Translation du corps du cardinal Aghagianian aujourd’hui à Beyrouth

Figée par les communiqués officiels marqués par la sécheresse des fonctions et des dates, la figure du cardinal Grégoire Pierre XV Aghagianian (1895-1971), commence à s’animer à mesure que les motivations de la translation de ses restes mortels au Liban deviennent plus claires.
C’est à sa demande que cette translation, qui prend aujourd’hui une tournure solennelle, place des Martyrs, est faite. Né en Géorgie en 1895, , scolarisé en interne à Rome dès son jeune âge, brillant élève, il avait gravi l’échelle des plus hautes fonctions, sans jamais oublier ses racines. Naturalisé libanais à l’Indépendance (1943), alors qu’il est déjà élu patriarche des Arméniens-catholiques, l’une de ses dernières volontés fut en effet, d’être enterré en terre libanaise, précisément au couvent de Bzommar (Kesrouan), siège du patriarcat de l’Église arménienne-catholique qu’il gouverna entre 1937 et 1962, avant de la confier à des mains plus libres, pour se consacrer aux préparatifs du Concile Vatican II.
Toutefois, pour des raisons de proximité, le patriarche arménien-catholique actuel, Raphaël Bedros XXI, a préféré que sa tombe reste accessible, à l’intérieur de la cathédrale des saints Grégoire l’Illuminateur et Elie, place Debbas, en prolongement immédiat de la place des Martyrs.
Si le patriarche Raphaël Bedros a pris cette liberté, c’est parce que c’est à son initiative que l’on doit la réouverture du caveau de l’église arménienne de Saint-Nicolas de Tolentino, à Rome, où reposait le corps de son prédécesseur. Et il y a une raison à cela: c’est en effet à lui, jeune séminariste arménien à Rome, qu’avait été confiée la garde de la dépouille mortelle du cardinal, exposée trois jours durant à la vénération des fidèles. Cette veille funéraire lui avait permis de remarquer qu’une sueur exsudait inexplicablement du corps du défunt, un phénomène que ses supérieurs lui ont demandé d’ignorer. Il avait porté cette énigme avec lui, de longues années durant, dans l’intuition qu’il s’agissait d’un signe de Dieu. Et le temps lui a donné raison. À l’ouverture du cercueil faite à sa demande, en 2022, c’est une dépouille bien conservée qui s’est offerte aux yeux des témoins.
Et c’est devant les yeux stupéfaits de plusieurs milliers de personnes – du jamais vu au Liban- , et d’un aréopage de personnalités civiles et religieuses de tous bords, que le patriarche Raphaël Bedros a eu l’audace, jeudi, de vouloir montrer cette merveille de sainteté qu’est un corps incorrompu, sans aucun artifice d’embaumement.


Acheminé directement de l’aéroport vers la Place des Martyrs, porté par des hommes représentant symboliquement toutes les confessions libanaises, le catafalque où reposait sous verre le corps du cardinal Grégoire Pierre Aghagianian, a traversé l’allée centrale au milieu de nuages d’encens et de trombes de confettis. Seuls le chef et les mains du corps étaient visibles, le corps étant revêtu des habits rouges de cardinal.  Exposé durant la cérémonie au centre d’une reproduction en stuc du portail d’entrée du couvent de Bzommar, le corps devait remonter ensuite l’allée centrale et la rue conduisant à l’église saint Grégoire l’Illuminateur ( dont il fut le promoteur), où il reposera.



Aucune autre exposition de la dépouille n’est prévue, en attendant qu’une procès de béatification soit couronné de succès. Pour le moment, le cardinal défunt est tenu simplement pour Vénérable, ou Serviteur de Dieu, en vertu d’un procès canonique ouvert à Rome en 2022. Ce titre atteste quand même de « l’héroïcité de ses vertus », ce qui dit tout de l’homme.

Inclination préférentielle
Les hautes fonctions que le cardinal Aghagianian a occupées, la présidence du Dicastère pour l’évangélisation (anciennement Propagande Fide, 1958-1970),  la fonction de légat qui l’a conduite en Chine nationaliste, en Inde ou en Thaïlande, la fonction de modérateur durant le Concile Vatican II, le fait qu’il ait été considéré comme «papabile», l’œuvre considérable qu’il a accomplie au Liban d’abord comme évêque, ensuite comme Catholicos des Arméniens-catholiques, les écoles et dispensaires qu’il a fondés, plaident tous en faveur d’un homme de Dieu entier dans son désir de servir l’Église catholique et en même temps d’un homme de cœur intraitable quand il s’agit de la cause des petits et des exclus.
Toutefois, de ces fonctions officielles qu’il a occupées, le choix de reposer en terre libanaise dit tout de l’inclination préférentielle de son cœur pour le redressement du «petit troupeau» échappé de l’impitoyable génocide de 1915 et qui avait choisi le Liban pour seconde patrie.
Le geste du patriarche Raphaël Bedros, les paroles qu’il prononcera en présence du patriarche maronite, du Premier ministre intérimaire Najib Mikati et des officiels présents, confirmera le Liban dans sa vocation de terre de saints et de sainteté, de terre de convivialité islamo-chrétienne et de «message de pluralisme pour l’Orient et l’Occident» comme l’avait proclamé saint Jean-Paul II.
«Tous les Libanais espèrent qu’avec l’arrivée de la dépouille mortelle du patriarche Aghagianian, une fumée blanche s’élèvera de cette région pour annoncer la bonne nouvelle de l’élection d’un nouveau président de la République», devait déclarer M. Mikati, embrayant sur l’actualité.

En fin de cérémonie, le cercueil du Serviteur de Dieu fut transporté de la place des Martyrs, lieu symbolique de rassemblement de tout le peuple libanais, vers la cathédrale de saint Grégoire l’Illuminateur, par des bras chrétiens et musulmans.
C’est de là et de plus haut que, comme Thérèse de Lisieux qui a promis de «passer son ciel à faire le bien sur la terre», le cardinal Aghagianian aidera ses frères et ses sœurs qui se confieront à son intercession. Il l’a promis à ceux qui venaient à son chevet, dans ses derniers jours, après qu’il eut perdu la vue. «Je ne puis rien pour vous, maintenant, faisait-il. Mais si Dieu veut, je le pourrai après ma mort.» C’est dans cet état qu’il avait lancé sa phrase la plus célèbre quand, avant de rendre son dernier souffle, il avait lancé les mots «j’ai soif», comme l’avait fait son Maître en croix; et que, voyant le verre d’eau qu’on lui apportait, il s’est écrié: «J’ai soif de votre salut.»
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