de 42 ans.
Alors que l'Égypte cherche à renforcer son accès à l'Europe dans les domaines de l'énergie et du commerce via la Turquie, un partenaire stratégique clé, l'intérêt croissant de la Turquie pour les évolutions du conflit dans la bande de Gaza a rendu l'Égypte un passage incontournable pour acheminer l'aide turque vers ce territoire sinistré. Cette question a pris encore plus d'importance pour Ankara, notamment après la détérioration des relations entre la Turquie et Israël. Cette détérioration s'explique par la dénonciation turque des crimes contre l'humanité commis à Gaza, son intervention dans le procès pour génocide lancé par l'Afrique du Sud, et son appel à juger le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.
Un autre aspect important de l'amélioration des relations bilatérales est le développement récent de la coopération militaire. L'Égypte mise beaucoup sur ce partenariat, en particulier à la suite de l'accord conclu avec Ankara pour l’acquisition de drones modernes fabriqués en Turquie, un atout crucial pour renforcer ses capacités de défense.
De plus, la coopération entre les deux pays devrait aller crescendo après la signature de 17 accords couvrant des domaines variés tels que le tourisme, l'énergie, le secteur financier, l'industrie, et d'autres encore, ainsi que la création de zones industrielles dans la nouvelle capitale administrative de l'Égypte. Par ailleurs, les échanges commerciaux devraient passer de 10 à 15 milliards de dollars dans un premier temps, avec d’autres initiatives à venir pour stimuler encore davantage cette dynamique.
Ce changement ne doit pas être sous-estimé dans le contexte régional actuel. Il aura des effets notables sur les Frères musulmans, qui ont récemment proposé aux autorités égyptiennes de se retirer de l'activité politique en échange de l’amnistie pour leurs dirigeants et d'une certaine marge de manœuvre. Le rapprochement officiel entre les gouvernements égyptien et turc influencera assurément cette organisation et d'autres mouvements politiques islamistes dans la région.
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