Quelle justice pour quel Etat ?
Aucun pouvoir n’est tolérable sans qu’il soit contrôlé par des contrepouvoirs.

Jamais les débats d’ordre constitutionnel et juridique n’ont été autant au centre de la vie publique libanaise. En cette période de fin de régime et d’usure du pouvoir, on se rend compte qu’il a été question, depuis plusieurs années, surtout d’exercice d’un pouvoir « fort » sans mérite, de populisme sans efficacité, d’ambitions sans bravoure, de reculades sans sagesse. Les questions monétaires et financières, la fidélité à l’esprit de la Constitution, le travail de législation en matière de contrôle des capitaux, d’enquêtes criminelles, autant de controverses montrent à quel point la légitimité de l’exercice des fonctions étatiques nécessite un minimum de connaissance et de culture.

On est pris de vertige quand on pense au nombre de réformes et de révisions déchirantes qu’il convient d’engager. Ce débat est crucial à la veille des élections législatives et présidentielles.

La justice ne peut pas être hypothétique ; c’est une question d’engagement citoyen, de confiance et de discernement. Quand on considère la justice comme un bâton au service du pouvoir, il ne peut y avoir de démocratie, ni de respect de l’éminente dignité de la personne.

La justice est au cœur d’un idéal, d’une éducation, d’une hiérarchie des normes gouvernant une société, en vertu de laquelle on ne peut choisir d’appliquer la loi « à la carte » et selon son désir. Il y a des compétences « liées » ; elles imposent au gouvernant de signer et promulguer des textes – comme les permutations judiciaires, par exemple – même si cela ne lui convient pas, dès lors que la loi l’impose.

Plus le pouvoir est exercé par un homme de culture, moins la justice est bafouée. Ils furent admirables, ces penseurs qui ont consacré la séparation des pouvoirs. Aucun pouvoir n’est tolérable sans qu’il soit contrôlé par des contrepouvoirs. Parfois, la liberté de la presse joue ce rôle éminent, en autorisant le contradictoire et la force de la dénonciation.


Car tôt ou tard, il faudra réécrire de longs paragraphes de notre Constitution. Remaniée à la hâte à la suite des accords de Taëf, nos juristes de circonstance ont cru qu’il suffisait de consacrer la parité et d’ajouter un préambule de qualité – déjà écrit en 1985 - pour s’en remettre à la bonne foi dans l’exercice du pouvoir. L’organisation de l’indépendance du pouvoir judiciaire devra être articulée, non seulement mentionnée, aux côtés d’autres modalités pouvant réguler les errements d’une lecture fantaisiste de notre Constitution actuelle.

Comment, sinon, construire un État de droit ? Qui va contrôler l’exercice des pouvoirs ? Quelles institutions vont résister aux occupations extérieures et intérieures ? Comment conserver et développer notre patrimoine culturel ? Faut-il créer une cour suprême pour servir de recours à toutes les vicissitudes de nos divergences et nos fanatismes ? Une cour pour des sages libres et aguerris, indépendants et n’obéissant qu’à leur conscience, à nos valeurs, à notre histoire, à notre culture, à notre vivre ensemble dans l’harmonie et le courage de vouloir.

Surtout ne pas se laisser guider par un Conseil constitutionnel dont les membres sont nommés en fonction des partages politiciens. À moins d’en réformer complètement le recrutement, en y incluant des présidents de la République, du conseil, du Parlement, aux côtés d’universitaires ou constitutionnalistes avérés.

On a beaucoup glosé sur les différents textes commandités moyennant finance, invitant à une réforme étriquée et mal inspirée du code de la justice. On a oublié que les hommes au pouvoir sont souvent plus importants que les textes. Que de bons textes sont bafoués et instrumentalisés par des consultations de circonstance. Pourtant, que de réformes sont nécessaires ! Il faut en finir, par exemple, avec le paternalisme des officialités communautaires et instaurer un mariage à régime optionnel librement choisi ; rebâtir la fonction publique, combattre la médiocratie, éradiquer le communautarisme.

Mais reste l’essentiel. Il n’y a de richesse que d’hommes ! Sachons choisir et libérer le Libanais et le Liban. Même si tout ce que l’on peut dire dans le domaine de l’éthique dans l’exercice du pouvoir devient d’une navrante évidence.
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