©(Photo by Eric Feferberg / AFP)
Un hyper-président qui fixe verticalement la politique de la Nation s'il dispose d'une majorité à l'Assemblée, mais un chef de l'Etat "mis à nu" s'il se retrouve en cohabitation: la présidence française balance entre régime présidentiel ou parlementaire.
Avant le second tour de la présidentielle, les spécialistes Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Panthéon-Sorbonne, et Didier Maus, président émérite de l'Association française de droit constitutionnel, expliquent les pouvoirs du président de la République :
Souvent décriée comme permettant l'élection d'un monarque qui ne doit de comptes à personne, la Ve République a pourtant délimité les pouvoirs du président. "Il n'est pas un roi au sens Louis XIV du terme, car la Constitution lui accorde un rôle d'arbitre qui veille au bon fonctionnement des institutions", décrit Dominique Rousseau. Elle donne au chef de l'Etat "le pouvoir de sollicitation d'autres pouvoirs". Il a ainsi la compétence de nommer le Premier ministre, mais il revient au Parlement de lui accorder sa confiance. Il peut aussi dissoudre l'Assemblée nationale, mais il accorde alors le pouvoir au peuple et prend le risque de ne pas obtenir le résultat escompté. Ce fut le cas de Jacques Chirac en 1997 qui a perdu la majorité de droite dont il disposait au profit de l'opposition. "C'est un pouvoir qui peut conduire à perdre le pouvoir", explique Didier Maus.
Graphique présentant les résultats du second tour de la présidentielle sous la Vème République - AFP / AFP
Il existe une forte contradiction entre la théorie et la pratique. Si la Constitution attribue formellement au Premier ministre et au gouvernement la capacité de "déterminer et de conduire la politique de la Nation", dans les faits, c'est le chef de l'Etat qui fixe le cap. "C'est l'éternelle ambigüité: le président français dispose de peu de pouvoirs personnels, mais il y a eu un transfert de pouvoir du gouvernement vers le président pour des raisons politiques et non juridiques", résume M. Maus. M. Rousseau attribue cette évolution à deux facteurs. Tout d'abord la Guerre d'Algérie, gérée directement par le général Charles De Gaulle jusqu'en 1962. Et puis, les législatives de cette même année qui ont permis au président d'obtenir une large majorité sous son propre nom. Selon le constitutionnaliste, le président est ainsi "passé d'arbitre à capitaine".
Sans majorité, "il ne peut rien faire. Le roi est nu", observe Dominique Rousseau. Le président est contraint de nommer un Premier ministre accepté par la majorité parlementaire. Ce fut le cas lors des cohabitations entre François Mitterrand et Jacques Chirac (1986-1988), puis entre le même président et Edouard Balladur (1993-1995) et pendant les cinq ans de cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002). Depuis le passage du septennat au quinquennat en 2002, il n'y a plus eu de cohabitation. En demandant aux Français de "l'élire Premier ministre" lors des prochaines législatives, l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon table donc sur l'obtention d'une majorité à l'Assemblée qui imposerait la cohabitation au chef de l'Etat. Une fois nommé par le président, il fixerait alors le cap. "Un président de la République en cohabitation, c'est un René Coty amélioré mais pas beaucoup plus", souligne Didier Maus, en allusion au dernier président de la IVe République.
Sans majorité, le président peut être tenté de contourner le Parlement pour consulter directement le peuple et modifier la Constitution, suivant l'exemple de Charles de Gaulle en 1962 qui a instauré ainsi l'élection au suffrage universel direct du Président de la République. Soixante ans plus tard, la candidate du RN Marine Le Pen promet de passer également par le référendum. Or, les deux constitutionnalistes interrogés sont formels: si le président passe directement par le peuple, il se heurtera à l'autre garde-fou prévu dans la Constitution: le Conseil constitutionnel. "L'article 60 lui donne mission de veiller à la régularité des opérations référendaires", souligne M. Rousseau. A ses yeux, "on ne peut pas rédiger la Constitution suite à référendum par le biais de l'article 11" comme l'entend Mme Le Pen, "mais par celui de l'article 89 qui impose l'accord des deux assemblées et du Conseil constitutionnel. Pour M. Maus, le Conseil constitutionnel a désormais le pouvoir de contrôler un référendum ab initio (au point de départ du processus, ndlr). Ce n'était pas le cas en 1962".
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Avant le second tour de la présidentielle, les spécialistes Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Panthéon-Sorbonne, et Didier Maus, président émérite de l'Association française de droit constitutionnel, expliquent les pouvoirs du président de la République :
La présidentielle élit-elle une sorte de roi ?
Souvent décriée comme permettant l'élection d'un monarque qui ne doit de comptes à personne, la Ve République a pourtant délimité les pouvoirs du président. "Il n'est pas un roi au sens Louis XIV du terme, car la Constitution lui accorde un rôle d'arbitre qui veille au bon fonctionnement des institutions", décrit Dominique Rousseau. Elle donne au chef de l'Etat "le pouvoir de sollicitation d'autres pouvoirs". Il a ainsi la compétence de nommer le Premier ministre, mais il revient au Parlement de lui accorder sa confiance. Il peut aussi dissoudre l'Assemblée nationale, mais il accorde alors le pouvoir au peuple et prend le risque de ne pas obtenir le résultat escompté. Ce fut le cas de Jacques Chirac en 1997 qui a perdu la majorité de droite dont il disposait au profit de l'opposition. "C'est un pouvoir qui peut conduire à perdre le pouvoir", explique Didier Maus.
Graphique présentant les résultats du second tour de la présidentielle sous la Vème République - AFP / AFP
Arbitre ou capitaine ?
Il existe une forte contradiction entre la théorie et la pratique. Si la Constitution attribue formellement au Premier ministre et au gouvernement la capacité de "déterminer et de conduire la politique de la Nation", dans les faits, c'est le chef de l'Etat qui fixe le cap. "C'est l'éternelle ambigüité: le président français dispose de peu de pouvoirs personnels, mais il y a eu un transfert de pouvoir du gouvernement vers le président pour des raisons politiques et non juridiques", résume M. Maus. M. Rousseau attribue cette évolution à deux facteurs. Tout d'abord la Guerre d'Algérie, gérée directement par le général Charles De Gaulle jusqu'en 1962. Et puis, les législatives de cette même année qui ont permis au président d'obtenir une large majorité sous son propre nom. Selon le constitutionnaliste, le président est ainsi "passé d'arbitre à capitaine".
Minoritaire à l'Assemblée, "le roi est nu"
Sans majorité, "il ne peut rien faire. Le roi est nu", observe Dominique Rousseau. Le président est contraint de nommer un Premier ministre accepté par la majorité parlementaire. Ce fut le cas lors des cohabitations entre François Mitterrand et Jacques Chirac (1986-1988), puis entre le même président et Edouard Balladur (1993-1995) et pendant les cinq ans de cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002). Depuis le passage du septennat au quinquennat en 2002, il n'y a plus eu de cohabitation. En demandant aux Français de "l'élire Premier ministre" lors des prochaines législatives, l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon table donc sur l'obtention d'une majorité à l'Assemblée qui imposerait la cohabitation au chef de l'Etat. Une fois nommé par le président, il fixerait alors le cap. "Un président de la République en cohabitation, c'est un René Coty amélioré mais pas beaucoup plus", souligne Didier Maus, en allusion au dernier président de la IVe République.
En cas de cohabitation, le président peut-il recourir au référendum ?
Sans majorité, le président peut être tenté de contourner le Parlement pour consulter directement le peuple et modifier la Constitution, suivant l'exemple de Charles de Gaulle en 1962 qui a instauré ainsi l'élection au suffrage universel direct du Président de la République. Soixante ans plus tard, la candidate du RN Marine Le Pen promet de passer également par le référendum. Or, les deux constitutionnalistes interrogés sont formels: si le président passe directement par le peuple, il se heurtera à l'autre garde-fou prévu dans la Constitution: le Conseil constitutionnel. "L'article 60 lui donne mission de veiller à la régularité des opérations référendaires", souligne M. Rousseau. A ses yeux, "on ne peut pas rédiger la Constitution suite à référendum par le biais de l'article 11" comme l'entend Mme Le Pen, "mais par celui de l'article 89 qui impose l'accord des deux assemblées et du Conseil constitutionnel. Pour M. Maus, le Conseil constitutionnel a désormais le pouvoir de contrôler un référendum ab initio (au point de départ du processus, ndlr). Ce n'était pas le cas en 1962".
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