L’emplacement stratégique du Liban en fait l’objet de convoitises internationales. La Chine ne fait pas exception et y voit une étape essentielle à sa Route de la soie. Devrait-on y voir une aubaine ou une menace ? Analyse.
Infrastructures portuaires et ferroviaires, autoroutes, oléoducs… La nouvelle route de la soie, dont le projet a été dévoilé en 2013 par le président Xi Jinping, entend relier la Chine à l’Europe. Elle se compose d’une ceinture terrestre traversant l'Asie centrale et d’une route maritime, passant par l'Asie du Sud-Est, les pays du Golfe et l'Afrique du Nord. Le but : propulser la République populaire encore plus sur le devant de la scène économique mondiale en approfondissant sa coopération avec les 140 pays membres du projet, dont le Liban.
Dans le cadre de cette stratégie, s’alignent des accords de coopération, d’investissements ou d’achat d’infrastructures-clés. En commençant par l’Asie proche où, par exemple, une ligne ferroviaire en construction devrait s’inscrire dans un grand projet de chemin de fer transasiatique. Plus près du Liban, l’entreprise chinoise Cosco achète en 2016 le port grec du Pirée, dans le but de créer une plateforme logistique majeure en Méditerranée. Des dizaines d’autres projets sont en gestation : des autoroutes et des chemins de fer qui relieront l’Asie à l’Europe selon plusieurs itinéraires, des routes et infrastructures maritimes…
Pékin cherche manifestement à s’imposer comme une alternative à l’Occident. Une guerre commerciale qui figure en tête de son agenda diplomatique. Au Moyen-Orient, elle se traduit aussi par l’omniprésence des produits « made in China » depuis une dizaine d’années.
Le Liban au milieu
La Chine est, depuis des années, la première source d'importations libanaises. Mais l’intérêt chinois se situe au-delà de ce volet commercial qui reste quand même limité en volume. C’est le niveau géoéconomique qui importe. Connecté à des dizaines de pays, le port de Beyrouth est une infrastructure-clé du fonctionnement économique régional. Les offres concernant sa reconstruction, suite à l’explosion du 4 août 2020, met actuellement la Chine en concurrence avec d’autres pays, dont la France et l’Allemagne.
Mais une telle percée stratégique chinoise reste peu probable : « Le dossier du port est un dossier très politique », note Sami Nader, directeur du Levant Institute for Strategic Affairs. « Je ne pense pas que Washington laisserait faire, car cette façade de la Méditerranée est hautement stratégique à ses yeux », tout comme les tentatives de mainmise chinoise sur d’autres ports de la Méditerranée de l’Est.
Autre initiative : en 2019, le pays de Xi Jinping propose la construction d’une autoroute reliant Beyrouth à Damas et Alep. Sans réponse claire des responsables libanais, embourbés dans la crise qui venait de se déclencher. Mais en même temps, le port de Tripoli, rénové par la China Harbour Engineering Company, lui permet d’exercer une connectivité commerciale avec la Syrie, point de passage essentiel au succès de sa Route de la soie. Mais la Chine mise ici sur le long terme : autrefois perçue comme un acteur majeur de la reconstruction syrienne, elle préfère pour l’instant se tenir à l’écart des contraintes régionales. « Les Chinois ne naviguent jamais en eaux troubles. Donc ils attendent que les choses se tassent », analyse Sami Nader.
Le soft power
Les ambitions commerciales de la Chine s’assortissent d’une stratégie de « soft power » décomplexée, qui s’exprime par des partenariats culturels. Fin 2019, la Chine a offert de financer à hauteur de 62 millions de dollars un conservatoire de musique au nord de la capitale, dont la construction a démarré. Le 7 juillet dernier, l’ambassadeur de Chine au Liban annonce la création d’un centre culturel chinois à Beyrouth.
Toujours au niveau culturel, l’Institut Confucius établi sur l’un des campus de l’Université Saint-Joseph conclut un accord avec l’Université libanaise, entre autres, pour proposer l’enseignement du mandarin aux étudiants. Au Sud, c’est le bataillon chinois de la FINUL qui s’en charge dans un lycée de Tyr. Le volet humanitaire de leur mission – déminage, aide médicale, réhabilitation de routes – vise à promouvoir une image positive de la Chine.
Alliances régionales
Au niveau régional, Pékin peut compter sur sa proximité avec Moscou et Téhéran… et de facto avec le Hezbollah. Une alliance renforcée par l’accord de coopération entre l’Iran et la Chine est signé en mars dernier. « L’influence de la Chine s’inscrit dans une dynamique agressive qui remet en question le modèle occidental, le modèle démocratique et l’économie de marché », explique Sami Nader.
Dans ses discours, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, défend régulièrement un rapprochement avec la Chine et l’Est en général. Une alternative selon lui aux aides du Fond monétaire international et aux exigences de réformes qui l’accompagnent. Cette situation, couplée à l’absence d’aide financière des pays pétroliers, pousse doucement le Liban vers l’axe sino-iranien.
Pour autant, la Chine pourrait-elle permettre une sortie de crise au Liban ? Rien n’est moins sûr, comme en témoigne tristement sa célèbre diplomatie de la dette. Certains pays en ont profité, alors que d’autres ont déjà fait les frais de cette politique d’investissements massifs, assortie de taux d’intérêts élevés. Aux difficultés de remboursement, la Chine remédie en saisissant des actifs stratégiques. Ce fut le cas du port sri-lankais de Hambantota, qui lui a été cédé pour 99 ans. « Il y a peu d’équilibre entre la Chine et ses partenaires commerciaux », conclut Sami Nader.
Enfoncé dans sa crise économique, comment le Liban pourrait-il seulement rembourser ces prêts ? Alors que Pékin redistribue lentement les cartes de l’influence régionale, gare à ce qu’au Liban, le charme du dragon cache cache quelque part un certain cheval de Troie.
Infrastructures portuaires et ferroviaires, autoroutes, oléoducs… La nouvelle route de la soie, dont le projet a été dévoilé en 2013 par le président Xi Jinping, entend relier la Chine à l’Europe. Elle se compose d’une ceinture terrestre traversant l'Asie centrale et d’une route maritime, passant par l'Asie du Sud-Est, les pays du Golfe et l'Afrique du Nord. Le but : propulser la République populaire encore plus sur le devant de la scène économique mondiale en approfondissant sa coopération avec les 140 pays membres du projet, dont le Liban.
Dans le cadre de cette stratégie, s’alignent des accords de coopération, d’investissements ou d’achat d’infrastructures-clés. En commençant par l’Asie proche où, par exemple, une ligne ferroviaire en construction devrait s’inscrire dans un grand projet de chemin de fer transasiatique. Plus près du Liban, l’entreprise chinoise Cosco achète en 2016 le port grec du Pirée, dans le but de créer une plateforme logistique majeure en Méditerranée. Des dizaines d’autres projets sont en gestation : des autoroutes et des chemins de fer qui relieront l’Asie à l’Europe selon plusieurs itinéraires, des routes et infrastructures maritimes…
Pékin cherche manifestement à s’imposer comme une alternative à l’Occident. Une guerre commerciale qui figure en tête de son agenda diplomatique. Au Moyen-Orient, elle se traduit aussi par l’omniprésence des produits « made in China » depuis une dizaine d’années.
Le Liban au milieu
La Chine est, depuis des années, la première source d'importations libanaises. Mais l’intérêt chinois se situe au-delà de ce volet commercial qui reste quand même limité en volume. C’est le niveau géoéconomique qui importe. Connecté à des dizaines de pays, le port de Beyrouth est une infrastructure-clé du fonctionnement économique régional. Les offres concernant sa reconstruction, suite à l’explosion du 4 août 2020, met actuellement la Chine en concurrence avec d’autres pays, dont la France et l’Allemagne.
Mais une telle percée stratégique chinoise reste peu probable : « Le dossier du port est un dossier très politique », note Sami Nader, directeur du Levant Institute for Strategic Affairs. « Je ne pense pas que Washington laisserait faire, car cette façade de la Méditerranée est hautement stratégique à ses yeux », tout comme les tentatives de mainmise chinoise sur d’autres ports de la Méditerranée de l’Est.
Autre initiative : en 2019, le pays de Xi Jinping propose la construction d’une autoroute reliant Beyrouth à Damas et Alep. Sans réponse claire des responsables libanais, embourbés dans la crise qui venait de se déclencher. Mais en même temps, le port de Tripoli, rénové par la China Harbour Engineering Company, lui permet d’exercer une connectivité commerciale avec la Syrie, point de passage essentiel au succès de sa Route de la soie. Mais la Chine mise ici sur le long terme : autrefois perçue comme un acteur majeur de la reconstruction syrienne, elle préfère pour l’instant se tenir à l’écart des contraintes régionales. « Les Chinois ne naviguent jamais en eaux troubles. Donc ils attendent que les choses se tassent », analyse Sami Nader.
Le soft power
Les ambitions commerciales de la Chine s’assortissent d’une stratégie de « soft power » décomplexée, qui s’exprime par des partenariats culturels. Fin 2019, la Chine a offert de financer à hauteur de 62 millions de dollars un conservatoire de musique au nord de la capitale, dont la construction a démarré. Le 7 juillet dernier, l’ambassadeur de Chine au Liban annonce la création d’un centre culturel chinois à Beyrouth.
Toujours au niveau culturel, l’Institut Confucius établi sur l’un des campus de l’Université Saint-Joseph conclut un accord avec l’Université libanaise, entre autres, pour proposer l’enseignement du mandarin aux étudiants. Au Sud, c’est le bataillon chinois de la FINUL qui s’en charge dans un lycée de Tyr. Le volet humanitaire de leur mission – déminage, aide médicale, réhabilitation de routes – vise à promouvoir une image positive de la Chine.
Alliances régionales
Au niveau régional, Pékin peut compter sur sa proximité avec Moscou et Téhéran… et de facto avec le Hezbollah. Une alliance renforcée par l’accord de coopération entre l’Iran et la Chine est signé en mars dernier. « L’influence de la Chine s’inscrit dans une dynamique agressive qui remet en question le modèle occidental, le modèle démocratique et l’économie de marché », explique Sami Nader.
Dans ses discours, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, défend régulièrement un rapprochement avec la Chine et l’Est en général. Une alternative selon lui aux aides du Fond monétaire international et aux exigences de réformes qui l’accompagnent. Cette situation, couplée à l’absence d’aide financière des pays pétroliers, pousse doucement le Liban vers l’axe sino-iranien.
Pour autant, la Chine pourrait-elle permettre une sortie de crise au Liban ? Rien n’est moins sûr, comme en témoigne tristement sa célèbre diplomatie de la dette. Certains pays en ont profité, alors que d’autres ont déjà fait les frais de cette politique d’investissements massifs, assortie de taux d’intérêts élevés. Aux difficultés de remboursement, la Chine remédie en saisissant des actifs stratégiques. Ce fut le cas du port sri-lankais de Hambantota, qui lui a été cédé pour 99 ans. « Il y a peu d’équilibre entre la Chine et ses partenaires commerciaux », conclut Sami Nader.
Enfoncé dans sa crise économique, comment le Liban pourrait-il seulement rembourser ces prêts ? Alors que Pékin redistribue lentement les cartes de l’influence régionale, gare à ce qu’au Liban, le charme du dragon cache cache quelque part un certain cheval de Troie.
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