Le ministre des Affaires étrangères du Liban ou du Hezb?

Le ministre libanais des Affaires étrangères s'est écarté du sujet principal lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU: plutôt que de défendre la cause libanaise face au jeu des puissances sur son sol, il a renforcé l'association avec ces dynamiques, en établissant un lien direct entre la situation au Liban-Sud et celle de Gaza.
L'apathie générale a été brièvement brisée mardi dernier, lorsque le secteur médical libanais s’est mobilisé pour prendre en charge des milliers de blessés, victimes de l’explosion de dispositifs de communication (bipeurs). À titre d’exemple, le quartier d'Achrafieh a été paralysé par un immense embouteillage, résultat des mesures d’urgence mises en place pour permettre aux ambulances, venant de la banlieue sud de Beyrouth, de transporter les blessés vers les hôpitaux du secteur.
Hormis cet incident isolé, les Libanais sont réduits, depuis plus de onze mois, à de simples spectateurs. En effet, le Hezbollah les accuse de trahison s'ils osent remettre en question l'ouverture d'un front par ce dernier au sud du Liban, le 8 octobre.
Quant aux autorités libanaises, elles se sont montrées dociles vis-à-vis du Hezbollah. Cette allégeance a culminé lors de la session du Conseil de sécurité des Nations unies vendredi dernier. L’intervention d’Abdallah Bou Habib, ministre sortant des Affaires étrangères, en est un parfait exemple, incarnant ceux qui suivent aveuglément le plus fort, même au mépris du droit et de la justice.
Que dit M. Bou Habib dans son discours lors de cette session consacrée à la situation au Liban et au Moyen-Orient?
À la manière de Tarek ibn Ziyad affirmant que «la mer est devant vous, et l’ennemi derrière», il a lancé à la plus haute instance internationale: « La guerre est en face de vous, tandis que les résolutions 1701 et 2735 moisissent dans vos tiroirs. Le choix est entre vos mains: allez-vous agir rapidement et fermement pour arrêter les tambours de guerre qui résonnent aux portes du Moyen-Orient, ou sommes-nous de simples spectateurs face à cet effet boule de neige?»
Que le ministre libanais des Affaires étrangères appelle à l’application de la résolution 1701, qui avait mis fin à la guerre de 2006, est compréhensible. Ce qui est plus difficile à saisir, tant pour la communauté internationale que pour les Libanais, c’est pourquoi il a lié cette résolution à la 2735, adoptée par le Conseil de sécurité le 10 juin dernier. Celle-ci proposait, le 31 mai, un nouveau cessez-le-feu, qui fut accepté par Israël, et exhortait le Hamas à faire de même, demandant aux deux parties de respecter les termes sans délai ni conditions.
Pourquoi associer ces deux résolutions? La réponse semble évidente: depuis plus de onze mois, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, répète que les combats au Sud prendront fin lorsque la guerre à Gaza cessera. M. Bou Habib n’a peut-être pas repris ses mots exacts devant le Conseil de sécurité, mais son discours en était une réplique fidèle.
Quel était le climat au Conseil de sécurité lorsqu’il a prononcé son discours? Selon un rapport du New York Times, plusieurs membres du Conseil ont appelé à une enquête sur les opérations menées au Liban, largement attribuées à Israël.
Rappelons que ces opérations ont consisté à faire exploser des dispositifs de communication et des bipeurs utilisés par les militants du Hezbollah, faisant des dizaines de morts et des milliers de blessés, y compris de nombreux enfants. La nature de ces attaques, qui ont transformé des objets du quotidien en armes, a déclenché une vague d'indignation.
Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, a exprimé son inquiétude: «Ces attaques marquent un nouveau tournant dans la guerre, où les outils de communication se transforment en armes, explosant simultanément dans les marchés, les rues et les maisons, affectant le cours de la vie quotidienne.» Il a également dénoncé la terreur qu'elles ont semée parmi les Libanais, qui craignent désormais que n’importe quel appareil n’explose.

Türk s’est indigné de cette nouvelle réalité et a appelé à une enquête «indépendante, transparente et exhaustive» pour traduire en justice les responsables de ces violations flagrantes des lois de la guerre et des droits de l’Homme. D'autres membres du Conseil ont soutenu cette demande. 
Pascale Baeriswyl, représentante de la Suisse, a exprimé sa «profonde inquiétude» face à ces explosions et a insisté sur la nécessité d’élucider les circonstances de ces attaques. Elle a rappelé que dans la guerre,  «il y a des règles».
Amar Benjamaa, représentant de l'Algérie, a, quant à lui, qualifié ces attaques d’«événements sans précédent» qui ont ouvert une «boîte de Pandore dangereuse».
D’autres membres ont toutefois souligné la responsabilité du Hezbollah dans l’escalade des tensions, ainsi que celui de ses soutiens en Iran.
Cependant, d'autres membres ont attiré l'attention sur le rôle du Hezbollah dans l’escalade des tensions, ainsi que sur celui de ses soutiens en Iran. Ainsi, Robert Wood, ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU, a rappelé que le Conseil ne pouvait ignorer l'origine du conflit entre Israël et le Hezbollah. Il a accusé le Hezbollah d’avoir déstabilisé la région en attaquant la frontière nord d'Israël en solidarité avec le Hamas après l'attaque du 7 octobre, qui a déclenché la guerre à Gaza.
James Kariuki, représentant britannique, a adopté un point de vue similaire, affirmant que «le Hezbollah a lancé une attaque injustifiée contre Israël le 8 octobre 2023», rappelant le soutien de la Grande-Bretagne au «droit d’Israël de défendre ses citoyens».
Les représentants britanniques et américains ont également dénoncé le rôle de l’Iran dans l’alimentation des tensions en armant le Hezbollah, accusant Téhéran de compromettre les espoirs du peuple libanais de vivre en paix.
Toutefois, l'ensemble des membres du Conseil ont appelé à la retenue, exhortant toutes les parties à éviter une escalade qui pourrait entraîner une guerre régionale. «Il est temps de calmer les esprits», a conclu M. Kariuki.
En résumé, le discours de M. Bou Habib, loin de protéger les intérêts du Liban, a davantage ancré le pays dans le jeu des puissances régionales. Plutôt que de dissocier la situation libanaise du conflit à Gaza, il a renforcé cette association en liant le Liban-Sud à Gaza.
À la suite de cette réunion, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a annoncé qu’il reportait son voyage à New York, initialement prévu pour l’Assemblée générale des Nations unies. Dans un communiqué, M. Mikati a attribué cette décision aux «développements liés à l’agression israélienne contre le Liban», ajoutant qu’il s'était coordonné avec le ministre des Affaires étrangères pour définir les grandes orientations diplomatiques du pays.
Cela revient à dire que, selon M. Mikati, Abdallah Bou Habib joue pleinement son rôle de relais du Hezbollah, rendant inutile sa propre présence à New York.
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