Le Monde de Steve McCurry
«Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage,
Heureux qui comme Ulysse a vu cent paysages…» (G. Brassens)

Et nous voilà embarqués, grâce à Steve McCurry alias Ulysse des temps modernes, dans une Odyssée sur tous les continents et dans toutes les immersions réalistes et surréalistes.

Car c’est bien un voyage-témoignage sur les routes du monde, celui d’un des plus grands photographes contemporains captant l’instant unique d’un moment, d’un regard, d’une esthétique.

Né à Philadelphie en Pennsylvanie en 1950, son diplôme en école d’art brillamment obtenu, il s’embarque pour un voyage d’un an, d’abord en Amérique du Sud, puis en Afrique. Ce goût de la liberté, il en fera son métier: «Je crois que j’ai toujours voulu voir le monde, explorer de nouvelles cultures».

Puis, en 1978, alors qu’il travaille comme photographe pigiste dans un journal local, il part en Inde avec pour seul bagage un petit sac à dos et son appareil photo.



Il y apprendra l’observation et l’attente. Et lorsqu’on attend, «les gens oublient l’appareil et leur âme pénètre dans l’image».

Se laissant porter par la curiosité des nouvelles contrées, il franchit la frontière indienne et part au Pakistan, puis en Afghanistan, en pleine guerre russo-afghane. Ses premières photos de reporter-photographe, en noir et blanc, alors qu’il vit avec les moudjahidines et partage leur quotidien, feront sa renommée. Ses clichés exceptionnels de réalisme et d’intimité, nés grâce à une totale empathie avec ces combattants, lui permettront de devenir le photographe du New York Times dans un premier temps.

Et son portrait en couleurs de la jeune Afghane aux yeux verts, Shabbat Gula, pour le National Geographic, est aussi connu que la Joconde en d’autres temps.

Tout a commencé un matin, à Peshawar, au Pakistan. Il se trouve alors dans un camp de réfugiés afghans et, entendant un joyeux chahut derrière un rideau, il l’écarte et découvre une école. Ayant eu l’autorisation de photographier les enfants, il est immédiatement frappé par le regard de cette fillette assise seule dans un coin. Quelques minutes lui suffisent pour réaliser son portrait et comprendre que celui-ci sera remarquable: la profondeur de son regard dit toute la tristesse du peuple afghan. Tristesse mêlée de curiosité, car elle voit pour la première fois de sa vie un appareil photo.

L’engouement suscité par sa publication ne s’est jamais démenti et est resté intact. En effet, des années plus tard, en 2002, il la retrouve et la photographie de nouveau, et ce nouveau portrait fait la une de presque tous les journaux. Ce mouvement généralisé permet à la jeune femme devenue mère de se procurer un toit et d’assurer l’éducation de sa famille.


Tous les portraits de Steve McCurry sont foudroyants. L’intensité des regards. Et l’instant. Le momentum.

Chaque visage a des proportions, des formes et des couleurs différentes, mais surtout chaque visage raconte une histoire différente.

Souvent les portraits des enfants sont graves, avec des airs si sérieux...

Ainsi celui de ces garçons hazaras, peuple nomade remontant à Gengis Khan, entassés à l’arrière d’un coffre de voiture, tout le temps en déplacement, n’ayant pas le temps de jouer; ou celui de ce garçonnet yéménite, coincé entre son père et son oncle lors d’un mariage traditionnel; ou celui de cette fillette du Rajasthan, tout en grâce, fierté et simplicité; ou encore celui de cet enfant soldat à Kaboul, ce garçon de douze ans laissé à la garde de son voisin.

Cependant, «les enfants sont les enfants, où qu’on soit dans le monde».

Même les petits moines bouddhistes veulent jouer et s’amuser. Photographiés dans un camp de réfugiés tibétains en Inde, ils passent la plus grande partie de leur temps à l’étude, la méditation et autre pratiques bouddhistes. Mais sur la photo, ils révèlent leur vraie nature: ils cessent d’être des petits moines pour redevenir simplement des enfants, qui ont besoin de jouer.

Et cette photo prise au Liban, dans un camp de réfugiés palestinien au sud de Beyrouth, en 1992, en plein chaos. Un après midi, au coucher de soleil, un groupe d’enfants sautant et se balançant sur un tank, complètement inconscients du danger. Ils composent une chorégraphie naturelle et dégagent une énergie communicative.

C’est aussi cette universalité, ces traits de caractères communs de la nature humaine, sous toutes les latitudes, qui fascinent Steve Mc Curry.

La composition picturale de chaque photo au moment attendu, le parfait équilibre entre l’humain, le spatial, l’environnemental, la juste lumière, l’ombre posée, la captation du regard, ce tout infiniment magique et unique à l’instant du clic fait de chaque prise une œuvre iconique.

Outre son immense talent, la patience, l’attente, la détermination sont des éléments cruciaux qui ont permis à Steve McCurry de réaliser de telles photos, qui suscitent curiosité et compassion.

Plus de 150 clichés jalonnent cette rétrospective, la plus complète jamais dédiée au photographe américain. Certains sont célèbres, d’autres inédits, voyage en immersion aux confins de la terre et des êtres, cri d’amour pour Mère Nature et ses habitants: «Une photo peut exprimer un humanisme universel, ou simplement révéler une vérité délicate et poignante en exposant une tranche de vie qui pourrait autrement passer inaperçue.»

«Le Monde de Steve McCurry», jusqu’au 29 mai 2022, au Musée Maillol, 75007 Paris.
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