Quel sens donner au retour arabe à Beyrouth?
Le ministère yéménite des Affaires étrangères a annoncé vendredi le retour imminent de son ambassadeur à Beyrouth, Abdallah al-Deais.

L’arrivée tant attendue des ambassadeurs saoudien et koweïtien, Walid Boukhari et Abdel Aal el-Qinaï, vendredi à Beyrouth a défrayé la chronique. Un retour aux retombées politiques importantes, après sept mois d’absence et de tensions diplomatiques accrues avec les monarchies du Golfe. Les deux diplomates seront suivis de leur confrère yéménite, Abdallah al-Deais. La date de l'arrivée de ce dernier à Beyrouth n'a pas été précisée.

Ce retour diplomatique arabe est interprété comme étant un signe de bonne volonté et de bonne foi de la part des pays du Golfe envers le Liban. Il est l’aboutissement de longs mois de labeur, initié par le président français Emmanuel Macron, auprès notamment du prince héritier saoudien Mohammed ben Selman et des monarchies de la péninsule, pour un assainissement des relations libano-arabes, par le biais notamment de l’initiative franco-saoudienne d’aide aux Libanais. Celle-ci avait été annoncée en décembre dernier, à la faveur d’une visite d’Emmanuel Macron à Djeddah, en Arabie saoudite.

À la même occasion, Riyad et Paris avaient proposé au Liban une feuille de route pour une sortie de crise, prévoyant une série de mesures comme le contrôle des frontières, la lutte contre la corruption, le monopole des armes et l’"arrêt d’actes terroristes à partir du Liban", en allusion au Hezbollah. Elle était aussi axée sur le respect des principes d’unité nationale, de paix civile, de stabilité sécuritaire et de souveraineté, conformément à l’accord de Taëf et aux résolutions 1559, 1701 et 1680 du Conseil de sécurité des Nations unies. Une feuille de route reprise par la suite, dans le cadre de l’initiative koweïtienne, à peu près avec les mêmes termes.

Un retour lourd de sens

Le retour de l’Arabie saoudite et du Koweït au Liban est porteur d’un message auquel les autorités libanaises sont censées réagir favorablement. «Il prouve que la communauté arabe ne délaisse pas le pays du Cèdre», explique l’ancien député Farès Souhaid à Ici Beyrouth. «Il permet de créer un équilibre de forme avec la montée de l’influence du Hezbollah», ajoute-il.

Un avis partagé par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, qui a déclaré lors d’un entretien accordé à la chaîne télévisée al-Hadath, que "l’arrivée des ambassadeurs arabes doit être perçue comme un signe positif pour regagner la confiance des pays arabes, ce qui permettra au Liban de respirer et de reprendre des forces sur les plans économique et politique".

Ce rapprochement entre Beyrouth et les monarchies du Golfe reste toutefois conditionné par le fait que le Liban respecte son engagement à ne plus être une plateforme pour promouvoir des intérêts anti-arabes aux niveaux sécuritaire, militaire et politique, alors que les agissements du Hezbollah et de ses alliés vont dans le sens contraire. En effet, "le Liban ne doit plus être l’otage de l’Iran et du Hezbollah et doit faire partie intégrante de la Ligue arabe", souligne à Ici Beyrouth un politologue sous le couvert de l’anonymat.


Il est "l’expression d’un ras-le-bol envers les parties qui ont pour mission d’affaiblir les institutions libanaises", affirme pour sa part le journaliste et analyste politique saoudien, Hussein Shobokshi, faisant allusion au parti chiite pro-iranien et à ses alliés.



Un timing étudié ?

Le timing de ce retour suscite toutefois de nombreuses interrogations. A-t-il un lien direct avec l’échéance électorale? Ou est-ce la signature d’un accord-cadre entre le Liban et le Fonds monétaire international qui aurait encouragé ce geste de bonne volonté?

M. Shobokshi insiste sur le fait que le retour des ambassadeurs arabes n’a rien avoir avec l’approche de la tenue du scrutin, prévu pour le 15 mai, et l’attribue à "une pure coïncidence", mais reconnaît que la signature de l’accord entre Beyrouth et le FMI aurait encouragé les monarchies du Golfe à faire un pas vers le Liban. «Il existe une relation de cause à effet», entre les deux, estime-t-il.

Farès Souhaid ne voit pas cependant les choses sous le même angle. Selon lui, les élections législatives libanaises sont importantes pour la communauté arabe, qui aurait soigneusement choisi son timing, à un mois du scrutin, pour légitimer les élections. Toutefois, "s’il s’avère que ce retour arabe est purement un retour de forme et non de fond, ceci ne se répercutera pas positivement sur les prochaines législatives", a-t-il estimé.

C’est ce que le politologue précité pense aussi, en estimant que l’Arabie, le Koweït et le Yémen auraient pu attendre la fin des élections pour envoyer leurs ambassadeurs à Beyrouth. "Leur arrivée à près d’un mois du scrutin est donc un message clair adressé aux Libanais pour qu’ils soient appelés à former une nouvelle classe dirigeante, via les urnes, capable de freiner les attaques verbales et les opérations du Hezbollah contre les pays du Golfe et d’ouvrir une nouvelle page politique qui mettra un terme à l’existence d’un État dans l’État", a-t-il poursuivi.

À titre de rappel, les monarchies du Golfe avait rappelé leurs ambassadeurs au Liban à cause des propos tenus par l’ancien ministre de l’Information Georges Cordahi, en octobre dernier, lorsqu’il avait critiqué l’intervention militaire menée par l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition, au Yémen et défendu les rebelles Houthis pro-iraniens dans ce pays.
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