©Poutine a toujours eu un penchant prononcé à exhiber ses muscles, sur les tatamis comme sur les champs de batailles
Le Moskva, le navire-amiral de la flotte russe en mer Noire, vient de couler: les missiles Neptune lui ont rendu la monnaie de sa pièce! Ce croiseur s’était déjà illustré en 2015, en mer de Syrie, avant d’intervenir le long des côtes ukrainiennes pour y prêcher la bonne parole et la fraternité entre les peuples. Mais, au fait, qu’avait-il comme bagages en soute et qu’allait-il proposer comme modèle de gouvernement pour emporter l’adhésion unanime dans les ports de mouillage? Aurait-il plaidé le libéralisme économique à Lattaquié? Certainement pas! La transparence démocratique à l’Ile des Serpents ou à Odessa? Non plus! La liberté d’expression et d’association à Marioupol? Encore moins.
La résolution pacifique des conflits n’est pas dans les cordes d’un vaisseau de guerre. Emblème ostentatoire de puissance, le Moskva était synonyme d’effroi et de répression. Il incarnait l’appétit de conquête du Kremlin où la druzhina aux commandes, depuis plus de vingt ans, veut reconstituer l’Union soviétique dans ses frontières staliniennes.
La politique de la canonnière
Si Poutine était resté chez lui, il ne se serait pas rendu coupable de crimes de guerre et d’agression au pays des cosaques. Blaise Pascal l’avait pourtant prévenu, et en termes on ne peut plus explicites : «Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre». Mais comment faire entendre raison à des autocrates, ces présidents à vie «portés au pouvoir par la volonté populaire», comme on le dit prudemment? À cette variété particulière de gouvernants, un choix unique s’impose: du moment qu’ils ont dénié à leurs citoyens l’exercice des libertés formelles, dont la liberté d’expression, ils doivent leur offrir en compensation des exploits militaires. Ils sont censés voler de victoire en victoire pour s’assurer la loyauté indéfectible et la confiance inébranlable des foules partisanes. D’où l’aventurisme dans lequel ces dictateurs s’investissent et la course à l’abîme dans laquelle ils se lancent tête baissée.
Nul despote ou satrape n’a échappé à ce schéma qui participe de la fatalité. Après avoir remilitarisé la Rhénanie et proclamé l’Anschluss avec l’Autriche, Hitler a occupé la Tchécoslovaquie pour enfin envahir la Pologne, ce qui déchaîna la Seconde Guerre mondiale. Au Moyen-Orient, Saddam Hussein, qui n’avait pas assimilé la leçon infligée à son aîné germanique, déclencha une guerre pour rien avec l’Iran, et poursuivit dans la foulée son aventure funeste au Koweït en 1990. À défaut de miracle économique, Kim Jong-un teste des missiles à longue portée, en violation d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, au nez et à la barbe des États-Unis. Quant à Poutine, qui avait écrasé Grozny sous les obus en 1999-2000, il n’hésita pas en 2014 à annexer la Crimée et à fomenter le séparatisme dans le Donbass, faisant fi de toutes les règles du droit international.
L’homme au pouvoir à Moscou ne pouvait s’offrir autre chose qu’une «opération militaire spéciale» – c’est ainsi qu’il désigne son agression – quand son bilan économique est désastreux et que des dizaines de milliers de spécialistes de nouvelles technologies ont déjà plié bagage pour échapper à la récession qui s’annonce.
Non merci, vraiment pas!
C’est assez incommode que d’avoir pour voisin géographique un Joseph Staline, un Kim Jong-un ou un Wladimir Poutine! Alors quand un tel voisin se présente à votre porte, avec armes et bagages, pour vous déclarer son amour passionnel et convoler en justes noces, il est légitime de lui poser la question : «Qu’avez-vous à m’offrir?» Si le musellement de la presse et de l’opposition n’est pas pour vous séduire, peut-être seriez-vous en mesure de lui dire: «Non merci, vraiment pas!»
Cependant, il s’agit là non pas d’accordailles, mais de relations internationales. Alors un pays peut valablement s’enquérir de la manière dont un autre compte le phagocyter, c’est-à-dire à quelle sauce le voisin vorace va l’accommoder avant de l’engloutir. À l’idée de certains, Poutine ne veut pas conquérir l’Ukraine mais la détruire. C’est un éradicateur nous rappelle-t-on, et d’après son proche collaborateur, le propagandiste Timofeï Sergueïtsev, ce qui attend Kiev n’est pas rassurant, à savoir «l’instauration d’un régime de terreur basé sur la délation, l’imposition de la propagande russe dans les médias et d’une éducation respectant la version russe de l’histoire». Un accouplement fusionnel en quelque sorte!
Autres temps, autres mœurs, quand Hafez el-Assad prit le Liban, soi-disant pour mettre un terme à la guerre fratricide des "deux ans", il y mit les formes. Ses intérêts bien compris, il n’allait pas dévaster le pays ou si peu; il n’allait pas tuer la poule aux œufs d’or qu’était Beyrouth. Un régime de faveur nous fut accordé quand on sait quel sort attendit la bonne ville de Hama en 1982. Et c’est ainsi que se révéla la politique syrienne dans toute sa finesse.
Forts de cette expérience et de ce précédent, nous allons poser à l’Iran une question lancinante: «Vous qui prenez vos quartiers à Beyrouth, qu’avez-vous à nous offrir?» Nous pouvons tout aussi bien nous tourner vers le cheikh Naïm Kassem pour lui demander: que gagnerait le Liban à être « ayatollisé » ou anabolisé?
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