Lavrov brandit la menace d'une Troisième guerre mondiale
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov avertit l'Occident du réel danger d'une Troisième guerre mondiale. Une menace à peine voilée qui n'est pas sans liens avec la visite du chef du Pentagone Lloyd Austin et du secrétaire d'État Antony Blinken - les premiers ministres américains à Kiev depuis le début de l'invasion russe. Avec toutefois l'affirmation ambigüe de poursuivre avec un Zelensky qualifié de "bon acteur" par M.Lavrov.

"Le danger est grave, il est réel"

Dans une lancée de signaux contradictoires, la Russie a assuré lundi vouloir poursuivre les négociations de paix avec l'Ukraine, tout en avertissant du danger "réel" que le conflit dégénère en Troisième guerre mondiale. Dans une intervention tout aussi paradoxale, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a accusé le président ukrainien Volodymyr Zelensky de "faire semblant" de discuter avec Moscou.

"C'est un bon acteur (...), si on regarde attentivement et on lit attentivement ce qu'il dit, vous allez y trouver un millier de contradictions", a-t-il affirmé. Il fait référence ici à l'ancienne carrière d'acteur de Zelensky, entre autres dans la série "Serviteur du Peuple" dans laquelle il incarnait le rôle d'un professeur d'histoire élu président de l'Ukraine.  Mais "nous continuons de mener des négociations avec l'équipe" ukrainienne "et ces contacts vont se poursuivre", a-t-il déclaré.

"La bonne volonté a ses limites. Et si elle n'est pas réciproque, cela ne contribue pas au processus de négociation", a enchaîné M. Lavrov, cité par les agences de presse russes. Quant au conflit en Ukraine, il s'est dit confiant sur le fait que "tout va bien sûr finir par la signature d’un accord". "Mais les modalités de cet accord dépendront de la situation des combats sur le terrain, au moment où cet accord deviendra une réalité", a ajouté M. Lavrov.
Lundi soir, le président Zelensky a lui estimé que la victoire ukrainienne n'était qu'une question de temps: "Grâce au courage, à la sagesse de nos défenseurs, grâce au courage de tous les Ukrainiens, de toutes les Ukrainiennes – notre État est un véritable symbole de la lutte pour la liberté", a-t-il estimé dans son adresse du soir.

Le conflit a anéanti toute coopération entre la Russie et les Occidentaux, qui enchaînent les expulsions de leurs diplomates respectifs. Lundi, Moscou a annoncé l'expulsion de 40 diplomates allemands, en représailles à une mesure similaire prise récemment par Berlin. Dans ce contexte, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres était attendu lundi en Turquie, un pays qui tente de jouer les médiateurs dans le conflit, avant de se rendre mardi à Moscou puis à Kiev.


Blinken et Austin à Kiev

Ces propos s'inscrivent au lendemain de la visite du chef du Pentagone Lloyd Austin et du secrétaire d'État Antony Blinken - les premiers ministres américains à Kiev depuis le début de l'invasion russe le 24 février. Au retour de cette visite a, le chef du Pentagone a estimé que Kiev pouvait gagner la guerre.

La visite des ministres américains à Kiev s'accompagne d'une nouvelle aide militaire directe et indirecte pour l'Ukraine de 700 millions de dollars. L'assistance de Washington à l'Ukraine s'élève dorénavant à 3,4 milliards. Ils fournissent désormais des armes lourdes pour contrer l'offensive russe qui se concentre sur l'est et le sud de l'Ukraine, après que les troupes de Moscou ont échoué dans la région de Kiev, dont elles se sont retirées fin mars.

L'objectif est clair: le chef du Pentagone Lloyd Austin a dit vouloir "voir la Russie affaiblie à un degré tel qu'elle ne puisse plus faire le même genre de choses que l'invasion de l'Ukraine". Les livraisons d'armes à l'Ukraine devraient être au centre d'une réunion, mardi en Allemagne, de M. Austin avec ses homologues de 40 pays alliés.

Selon le ministre de la Défense britannique Ben Wallace, Moscou a perdu à ce jour "approximativement 15.000 hommes" en Ukraine, un chiffre invérifiable de source indépendante. Moscou n'a donné aucun bilan depuis le 25 mars, lorsqu'elle avait affirmé avoir perdu 1.351 soldats.



Installations ferroviaires bombardées

L'armée russe a tiré lundi des missiles sur des installations ferroviaires ukrainiennes, faisant cinq morts et 18 blessés dans la région de Vinnytsia, important nœud ferroviaire dans le centre-ouest de l'Ukraine relativement épargné jusqu'ici. D'après le ministère ukrainien de la Défense, l'armée russe regroupe ses forces dans le sud et a tenté d'avancer en direction de Zaporojjia (est), mais a subi des pertes et n'y est pas parvenue.

Dans le reste du Donbass, l'armée ukrainienne a affirmé lundi avoir repoussé une série d'attaques russes dans les régions de Donetsk et de Lougansk, où beaucoup de localités, comme Roubijné, sont quotidiennement sous les bombes. La Russie affiche son objectif de s'emparer de la totalité de ce grand bassin industriel - que les séparatistes qu'elle soutient contrôlent partiellement depuis 2014 - et de prendre le contrôle total du sud de l'Ukraine, où les combats sont aussi quotidiens.

Les combats se poursuivent aussi dans la région de Kharkiv, dans le nord-est, avec un "encerclement partiel" de la deuxième ville d'Ukraine, selon le ministère ukrainien de la Défense. Les bombardements quotidiens obligent les civils des quartiers visés à dormir depuis des semaines dans des souterrains.


Azovstal, le dernier bastion

Dans le port stratégique de Marioupol, à la pointe sud du Donbass, presqu'entièrement contrôlé par les Russes mais où sont toujours coincés quelque 100.000 civils selon Kiev, la situation semblait bloquée.


Alors que les bombardements se sont poursuivis tout le week-end sur le vaste complexe métallurgique Azovstal, où sont retranchés les derniers combattants ukrainiens avec selon eux près de 1.000 civils, Moscou a annoncé unilatéralement un cessez-le-feu sur Azovstal lundi à partir de 11H00 GMT.

Mais Kiev a balayé cette annonce. "Aucun accord" n'a été conclu sur un couloir humanitaire qui permettrait de les évacuer, a déclaré la vice-Première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk. "Le couloir annoncé n'offre aucune sécurité, donc il n'y a pas d'évacuation". Moscou a accusé Kiev d'avoir empêché les civils de quitter Azovstal.


Des frappes ukrainiennes en Russie ?

En Russie, un grand dépôt de carburant était lundi en flammes à Briansk, une ville située à 150 km de la frontière ukrainienne et servant de base logistique aux forces russes, selon Moscou. Les autorités n'ont pas précisé dans l'immédiat les causes de l'incendie.

Lundi soir, le gouverneur de la région russe de Belgorod, frontalière de l'Ukraine, a accusé l'Ukraine d'avoir bombardé un village, Jouravliovka, affirmant que l'attaque a fait deux civils blessés et endommagé plusieurs maisons. La Russie a plusieurs fois accusé les forces ukrainiennes d'avoir effectué des frappes sur le sol russe, notamment sur deux villages dans la région de Belgorod et un village de la région de Briansk mi-avril.

Les services de renseignement russes (FSB) ont par ailleurs affirmé lundi avoir arrêté des "membres d'un groupe néonazi" qui projetaient selon eux d'assassiner - sur ordre des Ukrainiens - le présentateur vedette Vladimir Soloviev, propagandiste en chef du Kremlin. Kiev n'a pas immédiatement réagi.
Exigence de justice de la CPI

Le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a rejoint lundi l'équipe commune d'enquête européenne sur les crimes internationaux présumés commis en Ukraine, ont annoncé lundi Eurojust et le procureur de la CPI Karim Khan.

La situation en Ukraine "exige une action collective afin d'obtenir des preuves pertinentes et, en définitive, d'assurer leur utilisation efficace dans les procédures pénales", a déclaré Karim Khan dans un communiqué, saluant une "étape historique".

L'équipe commune d'enquête (JIT), mise en place en mars par la Lituanie, la Pologne et l'Ukraine avec le soutien d'Eurojust, vise à faciliter les enquêtes et les poursuites dans les États concernés ainsi que celles qui pourraient être menées devant la CPI, a précisé l'agence de coopération judiciaire dans un communiqué. "Le procureur de la CPI M. Karim Khan et les procureurs généraux des trois pays concernés ont signé aujourd'hui un accord sur la toute première participation du Bureau du Procureur à une JIT", a annoncé Eurojust.

Cet accord "permettra une coordination et une coopération rapides et en temps réel avec les pays partenaires (de l'équipe commune d'enquête), dans le cadre des enquêtes menées par le BdP et les autorités nationales compétentes", a précisé Eurojust.

Depuis 2018, l'Ukraine est l'un des 10 États non membres de l'UE qui disposent d'un procureur de liaison à Eurojust. En plus du parquet ukrainien et de la CPI, 11 Etats membres de l'UE - dont la Lituanie et la Pologne - ont ouvert une enquête sur de possibles crimes de guerre en Ukraine, ce que Moscou dément.

Le nombre actuel des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité recensés en Ukraine est supérieur à 6.000 et d'autres Etats membres envisagent de rejoindre la JIT, selon la Commission européenne. Les sièges d'Eurojust et de la CPI se situent à La Haye. Le procureur de la CPI, créée en 2002 pour juger les pires crimes commis dans le monde, a ouvert le 3 mars une enquête sur la situation en Ukraine, après avoir reçu le feu vert de près de 40 Etats parties.

"Grâce à sa participation à la JIT, mon Bureau améliorera considérablement sa capacité d'accès et de collecte d'informations pertinentes pour nos enquêtes indépendantes", a salué Karim Khan. Le Britannique s'est rendu plus tôt ce mois-ci dans la ville de Boutcha, près de Kiev, où des centaines de civils, selon les autorités ukrainiennes, ont été retrouvés morts après l'occupation russe. Il a au cours de cette visite déclaré que l'Ukraine était une "scène de crime".

Cet accord entre les procureurs permet également aux parties d'envoyer le "message clair que tous les efforts seront entrepris pour rassembler efficacement des preuves sur les principaux crimes internationaux commis en Ukraine et traduire les responsables en justice", a déclaré Eurojust. La Commission européenne a en outre proposé lundi de renforcer le mandat d'Eurojust pour lui permettre de conserver des preuves de crimes de guerre en Ukraine et de les partager notamment avec la CPI.

Bruxelles propose de "mettre en place un système central de stockage dans lequel pourraient être conservées les preuves recueillies par les agences et organes de l'Union, ainsi que par des autorités nationales et internationales ou par des tiers tels que des organisations de la société civile".

Avec AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire