Le 15 mai prochain, les regards seront tournés vers Beyrouth II où la bataille électorale risque d’être imprévisible avec le boycott des législatives par l’ancien Premier ministre Saad Hariri.
«Le retrait de Saad Hariri à quelques mois des élections législatives a provoqué un véritable séisme dans le paysage politique sunnite.» Ahmad Ayache, journaliste et candidat au siège chiite sur la liste «Beyrouth fait face», soutenue par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, semble inquiet. À juste titre, puisque c’est la première fois que les élections législatives se tiendront sans la participation du Courant du futur depuis sa création.
Beyrouth II semble orpheline et la bataille s’annonce difficile pour les 11 sièges à pourvoir dans cette circonscription à majorité sunnite: 6 sièges sunnites, 2 chiites, 1 druze, 1 grec-orthodoxe et 1 évangéliste. Quelque 370.862 électeurs, dont 26.425 inscrits à l’étranger, devront choisir leur liste parmi les 10 en lice : «Beyrouth fait face» appuyée par Fouad Siniora et le Parti socialiste progressiste (PSP), cinq listes d’indépendants notamment «Beyrouth a besoin d’un cœur» de Fouad Makhzoumi, «Beyrouth - le changement» de Melhem Khalaf qui s’est associé à la coalition Watani (de Paula Yaacoubian), «Beyrouth, ma ville» du parti Madinati, et «L’unité de Beyrouth», liste née de la coalition entre le Hezbollah, le mouvement Amal, le Courant patriotique libre (CPL) et le Parti syrien national social (PSNS).
La menace du Hezbollah
En 2018, la scène politique était différente. Les élections législatives n’avaient pas eu lieu depuis 9 ans et les citoyens n’étaient pas convaincus d’aller voter. Ce qui avait expliqué le faible taux de vote enregistré à Beyrouth II, selon Ahmad Ayache. Aujourd‘hui, la donne est différente. «La bataille risque d’être serrée entre le Hezbollah et ses rivaux pour remplir le vide laissé par le Courant du futur, analyse-t-il. Il faut mettre son ego de côté et penser à voter de manière patriotique car l’enjeu est grand.»
Même son de cloche chez Fouad Makhzoumi qui a fait du rejet des armes du Hezbollah son cheval de bataille. «Il ne fera pas de compromis à ce sujet», selon Omar el-Dabaghi, candidat sur la liste de Fouad Makhzoumi au siège évangéliste. «Nous voulons que les armes soient entre les seules mains de l’État, affirme-t-il. Le Liban est un pays complexe et le confessionnalisme est toujours au cœur de la vie politique.»
Pour Nada Sehnaoui, coordinatrice générale de la campagne de «Beyrouth Madinati», «il ne faut pas attendre que le Hezbollah ne soit plus là pour agir, comme le répète le 14 Mars, ni faire comme le 8 Mars qui justifie la présence d’une milice armée en prétextant l’impuissance de l’État libanais à défendre ses citoyens». «Il faut commencer à agir maintenant et créer sa propre place dans ce marasme politique», insiste-t-elle.
Melhem Khalaf, candidat au siège grec-orthodoxe sur la liste «Beyrouth le changement» critique également les armes illégales de la milice. «Une entité armée ne peut pas défendre une seule partie du territoire national. C’est vouloir anéantir tout le pays», lance-t-il.
Pour Ahmad Ayache, le plus grand danger est que le Hezbollah remporte la majorité des sièges. «Il pourrait ainsi prendre légalement le pouvoir dans toutes les régions libanaises et il aurait la loi de son côté», s’inquiète-t-il.
L’opposition dispersée
«Nous n’avons pas voulu diviser l’opposition. Nous avons essayé de faire partie de la coalition et de rallier les autres listes d’indépendants, mais nous ne voulions pas de chef de décision», explique Paula Rbeiz, candidate au siège grec-orthodoxe sur la liste de «Beyrouth Madinati». «Nous ne voulions pas que notre liste soit à l’image du gouvernement en place avec un partage de postes selon les affinités», ajoute-t-elle. «L’opposition traditionnelle n’est pas fiable», renchérit Nada Sehnaoui.
Au Liban, les citoyens se concentrent traditionnellement autour d’un zaïm. Une approche de la politique lourdement dénoncée de nos jours. «L’individu joue un rôle important dans la société libanaise et les gens aiment se regrouper autour d’une personne, explique Omar el-Dabaghi. Chez nous, c’est le groupe qui compte. Fouad Makhzoumi a su rassembler des personnes qui se ressemblent et qui ressemblent à la capitale dans un souci de préserver la culture beyrouthine et l’âme de la Beyrouth.»
Paula Rbeiz dénonce pour sa part la propagande médiatique qui profite aux zaïms les plus fortunés et délaisse ceux qui n’ont pas les moyens de faire une apparition télévisée. «Nous aurions aimé nous exprimer sur les plateaux télévisés pour faire part de notre programme qui consiste à aller à l’essentiel, écouter les demandes du peuple et y répondre, insiste-t-elle. Il faut commencer à sortir de cette idée de zaïm pour avancer.»
Les candidats ont exprimé par ailleurs leur inquiétude concernant le vote des partisans de Saad Hariri. «La base du Courant du futur est loyale et désemparée. Comment votera-t-elle?», se demande Paula Rebeiz. Même questionnement du côté de la liste soutenue par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. «Les partisans de Hariri sont éparpillés et cela peut malheureusement jouer contre nous et à l’avantage du Hezbollah», insiste Ahmad Ayache.
Recouvrer la souveraineté de l’État
Tous les candidats de l’opposition s’accordent à dire que le seul mot d’ordre de ces élections est de retrouver la souveraineté de l’État. «L’État doit être la seule institution qui rassure les citoyens sans aucune distinction confessionnelle et sociale, affirme Melhem Khalaf. Aujourd’hui, les citoyens se sentent délaissés et ce n’est qu’à travers des réformes constitutionnelles qu’on pourra redonner sa dignité au citoyen libanais.»
«Nous réclamons la souveraineté de l’État, le renforcement des institutions étatiques et l’indépendance de la justice, car sans des juges indépendants il n’y aura jamais de Liban libre», affirme Nada Sehnaoui.
Pour Melhem Khalaf, l’enjeu principal est de redonner espoir aux Libanais, en tissant un lien de confiance entre l’État et le citoyen. Il faudrait que les impôts soient redistribués de manière équitable et efficace, estime-t-il. «Il est primordial de retrouver la puissance de l’État, un État démocratique et un État de droit avec une armée nationale déployée sur l’ensemble du territoire, insiste M. Khalaf. Mais il faut surtout cesser de donner de faux espoirs aux Libanais.»
Réussir le vivre-ensemble reste un grand défi à relever. «Nous avons réussi le vivre-ensemble au niveau sociétal mais c’est un grand échec au niveau politique», constate Melhem Khalaf.
L’importance d’aller voter
«Les Libanais chrétiens avaient boycotté les élections de 1992 et jusqu’à maintenant ils en paient le prix», rappelle Melhem Khalaf. À l'époque, les Syriens avaient imposé une loi électorale – la loi Ghazi Kanaan (alors responsable des services de renseignement syriens au Liban) – façonnée sur mesure pour favoriser au maximum leurs alliés directs. Le patriarche Nasrallah Sfeir et l’opposition chrétienne avaient mené campagne pour le boycott qui a été très largement suivi dans les régions chrétiennes.
«Nous avons déjà regroupé un grand nombre de Libanais autour de notre liste et bien sûr nous aurions aimé en regrouper plus», ajoute Melhem Khalaf. «Il ne faut surtout pas faire la même erreur qu’en 1992, il faut absolument aller voter», insiste à son tour Omar el-Dabaghi.
Contrairement à l’ancien Premier ministre Saad Hariri, le mufti de la République, Abdelatif Derian, a appelé la communauté sunnite à voter, selon un communiqué du bureau du Premier ministre Najib Mikati. La stratégie de boycott adoptée par Saad Hariri est jugée dangereuse par l’opposition. «Ces élections sont un peu notre dernière chance. La révolution a échoué sur le terrain, mais elle peut prendre forme dans les urnes. Il faut laisser les urnes parler», insiste Omar el-Dabaghi.
«Personne ne peut vraiment prévoir ce qui va se passer, d’où l’importance du vote qui est avant tout un devoir national. Il y a une grande possibilité de changer les choses avec le vote préférentiel. On appelle donc tous les Libanais à aller voter en masse», souligne Nada Sehnaoui.
Tous les candidats comptent sur le vote des expatriés dont le rôle va être indispensable. «La modification de la loi électorale a permis le vote des Libanais à l’étranger et c’est une très bonne chose, en espérant qu’elle soit en faveur de l’opposition», avance Omar el-Dabaghi. Melhem Khalaf quant à lui s’inquiète de la paupérisation de la société libanaise. «Nous sommes en train de basculer d’une société de pauvres à une société de misérables, il faut inverser cette tendance avec le vote.»
Dans un pays au bord de l’agonie et où les politiques profitent de cette misère pour soudoyer les électeurs avec la promesse de dollars frais en échange d’une voix, ces élections législatives permettront-elles un changement drastique au sein de la classe politique?
«Le retrait de Saad Hariri à quelques mois des élections législatives a provoqué un véritable séisme dans le paysage politique sunnite.» Ahmad Ayache, journaliste et candidat au siège chiite sur la liste «Beyrouth fait face», soutenue par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, semble inquiet. À juste titre, puisque c’est la première fois que les élections législatives se tiendront sans la participation du Courant du futur depuis sa création.
Beyrouth II semble orpheline et la bataille s’annonce difficile pour les 11 sièges à pourvoir dans cette circonscription à majorité sunnite: 6 sièges sunnites, 2 chiites, 1 druze, 1 grec-orthodoxe et 1 évangéliste. Quelque 370.862 électeurs, dont 26.425 inscrits à l’étranger, devront choisir leur liste parmi les 10 en lice : «Beyrouth fait face» appuyée par Fouad Siniora et le Parti socialiste progressiste (PSP), cinq listes d’indépendants notamment «Beyrouth a besoin d’un cœur» de Fouad Makhzoumi, «Beyrouth - le changement» de Melhem Khalaf qui s’est associé à la coalition Watani (de Paula Yaacoubian), «Beyrouth, ma ville» du parti Madinati, et «L’unité de Beyrouth», liste née de la coalition entre le Hezbollah, le mouvement Amal, le Courant patriotique libre (CPL) et le Parti syrien national social (PSNS).
La menace du Hezbollah
En 2018, la scène politique était différente. Les élections législatives n’avaient pas eu lieu depuis 9 ans et les citoyens n’étaient pas convaincus d’aller voter. Ce qui avait expliqué le faible taux de vote enregistré à Beyrouth II, selon Ahmad Ayache. Aujourd‘hui, la donne est différente. «La bataille risque d’être serrée entre le Hezbollah et ses rivaux pour remplir le vide laissé par le Courant du futur, analyse-t-il. Il faut mettre son ego de côté et penser à voter de manière patriotique car l’enjeu est grand.»
Même son de cloche chez Fouad Makhzoumi qui a fait du rejet des armes du Hezbollah son cheval de bataille. «Il ne fera pas de compromis à ce sujet», selon Omar el-Dabaghi, candidat sur la liste de Fouad Makhzoumi au siège évangéliste. «Nous voulons que les armes soient entre les seules mains de l’État, affirme-t-il. Le Liban est un pays complexe et le confessionnalisme est toujours au cœur de la vie politique.»
Pour Nada Sehnaoui, coordinatrice générale de la campagne de «Beyrouth Madinati», «il ne faut pas attendre que le Hezbollah ne soit plus là pour agir, comme le répète le 14 Mars, ni faire comme le 8 Mars qui justifie la présence d’une milice armée en prétextant l’impuissance de l’État libanais à défendre ses citoyens». «Il faut commencer à agir maintenant et créer sa propre place dans ce marasme politique», insiste-t-elle.
Melhem Khalaf, candidat au siège grec-orthodoxe sur la liste «Beyrouth le changement» critique également les armes illégales de la milice. «Une entité armée ne peut pas défendre une seule partie du territoire national. C’est vouloir anéantir tout le pays», lance-t-il.
Pour Ahmad Ayache, le plus grand danger est que le Hezbollah remporte la majorité des sièges. «Il pourrait ainsi prendre légalement le pouvoir dans toutes les régions libanaises et il aurait la loi de son côté», s’inquiète-t-il.
L’opposition dispersée
«Nous n’avons pas voulu diviser l’opposition. Nous avons essayé de faire partie de la coalition et de rallier les autres listes d’indépendants, mais nous ne voulions pas de chef de décision», explique Paula Rbeiz, candidate au siège grec-orthodoxe sur la liste de «Beyrouth Madinati». «Nous ne voulions pas que notre liste soit à l’image du gouvernement en place avec un partage de postes selon les affinités», ajoute-t-elle. «L’opposition traditionnelle n’est pas fiable», renchérit Nada Sehnaoui.
Au Liban, les citoyens se concentrent traditionnellement autour d’un zaïm. Une approche de la politique lourdement dénoncée de nos jours. «L’individu joue un rôle important dans la société libanaise et les gens aiment se regrouper autour d’une personne, explique Omar el-Dabaghi. Chez nous, c’est le groupe qui compte. Fouad Makhzoumi a su rassembler des personnes qui se ressemblent et qui ressemblent à la capitale dans un souci de préserver la culture beyrouthine et l’âme de la Beyrouth.»
Paula Rbeiz dénonce pour sa part la propagande médiatique qui profite aux zaïms les plus fortunés et délaisse ceux qui n’ont pas les moyens de faire une apparition télévisée. «Nous aurions aimé nous exprimer sur les plateaux télévisés pour faire part de notre programme qui consiste à aller à l’essentiel, écouter les demandes du peuple et y répondre, insiste-t-elle. Il faut commencer à sortir de cette idée de zaïm pour avancer.»
Les candidats ont exprimé par ailleurs leur inquiétude concernant le vote des partisans de Saad Hariri. «La base du Courant du futur est loyale et désemparée. Comment votera-t-elle?», se demande Paula Rebeiz. Même questionnement du côté de la liste soutenue par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. «Les partisans de Hariri sont éparpillés et cela peut malheureusement jouer contre nous et à l’avantage du Hezbollah», insiste Ahmad Ayache.
Recouvrer la souveraineté de l’État
Tous les candidats de l’opposition s’accordent à dire que le seul mot d’ordre de ces élections est de retrouver la souveraineté de l’État. «L’État doit être la seule institution qui rassure les citoyens sans aucune distinction confessionnelle et sociale, affirme Melhem Khalaf. Aujourd’hui, les citoyens se sentent délaissés et ce n’est qu’à travers des réformes constitutionnelles qu’on pourra redonner sa dignité au citoyen libanais.»
«Nous réclamons la souveraineté de l’État, le renforcement des institutions étatiques et l’indépendance de la justice, car sans des juges indépendants il n’y aura jamais de Liban libre», affirme Nada Sehnaoui.
Pour Melhem Khalaf, l’enjeu principal est de redonner espoir aux Libanais, en tissant un lien de confiance entre l’État et le citoyen. Il faudrait que les impôts soient redistribués de manière équitable et efficace, estime-t-il. «Il est primordial de retrouver la puissance de l’État, un État démocratique et un État de droit avec une armée nationale déployée sur l’ensemble du territoire, insiste M. Khalaf. Mais il faut surtout cesser de donner de faux espoirs aux Libanais.»
Réussir le vivre-ensemble reste un grand défi à relever. «Nous avons réussi le vivre-ensemble au niveau sociétal mais c’est un grand échec au niveau politique», constate Melhem Khalaf.
L’importance d’aller voter
«Les Libanais chrétiens avaient boycotté les élections de 1992 et jusqu’à maintenant ils en paient le prix», rappelle Melhem Khalaf. À l'époque, les Syriens avaient imposé une loi électorale – la loi Ghazi Kanaan (alors responsable des services de renseignement syriens au Liban) – façonnée sur mesure pour favoriser au maximum leurs alliés directs. Le patriarche Nasrallah Sfeir et l’opposition chrétienne avaient mené campagne pour le boycott qui a été très largement suivi dans les régions chrétiennes.
«Nous avons déjà regroupé un grand nombre de Libanais autour de notre liste et bien sûr nous aurions aimé en regrouper plus», ajoute Melhem Khalaf. «Il ne faut surtout pas faire la même erreur qu’en 1992, il faut absolument aller voter», insiste à son tour Omar el-Dabaghi.
Contrairement à l’ancien Premier ministre Saad Hariri, le mufti de la République, Abdelatif Derian, a appelé la communauté sunnite à voter, selon un communiqué du bureau du Premier ministre Najib Mikati. La stratégie de boycott adoptée par Saad Hariri est jugée dangereuse par l’opposition. «Ces élections sont un peu notre dernière chance. La révolution a échoué sur le terrain, mais elle peut prendre forme dans les urnes. Il faut laisser les urnes parler», insiste Omar el-Dabaghi.
«Personne ne peut vraiment prévoir ce qui va se passer, d’où l’importance du vote qui est avant tout un devoir national. Il y a une grande possibilité de changer les choses avec le vote préférentiel. On appelle donc tous les Libanais à aller voter en masse», souligne Nada Sehnaoui.
Tous les candidats comptent sur le vote des expatriés dont le rôle va être indispensable. «La modification de la loi électorale a permis le vote des Libanais à l’étranger et c’est une très bonne chose, en espérant qu’elle soit en faveur de l’opposition», avance Omar el-Dabaghi. Melhem Khalaf quant à lui s’inquiète de la paupérisation de la société libanaise. «Nous sommes en train de basculer d’une société de pauvres à une société de misérables, il faut inverser cette tendance avec le vote.»
Dans un pays au bord de l’agonie et où les politiques profitent de cette misère pour soudoyer les électeurs avec la promesse de dollars frais en échange d’une voix, ces élections législatives permettront-elles un changement drastique au sein de la classe politique?
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