Taxi roule dans la nuit, le pays cavale en sens opposé. La vitre comme écran, lignées chaotiques d’immeubles jetées dans tes yeux. Traverser un monde connu reconnu, toujours surprenant. Tu te répètes, mon pays; comme un aveu sans faute. Filmer en silence, dans ton silence, dans les froufrous de l’air qui passe. Ne retenir que les bruits de fond d’une ville, Beyrouth vit quand le jour a cessé de l’agiter. Glissements de pneus; le mouvement se perçoit, sonore dans la nuit.
Tu filmes pour éviter les mots, ils anticipent, altèrent tes perceptions à trop tenter de les définir. Tu veux les sensations; toutes et brutes. Tu les veux sans transition, dans tes sens. Précipiter ton corps dans le giron du pays natal, comme on se presse contre les seins maternels sans savoir quel réconfort attendre.
Tu es montée en voiture. Au même instant, le chauffeur a laissé tomber sa cigarette par la fenêtre. Pointe de couleur fumante, elle s’éteindra seule au sol où crisse le caoutchouc qui s’y frotte déjà. L’odeur du tabac, matière qui garde possession de l’air, comme si le chauffeur fumait encore. Comme s’il n’allait jamais cesser de fumer. Elle t’a envahie de sa texture qui résiste, impossible de faire semblant, de colmater. L’odorat, le plus violent des sens. Tu n’as pas osé baisser la vitre pour respirer autre chose, le chauffeur s’étant plaint du durcissement du froid ces derniers jours.
— Bonsoir. Adonis, c’est ça? Ça caille trop, pauvres de nous.
Cherche-t-il à entamer la conversation ou à expliquer la capuche sur sa tête rabattue? Ces mots puis rien. Sa présence dans l’odeur en traine, le mouvement de sa tête, tapotement de la main sur le volant, rythme nerveux. La radio dégouline de mélodies circulaires; chansons orientales qu’on écoute depuis toujours, le classique populaire. Je suis au pays, je suis indéniablement d’ici quand ces chansons remontent du passé.
— La musique vous gêne ?
Ce seront les derniers mots du trajet. Sans comprendre ta voix intime puisqu’il change la radio de station sans attendre ta réponse. Sans se douter du bonheur doux qui te berçait à écouter Fairouz, chaleur diffuse au bassin. À chanter avec elle dans la surdité de ta bouche. Du rock à présent, comme réveil brutal du réel. La musique soudain t’indispose malgré ton amour du rock. Tu ne dis rien, te bouches l’ouïe avec la vue, avec le trop plein d’images qui poursuivent leur course, direction opposée à la vôtre. Scories de vies qui se raccrochent à ton âme en semblant ainsi te fuir.
Tu filmes, corps calé contre la portière de droite qui retient et déploie le pays morcelé. Ce Liban qui te retient, toi, bousculée d’amour, de paradoxes, tristesse, joie simple. Toi en désarroi ici, toujours. Ici c’est chez toi. Ici, c’est davantage qu’un lieu, toi avec ici, ce monstre hybride quitté, sans séparation possible.
https://graciabejjani.fr/
youtube.com/c/graciabejjani
Tu filmes pour éviter les mots, ils anticipent, altèrent tes perceptions à trop tenter de les définir. Tu veux les sensations; toutes et brutes. Tu les veux sans transition, dans tes sens. Précipiter ton corps dans le giron du pays natal, comme on se presse contre les seins maternels sans savoir quel réconfort attendre.
Tu es montée en voiture. Au même instant, le chauffeur a laissé tomber sa cigarette par la fenêtre. Pointe de couleur fumante, elle s’éteindra seule au sol où crisse le caoutchouc qui s’y frotte déjà. L’odeur du tabac, matière qui garde possession de l’air, comme si le chauffeur fumait encore. Comme s’il n’allait jamais cesser de fumer. Elle t’a envahie de sa texture qui résiste, impossible de faire semblant, de colmater. L’odorat, le plus violent des sens. Tu n’as pas osé baisser la vitre pour respirer autre chose, le chauffeur s’étant plaint du durcissement du froid ces derniers jours.
— Bonsoir. Adonis, c’est ça? Ça caille trop, pauvres de nous.
Cherche-t-il à entamer la conversation ou à expliquer la capuche sur sa tête rabattue? Ces mots puis rien. Sa présence dans l’odeur en traine, le mouvement de sa tête, tapotement de la main sur le volant, rythme nerveux. La radio dégouline de mélodies circulaires; chansons orientales qu’on écoute depuis toujours, le classique populaire. Je suis au pays, je suis indéniablement d’ici quand ces chansons remontent du passé.
— La musique vous gêne ?
Ce seront les derniers mots du trajet. Sans comprendre ta voix intime puisqu’il change la radio de station sans attendre ta réponse. Sans se douter du bonheur doux qui te berçait à écouter Fairouz, chaleur diffuse au bassin. À chanter avec elle dans la surdité de ta bouche. Du rock à présent, comme réveil brutal du réel. La musique soudain t’indispose malgré ton amour du rock. Tu ne dis rien, te bouches l’ouïe avec la vue, avec le trop plein d’images qui poursuivent leur course, direction opposée à la vôtre. Scories de vies qui se raccrochent à ton âme en semblant ainsi te fuir.
Tu filmes, corps calé contre la portière de droite qui retient et déploie le pays morcelé. Ce Liban qui te retient, toi, bousculée d’amour, de paradoxes, tristesse, joie simple. Toi en désarroi ici, toujours. Ici c’est chez toi. Ici, c’est davantage qu’un lieu, toi avec ici, ce monstre hybride quitté, sans séparation possible.
https://graciabejjani.fr/
youtube.com/c/graciabejjani
Lire aussi
Commentaires