La banque russe de Marine Le Pen, le pouvoir d’achat, la retraite à 65 ans, l’augmentation de la dette publique de 600 milliards, le port du voile dans la rue…Tous les grands thèmes de la campagne présidentielle auront été égrenés pendant presque trois heures, mercredi soir, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, sans que jamais la moindre étincelle ne vienne réveiller une démocratie française assoupie.
« Peu importe le flacon, dit-on, pourvu qu’on ait l’ivresse ». Dans le cas du grand débat de la présidentielle française entre les deux candidats sélectionnés pour le second tour, le flacon n’a pas changé depuis 1974 et l’ivresse n’est pas au rendez-vous.
Et c’est bien dommage, tant cette grand-messe de presque trois heures, saucissonnée en sept thèmes et cadenassés par une égalité de temps de parole, aurait besoin d’être repensée.
Du coup, les commentateurs sont nombreux, ce jeudi matin, pour constater que ce débat formaté ne changera quasiment rien au sort de l’élection présidentielle de dimanche prochain.
«Monsieur le Premier ministre»
Le niveau baisse, c’est clair. On repense à cet échange théâtral, en 1988, entre un François Mitterand encore président et un Jacques Chirac alors Premier ministre.
-«Je continuerai à vous appeler monsieur le Premier ministre puisque c’est comme cela que je vous ai appelé pendant deux ans».
-« Permettez-moi de vous dire, répond Chirac, que ce soir je ne suis pas le Premier ministre et vous le président de la République, nous sommes tous deux candidats, à égalité, qui se soumettent au jugement des Français, le seul qui compte»
-«Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre», reprend Mitterrand pour abaisser son adversaire.
Ce qu’on sait moins, c’est que dans les négociations entre les entourages qui ont précédé la rencontre, les proches du candidat de la gauche française n’avaient exigé qu’une condition à ce débat. Que la largeur de la table placée entre les deux protagonistes ne dépasse pas une certaine largeur. Or ces deux mètres et quelques centimètres entre les deux concurrents étaient la distance exacte qui séparait, lors de chaque conseil des ministres du mercredi, Mitterrand et Chirac.
Le premier avait souhaité placer le second lors du débat dans la même position subalterne. N’est pas Mitterrand qui veut !
https://www.youtube.com/watch?v=vpwq_3Yg3uM
« Le monopole du cœur »
Deux septennats plus tôt, ce fut un Valéry Giscard d’Estaing très inspiré qui lança à son concurrent François Mitterrand, qui en appelait au peuple de gauche et aux mannes de Jaurès et de Blum: «Je trouve choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur».
Ces derniers jours, Emmanuel Macron avait désespérément cherché la formule qui inscrirait le débat dans l’Histoire médiatique. On l’attend toujours, à l’exception de ce scud sans panache lancé à Marine Le Pen :
-«Vous parlez à votre banquier quand vous parlez à la Russie».
- «Nous sommes un parti pauvre, a répondu la candidate d’extrême droite, ce n’est pas déshonorant».
Marine, encore un effort !
Au final, la meilleure répartie de ce débat interminable aura été Marine Le Pen lançant à son rival: «Je ne suis pas climato sceptique, mais vous, vous êtes climatohypocrite ». Ce qui est juste quand on entend l’ami des chasseurs qu’est Macron en appeler, le temps d’une campagne, à la nomination d’un Premier ministre en charge d’une «planification écologique», un gadget qui n’engage à rien.
Pour le reste, le débat a été parfaitement convenu, le vocabulaire lissé et les scuds attendus. L’épreuve de rattrapage de Marine Le Pen, option économie, n’a pas été très concluante. Deux exemples illustrent une remise à niveau insuffisante: s’il est vrai que le quinquennat Macron a creusé l’endettement public de la France, la candidate du Rassemblement National n’a pas expliqué comment elle aurait agi autrement face à la pandémie qu’en distribuant de l’argent public; et si elle a constaté, à juste titre, que les importations sont responsables de la moitié des émissions de CO2, on a pas compris comment le «produire français» limiterait par magie les effets de la pollution.
On s’attendait au moins qu’elle se lance dans un réquisitoire contre les cabinets d’audits qui, sans payer d’impôts, ont reçu, grâce à l’Élysée, un million d’euros.
Face à cette élève médiocre, Emmanuel Macron a joué les maitres d’école agressifs et excédés. Ce qui a confirmé l’arrogance et l’élitisme qui lui colle à sa peau d’inspecteur des finances comme un méchant sparadrap. D’autant que Marine Le Pen est apparue souriante, quasiment apaisée et à l’écoute des plus déshérités.
https://www.youtube.com/watch?v=2bpUX8sFqZE
Petite musique fatale
Les vrais clivages ont été largement mis sous le tapis, chacun travaillant une image consensuelle, Macron en draguant (grossièrement) les écologistes et Le Pen en appelant à «la concorde nationale».
Seul le débat en toute fin d’émission sur le port du voile dans l’espace public a réveillé les ardeurs des deux candidats.
Pour le meilleur, chez le président sortant, capable de prendre à rebours son électorat en défendant le droit de chacun à vivre sa religion, y compris en portant le voile ; pour le pire chez sa challenger, dont le naturel est revenu au galop pour dénoncer pêle-mêle le voile islamisme, l’immigration ou les clandestins.
Autant dire que pour la troisième fois dans l’histoire de la Vème République, le «tout sauf le Pen» dictera sans doute le choix par défaut d’une majorité de Français. Du moins ceux qui votent, car un débat politique aussi pauvre ne peut que favoriser une abstention massive et l’éloignement de la jeune génération de tout engagement politique.
« Peu importe le flacon, dit-on, pourvu qu’on ait l’ivresse ». Dans le cas du grand débat de la présidentielle française entre les deux candidats sélectionnés pour le second tour, le flacon n’a pas changé depuis 1974 et l’ivresse n’est pas au rendez-vous.
Et c’est bien dommage, tant cette grand-messe de presque trois heures, saucissonnée en sept thèmes et cadenassés par une égalité de temps de parole, aurait besoin d’être repensée.
Du coup, les commentateurs sont nombreux, ce jeudi matin, pour constater que ce débat formaté ne changera quasiment rien au sort de l’élection présidentielle de dimanche prochain.
«Monsieur le Premier ministre»
Le niveau baisse, c’est clair. On repense à cet échange théâtral, en 1988, entre un François Mitterand encore président et un Jacques Chirac alors Premier ministre.
-«Je continuerai à vous appeler monsieur le Premier ministre puisque c’est comme cela que je vous ai appelé pendant deux ans».
-« Permettez-moi de vous dire, répond Chirac, que ce soir je ne suis pas le Premier ministre et vous le président de la République, nous sommes tous deux candidats, à égalité, qui se soumettent au jugement des Français, le seul qui compte»
-«Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre», reprend Mitterrand pour abaisser son adversaire.
Ce qu’on sait moins, c’est que dans les négociations entre les entourages qui ont précédé la rencontre, les proches du candidat de la gauche française n’avaient exigé qu’une condition à ce débat. Que la largeur de la table placée entre les deux protagonistes ne dépasse pas une certaine largeur. Or ces deux mètres et quelques centimètres entre les deux concurrents étaient la distance exacte qui séparait, lors de chaque conseil des ministres du mercredi, Mitterrand et Chirac.
Le premier avait souhaité placer le second lors du débat dans la même position subalterne. N’est pas Mitterrand qui veut !
https://www.youtube.com/watch?v=vpwq_3Yg3uM
« Le monopole du cœur »
Deux septennats plus tôt, ce fut un Valéry Giscard d’Estaing très inspiré qui lança à son concurrent François Mitterrand, qui en appelait au peuple de gauche et aux mannes de Jaurès et de Blum: «Je trouve choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur».
Ces derniers jours, Emmanuel Macron avait désespérément cherché la formule qui inscrirait le débat dans l’Histoire médiatique. On l’attend toujours, à l’exception de ce scud sans panache lancé à Marine Le Pen :
-«Vous parlez à votre banquier quand vous parlez à la Russie».
- «Nous sommes un parti pauvre, a répondu la candidate d’extrême droite, ce n’est pas déshonorant».
Marine, encore un effort !
Au final, la meilleure répartie de ce débat interminable aura été Marine Le Pen lançant à son rival: «Je ne suis pas climato sceptique, mais vous, vous êtes climatohypocrite ». Ce qui est juste quand on entend l’ami des chasseurs qu’est Macron en appeler, le temps d’une campagne, à la nomination d’un Premier ministre en charge d’une «planification écologique», un gadget qui n’engage à rien.
Pour le reste, le débat a été parfaitement convenu, le vocabulaire lissé et les scuds attendus. L’épreuve de rattrapage de Marine Le Pen, option économie, n’a pas été très concluante. Deux exemples illustrent une remise à niveau insuffisante: s’il est vrai que le quinquennat Macron a creusé l’endettement public de la France, la candidate du Rassemblement National n’a pas expliqué comment elle aurait agi autrement face à la pandémie qu’en distribuant de l’argent public; et si elle a constaté, à juste titre, que les importations sont responsables de la moitié des émissions de CO2, on a pas compris comment le «produire français» limiterait par magie les effets de la pollution.
On s’attendait au moins qu’elle se lance dans un réquisitoire contre les cabinets d’audits qui, sans payer d’impôts, ont reçu, grâce à l’Élysée, un million d’euros.
Face à cette élève médiocre, Emmanuel Macron a joué les maitres d’école agressifs et excédés. Ce qui a confirmé l’arrogance et l’élitisme qui lui colle à sa peau d’inspecteur des finances comme un méchant sparadrap. D’autant que Marine Le Pen est apparue souriante, quasiment apaisée et à l’écoute des plus déshérités.
https://www.youtube.com/watch?v=2bpUX8sFqZE
Petite musique fatale
Les vrais clivages ont été largement mis sous le tapis, chacun travaillant une image consensuelle, Macron en draguant (grossièrement) les écologistes et Le Pen en appelant à «la concorde nationale».
Seul le débat en toute fin d’émission sur le port du voile dans l’espace public a réveillé les ardeurs des deux candidats.
Pour le meilleur, chez le président sortant, capable de prendre à rebours son électorat en défendant le droit de chacun à vivre sa religion, y compris en portant le voile ; pour le pire chez sa challenger, dont le naturel est revenu au galop pour dénoncer pêle-mêle le voile islamisme, l’immigration ou les clandestins.
Autant dire que pour la troisième fois dans l’histoire de la Vème République, le «tout sauf le Pen» dictera sans doute le choix par défaut d’une majorité de Français. Du moins ceux qui votent, car un débat politique aussi pauvre ne peut que favoriser une abstention massive et l’éloignement de la jeune génération de tout engagement politique.
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