Alors que les promesses d’aide à l’Ukraine se multiplient, les bailleurs de fonds se détournent d’autres crises humanitaires et assèchent leurs financements, notamment dans les pays arabes. Une situation qui, conjuguée à l’inflation mondiale et la pénurie de blé, risque de plonger des millions d’individus dans la famine et l’extrême pauvreté.
Un vent de panique souffle dans les pays faisant face à une crise humanitaire, ceux-ci craignant que la guerre en Ukraine concentre tous les efforts et les regards au détriment de la tragédie qu’ils vivent eux-mêmes.
Les Nations-Unies ont ainsi annoncé qu’à partir du mois de mai 2022, elles réduiraient la taille du panier alimentaire distribué aux familles du Nord-est de la Syrie de 1300 à 1100 kilocalories par personne. Cette décision a été prise en raison de l’augmentation du prix des denrées alimentaires et du manque de financements, alors que 55 % de la population syrienne ne se nourrit pas à sa faim. Dans la même logique, l’ONU n’a récolté que 1.18 milliard sur les 3.6 milliards d’euros espérés lors de la conférence des donateurs pour le Yémen.
Sur ce sujet, le directeur du Programme alimentaire mondial avait lancé un appel en mars aux pays développés pour qu’ils ne négligent pas les autres pays qui sont dans une extrême précarité. Il a demandé à ne pas « négliger le Sahel, la Syrie, la Jordanie, le Liban, car les conséquences pourraient être catastrophiques ».
Une attitude qui reviendrait, selon lui, à « prendre la nourriture des enfants d’Éthiopie pour la donner aux enfants ukrainiens » et qui pourrait mener à une migration de masse et une « déstabilisation du monde ».
De nombreuses ONG et charités ont, en effet, fait part de leur inquiétude quant à une baisse immédiate ou sur le moyen-terme des financements accordés à la région MENA, et notamment au Liban.
C’est le cas de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), qui explique à Ici Beyrouth que trois importants bailleurs ont déjà annoncé que leur financement à l’UNRWA allait diminuer, les fonds étant redirigés vers la réponse à la crise ukrainienne. Une nouvelle inquiétante, alors que l’organisation est la principale source d’emplois et d’assistance aux réfugiés palestiniens.
Pour l’ONG Danish Refugee Council, si cette tendance se poursuit, "nous verrons moins de financement pour les personnes touchées par les crises ici dans la région. ». « Ce sont tous des civils innocents, touchés par les crises et les catastrophes, et nous devons nous tenir aux côtés de tous » ajoute un responsable de l’ONG. Il explique que l'argent occidental mobilisé pour l’Ukraine est en partie puisé de fonds déjà existants et originellement dédiés au Liban, la Syrie ou le Yémen.
Plusieurs bailleurs de fonds occidentaux interrogés par Ici Beyrouth ont confirmé ces craintes, l’un d’entre eux soulignant que les « intérêts stratégiques de l’Europe sont en pleine transformation pour la première fois depuis 1945 », et que « la priorité est à présent à la crise ukrainienne qui se situe au cœur de l’Europe ». Une mobilisation qui, selon ses mots, se fera au détriment d’autres terrains d’action comme la région arabe ou l’Afghanistan. Une frilosité des bailleurs à financer de nouveaux projets est donc à prévoir dans le futur, sur le moyen et long terme.
Un autre bailleur de fonds, lui, a mentionné l’octroi de plusieurs centaines de millions d’euros à l’Ukraine en procédure accélérée, et le redéploiement de fonds dédiés au Sahel et au Moyen-Orient vers l’Ukraine. Cependant, il est encore trop tôt, selon ce bailleur, pour déclarer un changement de cap définitif, les espoirs d’une paix prochaine en Ukraine restant encore importants.
À cet égard, Kamel Mohanna, président de l’ONG libanaise Amel, affirme à Ici Beyrouth que « les aides n’ont jamais été en fonction des besoins, mais ont fluctué selon la générosité des gouvernements et les intérêts politiques ». Une réalité qui s’ajoute au phénomène de « lassitude des donateurs » alors que la crise syrienne dure depuis 2011, et que d’autres foyers de conflit ont émergé dans le monde.
Au-delà du financement des bailleurs, la crise ukrainienne en elle-même pose un défi considérable aux ONG au Liban et dans la région, en raison de l’inflation mondiale et la perturbation de l’approvisionnement en céréales.
L’UNRWA explique ainsi qu’elle fait face à des augmentations de coût et des difficultés logistiques pour faire parvenir de la nourriture au Liban, en Palestine et en Syrie. « Les fournisseurs renégocient leurs contrats ou nous déclarent qu’ils sont incapables de les honorer » révèle à Ici Beyrouth un porte-parole de l’UNRWA, qui ajoute : « Nous faisons face à un coût additionnel de 2.6 à 9.6 millions de dollars USD pour pouvoir fournir et distribuer de la nourriture à Gaza».
Alors que les besoins augmentent, les aides des donateurs avaient déjà commencé à décliné ces dernières années : le plan de réponse à la crise humanitaire au Liban a été financée à 63 % en 2020, et seulement 56% en 2021, un chiffre qui risque encore de baisser en 2022. Même les ONG humanitaires internationales, comme Danish Refugee Council, sont restées à budget constant alors que le nombre de bénéficiaires a explosé au Liban.
Ce déclin des financements s'ajoute à la difficulté structurelle des ONG libanaises à capter des financements internationaux. En effet, seules 4 % des ONG libanaises en bénéficient, tandis que 2 % seulement du montant des aides perçues pour la crise syrienne sont allées aux associations nationales. Cette situation, critique, risque de s'aggraver davantage encore dans les prochaines années avec l'assèchement du financement international.
Cette crise humanitaire n’affecte plus uniquement les réfugiés syriens et palestiniens, mais s’est élargi à l’ensemble des Libanais, dont 82 % sont à présent sous le seuil de pauvreté et 33 % en état d'extrême pauvreté. Les ONG ne seront plus en mesure de faire face à cette paupérisation dans le futur, faute de financements, alors qu'elles constituent l'essentiel de l'assistance sociale et médicale dans le pays.
Un cocktail explosif qui menace la stabilité du pays et révèle les contradictions de l’aide au développement, dépendante des agendas géopolitiques occidentaux.
Un vent de panique souffle dans les pays faisant face à une crise humanitaire, ceux-ci craignant que la guerre en Ukraine concentre tous les efforts et les regards au détriment de la tragédie qu’ils vivent eux-mêmes.
Les Nations-Unies ont ainsi annoncé qu’à partir du mois de mai 2022, elles réduiraient la taille du panier alimentaire distribué aux familles du Nord-est de la Syrie de 1300 à 1100 kilocalories par personne. Cette décision a été prise en raison de l’augmentation du prix des denrées alimentaires et du manque de financements, alors que 55 % de la population syrienne ne se nourrit pas à sa faim. Dans la même logique, l’ONU n’a récolté que 1.18 milliard sur les 3.6 milliards d’euros espérés lors de la conférence des donateurs pour le Yémen.
Sur ce sujet, le directeur du Programme alimentaire mondial avait lancé un appel en mars aux pays développés pour qu’ils ne négligent pas les autres pays qui sont dans une extrême précarité. Il a demandé à ne pas « négliger le Sahel, la Syrie, la Jordanie, le Liban, car les conséquences pourraient être catastrophiques ».
Une attitude qui reviendrait, selon lui, à « prendre la nourriture des enfants d’Éthiopie pour la donner aux enfants ukrainiens » et qui pourrait mener à une migration de masse et une « déstabilisation du monde ».
Une baisse des fonds prévisible notamment sur le moyen et long-terme
De nombreuses ONG et charités ont, en effet, fait part de leur inquiétude quant à une baisse immédiate ou sur le moyen-terme des financements accordés à la région MENA, et notamment au Liban.
C’est le cas de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), qui explique à Ici Beyrouth que trois importants bailleurs ont déjà annoncé que leur financement à l’UNRWA allait diminuer, les fonds étant redirigés vers la réponse à la crise ukrainienne. Une nouvelle inquiétante, alors que l’organisation est la principale source d’emplois et d’assistance aux réfugiés palestiniens.
Pour l’ONG Danish Refugee Council, si cette tendance se poursuit, "nous verrons moins de financement pour les personnes touchées par les crises ici dans la région. ». « Ce sont tous des civils innocents, touchés par les crises et les catastrophes, et nous devons nous tenir aux côtés de tous » ajoute un responsable de l’ONG. Il explique que l'argent occidental mobilisé pour l’Ukraine est en partie puisé de fonds déjà existants et originellement dédiés au Liban, la Syrie ou le Yémen.
Plusieurs bailleurs de fonds occidentaux interrogés par Ici Beyrouth ont confirmé ces craintes, l’un d’entre eux soulignant que les « intérêts stratégiques de l’Europe sont en pleine transformation pour la première fois depuis 1945 », et que « la priorité est à présent à la crise ukrainienne qui se situe au cœur de l’Europe ». Une mobilisation qui, selon ses mots, se fera au détriment d’autres terrains d’action comme la région arabe ou l’Afghanistan. Une frilosité des bailleurs à financer de nouveaux projets est donc à prévoir dans le futur, sur le moyen et long terme.
Un autre bailleur de fonds, lui, a mentionné l’octroi de plusieurs centaines de millions d’euros à l’Ukraine en procédure accélérée, et le redéploiement de fonds dédiés au Sahel et au Moyen-Orient vers l’Ukraine. Cependant, il est encore trop tôt, selon ce bailleur, pour déclarer un changement de cap définitif, les espoirs d’une paix prochaine en Ukraine restant encore importants.
À cet égard, Kamel Mohanna, président de l’ONG libanaise Amel, affirme à Ici Beyrouth que « les aides n’ont jamais été en fonction des besoins, mais ont fluctué selon la générosité des gouvernements et les intérêts politiques ». Une réalité qui s’ajoute au phénomène de « lassitude des donateurs » alors que la crise syrienne dure depuis 2011, et que d’autres foyers de conflit ont émergé dans le monde.
Une aggravation de la crise humanitaire dans la région
Au-delà du financement des bailleurs, la crise ukrainienne en elle-même pose un défi considérable aux ONG au Liban et dans la région, en raison de l’inflation mondiale et la perturbation de l’approvisionnement en céréales.
L’UNRWA explique ainsi qu’elle fait face à des augmentations de coût et des difficultés logistiques pour faire parvenir de la nourriture au Liban, en Palestine et en Syrie. « Les fournisseurs renégocient leurs contrats ou nous déclarent qu’ils sont incapables de les honorer » révèle à Ici Beyrouth un porte-parole de l’UNRWA, qui ajoute : « Nous faisons face à un coût additionnel de 2.6 à 9.6 millions de dollars USD pour pouvoir fournir et distribuer de la nourriture à Gaza».
Alors que les besoins augmentent, les aides des donateurs avaient déjà commencé à décliné ces dernières années : le plan de réponse à la crise humanitaire au Liban a été financée à 63 % en 2020, et seulement 56% en 2021, un chiffre qui risque encore de baisser en 2022. Même les ONG humanitaires internationales, comme Danish Refugee Council, sont restées à budget constant alors que le nombre de bénéficiaires a explosé au Liban.
Ce déclin des financements s'ajoute à la difficulté structurelle des ONG libanaises à capter des financements internationaux. En effet, seules 4 % des ONG libanaises en bénéficient, tandis que 2 % seulement du montant des aides perçues pour la crise syrienne sont allées aux associations nationales. Cette situation, critique, risque de s'aggraver davantage encore dans les prochaines années avec l'assèchement du financement international.
Cette crise humanitaire n’affecte plus uniquement les réfugiés syriens et palestiniens, mais s’est élargi à l’ensemble des Libanais, dont 82 % sont à présent sous le seuil de pauvreté et 33 % en état d'extrême pauvreté. Les ONG ne seront plus en mesure de faire face à cette paupérisation dans le futur, faute de financements, alors qu'elles constituent l'essentiel de l'assistance sociale et médicale dans le pays.
Un cocktail explosif qui menace la stabilité du pays et révèle les contradictions de l’aide au développement, dépendante des agendas géopolitiques occidentaux.
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