Ce samedi 21 septembre marque le dixième anniversaire de la prise de Sanaa, la capitale du Yémen, par les Houthis. En une décennie, le régime houthi a profondément transformé le pays, mettant fin à sa libéralisation naissante pour instaurer un État policier théocratique de plus en plus radicalisé.
Il y a dix ans, le 21 septembre 2014, les Houthis annonçaient la prise de Sanaa, la capitale du Yémen. Après six mois d'offensive éclair, ils avaient quitté leur bastion montagneux à Saada pour s'emparer de la ville, entraînant la perte de 200 vies humaines.
Dès le lendemain, les Houthis ont signé un accord de cessez-le-feu visant à intégrer le mouvement politique zaydite au sein du gouvernement, ouvrant ainsi la voie au retrait de leurs forces et à la poursuite de la transition démocratique en cours dans le pays.
Pendant ce temps, des combattants houthis ont assiégé la maison à Sanaa du général Ali Mohsen el-Ahmar, l'un de leurs principaux rivaux au sein du gouvernement. Cet incident se révèle, avec le recul, être un signe avant-coureur inquiétant de la mainmise de plus en plus autoritaire des Houthis sur le pays.
Une décennie de progrès perdue
Dix ans plus tard, le Yémen a été profondément transformé, sa libéralisation démocratique, encore fragile, ayant été étouffée par les Houthis, qui ont érigé un État policier théocratique de plus en plus isolé.
Dans les jours exaltants du Printemps arabe, le règne de 33 ans du président Saleh a été renversé par la mobilisation de la rue yéménite, ouvrant la voie à une période d’ouverture et d’optimisme à travers le pays.
«Nous avons assisté à un phénomène croissant de mixité entre hommes et femmes dans les cafés, les écoles et les universités. Il y avait des partis politiques, une forme de démocratie, ainsi qu'une liberté d’expression et de la presse», témoigne Maysaa Shuja el-Deen, chercheuse principale au Centre de recherche stratégique de Sanaa.
Cependant, depuis la prise de pouvoir des Houthis, «le pays a perdu une décennie de progrès; les genres sont désormais séparés, la situation politique est figée, et il n'existe ni liberté d'expression ni liberté de la presse. La plupart des journalistes ont soit fui, soit sont emprisonnés, et il n'y a plus d'opposition ni de partis politiques.»
«Ils cherchent à transformer la société plutôt qu'à se remettre en question, car ils sont conscients que nous ne les accepterons jamais tels qu'ils sont», affirme Mme Shuja el-Deen.
Au cours de la dernière décennie, les Houthis ont consolidé leur emprise sur la politique yéménite. Le Comité révolutionnaire suprême, établi peu après leur prise de Sanaa comme organe de gouvernance temporaire pour intégrer divers éléments de la société yéménite, a été largement écarté.
De plus, «les Houthis ont mis en place un système de gouvernance parallèle en nommant des partisans à des postes administratifs de bas niveau, préparant ainsi le terrain pour une prise de contrôle totale de l'État, les individus non affiliés aux Houthis étant désormais largement exclus des institutions étatiques», explique à Ici Beyrouth Luca Nevola, spécialiste du Yémen à l'ACLED (Données sur les lieux et les événements des conflits armés).
Radicalisation anti-occidentale
Avec un pouvoir de plus en plus concentré, le mouvement impose sa vision du Yémen avec plus d’assurance.
«L’idéologie des Houthis repose sur deux piliers : une rhétorique politique anti-impérialiste et anti-occidentale, ainsi qu’une position religieuse zaydite ésotérique sur les questions sociales», explique M. Nevola.
Les Houthis, tout comme les autres groupes de «l’axe de la résistance» dirigé par l'Iran, se perçoivent comme la première ligne dans la lutte de l’Oumma (communauté des musulmans) contre l'Occident. Ce sentiment prophétique de justification religieuse a favorisé «une vision manichéenne de la société yéménite, divisée entre alliés et ennemis», leur permettant ainsi de légitimer leur répression et d'adopter des stratégies d’endoctrinement de plus en plus radicales.
Sous les Houthis, l’éducation a été profondément touchée. «Ils ont imposé des cours de 'culture' à tous les étudiants et fonctionnaires, où ils diffusent les discours de Hussein al-Houthi (le fondateur du mouvement) et enseignent les mérites de l’idéologie houthie», explique Mme Shuja el-Deen.
«Ils militarisent aussi la jeune génération. Ils ont intégré des cours militaires dans le programme scolaire, où les élèves apprennent à manier des armes légères et à utiliser des tactiques militaires. Ils organisent également des camps d’été idéologiques pour préparer la prochaine génération de combattants.»
Parallèlement, la société subit une propagande croissante et un culte de la personnalité de plus en plus prononcé autour de leur leader, Abdel Malik al-Houthi.
Les médias étrangers ont été complètement réprimés, les Houthis exerçant un contrôle strict sur les informations auxquelles la population a accès. Les rues sont bordées de messages de propagande, glorifiant les dirigeants et les martyrs du groupe. L'establishment religieux sunnite a été contraint de se plier à leurs règles, et les discours des imams sont étroitement surveillés pour tout signe de dissidence.
Montée du fondamentalisme zaidite
La nature théologique du mouvement a conduit à une islamisation de plus en plus conservatrice de la société yéménite.
Alors que l’ancien président Saleh mettait en avant le concept du «Yémen républicain» et une identité nationale arabe, les Houthis prônent désormais une «identité de foi» comme fondement de l’appartenance nationale, rapporte M. Nevola.
«Ils sont en train de bâtir un État islamique, c'est indéniable», affirme Mohammed el-Bacha, analyste du Yémen au sein du groupe Navanti. «Ils deviennent une version zaydite des talibans.»
Leur ferveur religieuse devient de plus en plus manifeste, tant dans leurs discours que dans leurs actions.
Selon M. Al-Bacha, le culte de la personnalité entourant Abdul-Malik al-Houthi a pris une ampleur nouvelle. Il n’est plus simplement le leader des Houthis, mais est désormais perçu comme le Mahdi, le sauveur de l’Oumma, destiné à détruire l’empire judéo-américain aux portes d’Al-Qods.
L’ACLED a documenté plusieurs cas d’imposition de pratiques religieuses zaydites à la population sunnite. Sous couvert de jurisprudence islamique, les droits des femmes, difficilement acquis après le Printemps arabe, ont été progressivement bafoués. La séparation des sexes s’étend dans les écoles, les universités et la vie publique. Les codes vestimentaires, autrefois plus souples, sont devenus bien plus stricts, avec un nombre croissant de femmes portant le niqab.
Les femmes ne peuvent plus voyager entre les villes sans être accompagnées d'un chaperon masculin. Malgré la précarité économique, de nombreuses femmes continuent de travailler, mais leurs perspectives de progression professionnelle se réduisent de plus en plus.
«Avant l’arrivée des Houthis, des femmes occupaient des postes de fonctionnaires, de députées, et même de ministres », souligne M. El-Bacha. «Aujourd'hui, tout cela a disparu, et les Houthis remplacent systématiquement les femmes par des hommes dans tout le secteur public.»
Une économie brisée
L'économie du Yémen est en crise sous le régime des Houthis. Bien que le pays ait toujours été pauvre, une guerre civile de huit ans contre le gouvernement reconnu internationalement, accompagnée d'un blocus économique sévère, a fait du Yémen «la plus grande catastrophe humanitaire du monde», selon l'ONU.
Animés par une profonde méfiance, les Houthis ont refusé d'utiliser la monnaie émise par le gouvernement reconnu internationalement, aggravant ainsi la pénurie de liquidités.
Au cours de la dernière décennie, les générations ont épuisé leurs économies, leurs biens et leurs bijoux simplement pour survivre à la guerre, et la classe moyenne a pratiquement disparu. Parallèlement, «une nouvelle classe de millionnaires a émergé, tous liés aux Houthis», souligne M. El-Bacha.
Le contrôle économique des Houthis a de graves conséquences humanitaires. Les importateurs de produits alimentaires manquent de fonds pour assurer leurs approvisionnements, ce qui exacerbe la crise alimentaire dans le pays.
Les Houthis ont également ciblé systématiquement les acteurs «étrangers» comme l'ONU et les organisations humanitaires internationales. En juin dernier, ils ont arrêté onze employés de l’ONU ainsi que trois membres d’une organisation locale de défense des droits humains, les accusant d’appartenir à un réseau d’espionnage américano-israélien.
Les Houthis cherchent également à «mettre la main sur l’aide internationale au Yémen», en veillant à ce que les recrues yéménites leur soient fidèles et en imposant l’embauche d’entreprises affiliées pour détourner les fonds humanitaires à leur profit. Cette stratégie a entraîné un exode massif des organisations d’aide internationales, qui redirigent désormais leurs ressources vers d’autres crises, notamment celles au Soudan, en Palestine et à Gaza.
Dix ans après leur accession au pouvoir, le Yémen est plongé dans une guerre civile dévastatrice, et tout espoir de libéralisation a été écrasé par un État policier théocratique de plus en plus radical. Le conflit à Gaza n’a fait qu’affermir la position des Houthis, laissant présager un avenir encore plus sombre pour le pays.
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