Faire “barrage au macronisme”, choisir le “moins pire”, ou encore par stratégie en vue des législatives, près d’un quart des électeurs du parti de gauche La France Insoumise (LFI) envisagent de donner leurs voix au parti d’extrême-droite du Rassemblement National (RN) au second tour de l’élection présidentielle française. Ils nous expliquent ici pourquoi.
Selon un sondage Ifop-Fiducial réalisé pour TF1, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon envisagent de se tourner à 23 % vers Marine Le Pen - soit presque 1.800.000 de Français - malgré la consigne du candidat LFI de ne lui donner aucune voix.
Les voix de l’électorat LFI seraient ainsi très divisées, avec 33 % de report des voix vers Emmanuel Macron et une proportion très élevée d’abstention ou de vote blanc (44 % des sondés).
Pourquoi voter pour le parti qui semble le plus éloigné des valeurs de La France Insoumise, parti de gauche, voire de la gauche radicale, plutôt que pour un parti de centre-droite? Pour une partie de l'électorat LFI, peu importe l’identité du nouveau président, on ne pourra pas “faire pire” qu’avec Macron.
Samy, ingénieur de 27 ans dans l’Est de la France, n’avait jamais voté avant la présidentielle de 2022, du fait qu’il n’avait pas foi dans la valeur démocratique du geste. Il s’est décidé de voter pour la première fois cette année, avec comme seul objectif d'empêcher Macron d'être réélu.
“Je ne veux plus de ce président ultralibéral qui sert les intérêts de ses amis uniquement, qui accumule les conflits d'intérêts, qui légifère par ordonnances, qui méprise le peuple, et qui a entravé nos libertés à un niveau inacceptable pour une démocratie avec le pass vaccinal obligatoire”.
Selon cette logique anti-Macron, Samy a voté pour Mélenchon au premier tour de la présidentielle, candidat qui avait à ses yeux la meilleure chance de battre le président. Dans quelques jours, il votera pour Marine Le Pen, décidé à voter pour quiconque se retrouverait face à Macron au second tour.
La réputation de Macron de "président des riches” qui méprise une partie du peuple français semble lui coller à la peau. Le récent scandale McKinsey[1] n’a fait que renforcer cette réputation. Dans les propos de Samy on retrouve également un ressentiment fort et partagé par des Français de tous bords politiques envers des mesures considérées comme des dérives autoritaires, particulièrement à l’aune des mesures sanitaires anti-Covid, mais pas seulement.
Laura, ingénieure-son de 35 ans vivant dans le Sud-Ouest, a toujours voté à gauche, à l'exception de 2017 lorsqu’elle se résigna au “vote utile” face à l'extrême-droite au second tour de la présidentielle.
“Ça, c’est fini,'' affirme-t-elle. “Depuis 20 ans, on reçoit l’injonction de faire barrage à l'extrême-droite, mais on nous prend pour des imbéciles. Le vote des personnes de gauche comme moi n’est jamais pris en compte dans les politiques de ceux qui accèdent au pouvoir grâce à nous, à force, c'est de l’humiliation.”
Laura, comme bon nombre d'électeurs de gauche, n’arrive d’ailleurs plus à cerner la réelle différence qu’il peut y avoir entre la façon dont Macron a gouverné et le spectre de l'extrême-droite.
“On nous dit attention, l'extrême-droite au pouvoir, c’est une police brutale, la répression de manifestations, de la xénophobie, de l’islamophobie, etc. J’ai l’impression que l'on me décrit la réalité des cinq dernières années !”
La loi sécurité globale, et surtout la répression des manifestations des Gilets Jaunes, ont semble-t-il marqué les esprits, répression qui avait valu à l’époque à Macron le surnom de “l'éborgneur”.
“Donc moi”, conclue-t-elle, “je préfère voter pour Le Pen, même si je déteste ce qu’elle représente. Au moins on sera tous d’accord sur la vraie nature du pouvoir en place, et ça va réveiller les gens, on va peut-être enfin avoir une mobilisation digne de ce nom et changer de système."
Le sentiment de Laura trouve écho chez les électeurs LFI qui comptent voter pour le RN avec en vue les élections législatives. Cyprien, exploitant agricole de 28 ans, est un militant LFI (et avant ça Front de Gauche) depuis plus de 10 ans. Il ne partage en conséquence pas les idées de Marine Le Pen, mais votera néanmoins pour elle au second tour de la présidentielle. Il justifie son choix par une approche qu’il veut stratégique:
“Je veux voter Le Pen, car j’ai en vue les élections législatives. Si Le Pen passe, il y aura un vote barrage anti-Rassemblement National de masse aux élections législatives. On pourra ainsi forcer une Assemblée Nationale mixte, et même une cohabitation, d’autant que les votes RN disparaissent vite après l’élection présidentielle. En plus, les gens vont s'apercevoir qu’il faut complètement changer de modèle, or c’est ce à quoi j’aspire avec Mélenchon et la VIᵉ République. En revanche, si Macron est élu, les gens vont retomber dans l’apathie politique qui leur est coutumière, il y aura une forte abstention aux législatives. Donc Macron a de fortes chances de gouverner comme il l’a fait pendant cinq ans, avec une majorité absolue à l'Assemblée. Ce serait terrible.”
L'idée qu’il sera plus facile de combattre Marine Le Pen que Macron, et que contrairement à lui il lui sera impossible d’obtenir une majorité à l'Assemblée, semble être un moteur essentiel du report d’un quart des voix de LFI vers le RN.
Samy partage ce sentiment: “En me penchant sur le programme de Marine Le Pen, j’y trouve des éléments rassurants, et finalement moins de droite que celui de Macron : elle propose par exemple, d’instaurer le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), on est loin du fascisme et de l’autoritarisme prédits par certains, surtout comparé à un président qui a pris une grande partie de ses décisions depuis deux ans en conseil de défense d'urgence restreint. Et ce RIC nous permettrait de l'empêcher d'instaurer les lois que certains craignent, sur l’immigration, par exemple.”
Que le bilan que ces gens font du quinquennat de Macron soit juste ou erroné, qu’ils placent trop de confiance ou pas dans le réveil du peuple français et sa capacité à bloquer Le Pen, cela importe peu, car leur choix semble être fait. “Je ne changerai pas d’avis”, ont-ils tous annoncé. Il reste néanmoins au président quelques jours encore pour se montrer convaincant s’il veut conquérir une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, à 77 % décidé à ne pas voter pour lui.
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[1] Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale le 31 mars 2022 à la suite d'accusations d'une commission d'enquête du Sénat sur l'influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
Selon un sondage Ifop-Fiducial réalisé pour TF1, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon envisagent de se tourner à 23 % vers Marine Le Pen - soit presque 1.800.000 de Français - malgré la consigne du candidat LFI de ne lui donner aucune voix.
Les voix de l’électorat LFI seraient ainsi très divisées, avec 33 % de report des voix vers Emmanuel Macron et une proportion très élevée d’abstention ou de vote blanc (44 % des sondés).
Pourquoi voter pour le parti qui semble le plus éloigné des valeurs de La France Insoumise, parti de gauche, voire de la gauche radicale, plutôt que pour un parti de centre-droite? Pour une partie de l'électorat LFI, peu importe l’identité du nouveau président, on ne pourra pas “faire pire” qu’avec Macron.
Samy, ingénieur de 27 ans dans l’Est de la France, n’avait jamais voté avant la présidentielle de 2022, du fait qu’il n’avait pas foi dans la valeur démocratique du geste. Il s’est décidé de voter pour la première fois cette année, avec comme seul objectif d'empêcher Macron d'être réélu.
“Je ne veux plus de ce président ultralibéral qui sert les intérêts de ses amis uniquement, qui accumule les conflits d'intérêts, qui légifère par ordonnances, qui méprise le peuple, et qui a entravé nos libertés à un niveau inacceptable pour une démocratie avec le pass vaccinal obligatoire”.
Selon cette logique anti-Macron, Samy a voté pour Mélenchon au premier tour de la présidentielle, candidat qui avait à ses yeux la meilleure chance de battre le président. Dans quelques jours, il votera pour Marine Le Pen, décidé à voter pour quiconque se retrouverait face à Macron au second tour.
La réputation de Macron de "président des riches” qui méprise une partie du peuple français semble lui coller à la peau. Le récent scandale McKinsey[1] n’a fait que renforcer cette réputation. Dans les propos de Samy on retrouve également un ressentiment fort et partagé par des Français de tous bords politiques envers des mesures considérées comme des dérives autoritaires, particulièrement à l’aune des mesures sanitaires anti-Covid, mais pas seulement.
Laura, ingénieure-son de 35 ans vivant dans le Sud-Ouest, a toujours voté à gauche, à l'exception de 2017 lorsqu’elle se résigna au “vote utile” face à l'extrême-droite au second tour de la présidentielle.
“Ça, c’est fini,'' affirme-t-elle. “Depuis 20 ans, on reçoit l’injonction de faire barrage à l'extrême-droite, mais on nous prend pour des imbéciles. Le vote des personnes de gauche comme moi n’est jamais pris en compte dans les politiques de ceux qui accèdent au pouvoir grâce à nous, à force, c'est de l’humiliation.”
Laura, comme bon nombre d'électeurs de gauche, n’arrive d’ailleurs plus à cerner la réelle différence qu’il peut y avoir entre la façon dont Macron a gouverné et le spectre de l'extrême-droite.
“On nous dit attention, l'extrême-droite au pouvoir, c’est une police brutale, la répression de manifestations, de la xénophobie, de l’islamophobie, etc. J’ai l’impression que l'on me décrit la réalité des cinq dernières années !”
La loi sécurité globale, et surtout la répression des manifestations des Gilets Jaunes, ont semble-t-il marqué les esprits, répression qui avait valu à l’époque à Macron le surnom de “l'éborgneur”.
“Donc moi”, conclue-t-elle, “je préfère voter pour Le Pen, même si je déteste ce qu’elle représente. Au moins on sera tous d’accord sur la vraie nature du pouvoir en place, et ça va réveiller les gens, on va peut-être enfin avoir une mobilisation digne de ce nom et changer de système."
Le sentiment de Laura trouve écho chez les électeurs LFI qui comptent voter pour le RN avec en vue les élections législatives. Cyprien, exploitant agricole de 28 ans, est un militant LFI (et avant ça Front de Gauche) depuis plus de 10 ans. Il ne partage en conséquence pas les idées de Marine Le Pen, mais votera néanmoins pour elle au second tour de la présidentielle. Il justifie son choix par une approche qu’il veut stratégique:
“Je veux voter Le Pen, car j’ai en vue les élections législatives. Si Le Pen passe, il y aura un vote barrage anti-Rassemblement National de masse aux élections législatives. On pourra ainsi forcer une Assemblée Nationale mixte, et même une cohabitation, d’autant que les votes RN disparaissent vite après l’élection présidentielle. En plus, les gens vont s'apercevoir qu’il faut complètement changer de modèle, or c’est ce à quoi j’aspire avec Mélenchon et la VIᵉ République. En revanche, si Macron est élu, les gens vont retomber dans l’apathie politique qui leur est coutumière, il y aura une forte abstention aux législatives. Donc Macron a de fortes chances de gouverner comme il l’a fait pendant cinq ans, avec une majorité absolue à l'Assemblée. Ce serait terrible.”
L'idée qu’il sera plus facile de combattre Marine Le Pen que Macron, et que contrairement à lui il lui sera impossible d’obtenir une majorité à l'Assemblée, semble être un moteur essentiel du report d’un quart des voix de LFI vers le RN.
Samy partage ce sentiment: “En me penchant sur le programme de Marine Le Pen, j’y trouve des éléments rassurants, et finalement moins de droite que celui de Macron : elle propose par exemple, d’instaurer le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), on est loin du fascisme et de l’autoritarisme prédits par certains, surtout comparé à un président qui a pris une grande partie de ses décisions depuis deux ans en conseil de défense d'urgence restreint. Et ce RIC nous permettrait de l'empêcher d'instaurer les lois que certains craignent, sur l’immigration, par exemple.”
Que le bilan que ces gens font du quinquennat de Macron soit juste ou erroné, qu’ils placent trop de confiance ou pas dans le réveil du peuple français et sa capacité à bloquer Le Pen, cela importe peu, car leur choix semble être fait. “Je ne changerai pas d’avis”, ont-ils tous annoncé. Il reste néanmoins au président quelques jours encore pour se montrer convaincant s’il veut conquérir une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, à 77 % décidé à ne pas voter pour lui.
Juliette Le Ménahèze
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[1] Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale le 31 mars 2022 à la suite d'accusations d'une commission d'enquête du Sénat sur l'influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
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