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Réfugiés en Europe après la guerre qui a meurtri leur pays à la fin des années 1990, beaucoup de Tchétchènes continuent de vivre une vie qui n'en est pas vraiment une. Parfois accusés d'extrémisme religieux, menacés d'extradition, voire traqués par des milices au service de l'impitoyable président Kadyrov, ils tentent tant bien que mal de s'intégrer dans leurs sociétés d'accueil.
(AFP)
Leur capitale Grozny a subi le même sort que Marioupol, écrasée sous les bombes russes. Plus de deux décennies après, les Tchétchènes réfugiés en Europe vivent toujours dans la peur de Moscou.
Ils sont des dizaines de milliers à avoir fui la petite république russe à majorité musulmane ravagée par deux guerres meurtrières. La dernière, déclenchée en 1999 par Vladimir Poutine, a abouti à la mise en place à sa tête du redoutable Ramzan Kadyrov, fidèle du Kremlin accusé de réprimer impitoyablement ses détracteurs.
L'Autriche, pays de 9 millions d'habitants, en accueille quelque 35.000, la plus grande communauté en diaspora par habitant, sur 250.000 en Europe. A Vienne, ils vivent dans un quartier populaire du nord-est de la ville aux bâtisses d'après-guerre sans cachet et aux barres d'immeubles où les hommes sont souvent employés comme agents de sécurité pendant que les femmes élèvent les enfants.
Mais, sous ces apparences de tranquillité dans les rues aux pizzerias modestes, boutiques de robes de mariée typiques de là-bas ou commerces d'alimentation, des dizaines de réfugiés ont raconté à l'AFP être pris en tenailles.
Les uns craignent d'être renvoyés du jour au lendemain en Russie, au risque d'être torturés ou tués selon des organisations des droits de l'Homme, alors que les extraditions se sont accélérées au motif de la lutte antiterroriste depuis des attentats commis par des islamistes tchétchènes dans l'Union européenne (UE).
Les autres vivent dans l'angoisse d'être la cible des commandos de "Kadyrovtsy", ces hommes de main de Ramzan Kadyrov accusés par des ONG de traquer ses opposants sans relâche, y compris à l'étranger.
Jusqu'en février dernier, Zorbek Nazouïev, grand-père trapu à la longue barbe grise exilé en Autriche depuis 18 ans, n'avait plus entendu parler de la Russie. Après avoir rejoint pendant la première guerre (1994-1996) les "boïeviki", ces combattants tchétchènes qui ont affronté les troupes fédérales russes, il avait suite au deuxième conflit pris la fuite par crainte de représailles et reconstruit sa vie en Autriche avec ses nombreux enfants.
Et puis cette lettre du parquet autrichien est arrivée, l'informant de son inculpation pour meurtre et acte de terrorisme. Selon le document consulté par l'AFP, il est accusé d'avoir participé à des massacres de civils russes en 1995. Lui nie avoir "tué des innocents" et rappelle qu'il "se défendait alors contre l'envahisseur" russe. "On réécrit l'histoire", s'emporte le quinquagénaire qui s'exprime sous un nom d'emprunt.
L'homme se demande si cette volonté de le juger n'est pas plutôt liée à la présence dans sa famille d'un jihadiste parti combattre en Syrie dans les rangs de l'Etat islamique.
En dépit des nombreuses requêtes de l'AFP, les autorités autrichiennes en charge de ce dossier ont refusé de s'exprimer. Il n'a pas été possible non plus de parler à des sources judiciaires et policières, silencieuses sur ce sujet sensible.
En 2006, l'UE a conclu un accord de réadmission avec le gouvernement russe facilitant le retour des personnes condamnées en justice ou faisant l'objet d'une notice rouge d'Interpol émise par Moscou. Des Tchétchènes ont depuis été expulsés par centaines - aucunes statistiques officielles ne sont disponibles, ce dont s'insurgent régulièrement des organisations internationales.
Dans un rapport de 2017, le Conseil de l'Europe avait dénoncé "le détournement abusif du système" d'Interpol par certains États pour "persécuter des opposants politiques à l'étranger". La notion de prévention des risques s'est installée en Occident. Selon la communauté tchétchène, les pays de l'UE ont durci leur politique par crainte des attentats.
"Il y a très clairement une alerte qui est donnée au niveau des services" pour essayer d'empêcher de futurs passages à l'acte, estime Anne le Huérou, spécialiste des conflits post-soviétiques à l'université Paris-Ouest Nanterre.
Après l'assassinat en France de l'enseignant Samuel Paty en octobre 2020 par un réfugié tchétchène, l'Autriche a ainsi créé une force d'intervention pour lutter contre "les tendances extrémistes" et les "sociétés parallèles" au sein de cette communauté.
Frappé pour la première fois sur son sol un mois plus tard lors d'un attentat à Vienne et accusé de négligence dans la surveillance de la nébuleuse radicale, le pays alpin redouble depuis de prudence. En décembre 2021, il a organisé un vol charter pour dix personnes, vantant une "coopération efficace en matière de rapatriement" avec la Russie.
Interrogé par l'AFP, le gouvernement affirme que "quatre ressortissants russes sont actuellement en détention en vue d'une expulsion". Malgré l'arrêt des liaisons commerciales avec la Russie en raison des sanctions liées à la guerre en Ukraine, les expulsions sont toujours d'actualité selon le ministère autrichien de l'Intérieur.
"Plutôt que d'y retourner, je préfère me tuer ici", lâche épouvanté Zorbek Nazouïev, handicapé, dit-il, après avoir été torturé à l'électricité pendant la répression en Tchétchénie. S'il est reconnu coupable, il risque un retrait de son statut de réfugié et une extradition.
Aux autorités européennes, aux exilés tchétchènes renvoyés en Russie, Moscou promet systématiquement un bon traitement. Pourtant, plusieurs d'entre eux ont disparu, ont été torturés ou condamnés sur des charges que des ONG considèrent comme "fabriquées" ou bien ont été tués.
Le 4 avril dernier, l'organisation russe Memorial a épinglé la France pour être restée sourde aux suppliques d'un jeune homme. Daoud Mouradov, né en 2002, a été expulsé en décembre 2020 sur fond d'inquiétudes pour la sûreté de l'Etat. Fin 2021, il a été transporté vers une prison de Grozny où il a été torturé, selon l'emblématique ONG récemment dissoute par Moscou.
Ses proches ont été informés de sa mort en février. Ils n'ont pas obtenu les conclusions de l'examen médico-légal et n'ont pas pu récupérer son corps, a détaillé la même source.
Quand ils ne risquent pas l'extradition, les Tchétchènes craignent les commandos envoyés par Kadyrov, accusé de faire liquider ses adversaires là où ils se cachent.
Le rôle du dirigeant tchétchène, au pouvoir dans le territoire caucasien depuis 2007, a été spécifiquement pointé par la justice autrichienne dans l'assassinat par balles à Vienne en janvier 2009 de l'un de ses opposants qui avait témoigné publiquement de ses atteintes aux droits de l'Homme.
Ce dossier "empêche encore de dormir" son avocate, a-t-elle confié à l'AFP. Me Nadia Lorenz estime que "la correspondance entre les tribunaux autrichiens et le tribunal de Grozny a permis de localiser la résidence" de son client.
Quelques jours avant d'être abattu, Oumar Israïlov, jeune père de quatre enfants, avait demandé en vain une protection policière, remarquant qu'on le suivait dans la rue. Le jugement a mis en lumière le mode opératoire de la Russie. Pour le parquet, Ramzan Kadyrov était le donneur d'ordres.
Selon la veuve de la victime, le dirigeant tchétchène avait appelé deux fois son mari avant le meurtre, pour exiger qu'il rentre immédiatement. Kadyrov n'a jamais été inquiété: les demandes de coopération judiciaire adressées à Moscou sont restées lettres mortes.
L'activiste quadragénaire tchétchène Rosa Dounaïeva affirme que d'autres meurtres mis sur le compte des "Kadyrovtsy" ont eu lieu: à Istanbul en septembre 2011, à Lille (France) en janvier 2020, à Vienne encore en juillet 2020.
"On nous associe dans les médias seulement à la criminalité et à l'extrémisme religieux alors que la majorité des Tchétchènes, qui vivent dans l'angoisse, rasent les murs et ne font plus de politique", assure en marge de l'une des manifestations régulières qu'elle organise pour dénoncer les expulsions Mme Dounaïeva, vendeuse à mi-temps.
Il y a de multiples exemples d'intégration réussie en Autriche, comme le judoka Chamil Borchachvili, 26 ans, revenu des JO de Tokyo en 2020 avec une médaille olympique gratifiante pour le pays.
Ou comme Zelimkhan Kazan, 19 ans. Le jeune homme, cheveux noirs et veste à motifs camouflage, est né en Autriche. Il n'a jamais connu la Tchétchénie. Il poursuit ses études d'informatique, a déjà monté deux projets de start-up et paie des impôts. "Je travaille et j'ai tout ce qu'il me faut mais je ne me sens pas à 100% en sécurité", regrette cet adepte des arts martiaux mixtes (MMA) en pleine séance de musculation près du canal du Danube.
"Pas question de faire des conneries qu'on passerait à un ado autrichien: pour moi, c'est l'arrêt de mort." Zelimkhan Kazan, qui n'a pas de papiers officiels russes - juste un laisser-passer autrichien - ne peut pas se faire naturaliser dans ce pays où prévaut le strict droit du sang.
Compliqué, alors qu'à Vienne des policiers en civil le contrôlent "trois ou quatre fois par mois", poursuit le jeune homme qui préfère aussi rester anonyme. "Certains me traitent de tafiole, espérant une réaction violente."
Tous les réfugiés tchétchènes rencontrés par l'AFP disent être ciblés par les forces de l'ordre, le moindre geste envers un fonctionnaire pouvant mener à une condamnation puis à l'expulsion. En juillet 2021, des policiers ont été condamnés après la révélation d'images de vidéosurveillance les montrant en train de tabasser un Tchétchène en se croyant à l'abri des regards.
Zelimkhan Kazan doit aussi se méfier des "Kadyrovtsy" qu'il reconnaît à leurs grosses voitures et à leur assurance. Quand il les croise, il ajuste sa capuche pour que l'on ne lui pose pas de questions.
Rosa Dounaïeva s'inquiète de l'emprise grandissante de Ramzan Kadyrov sur les jeunes nés dans l'UE. "Quand il ne les tue pas, il leur lave le cerveau, les dresse contre nous ou contre l'Occident".
Les Tchétchènes parlent des "deals" de cocaïne qui détruisent la vie de nombre d'entre eux, privés d'avenir et pris dans un système de clans mafieux. Des filles se plaignent, elles, d'être entravées dans leur liberté par des "grands frères".
Désabusés par les discriminations, certains tombent dans le piège de Ramzan Kadyrov, qui arrive à les séduire via les réseaux sociaux où il compte des millions d'adeptes et sème la division dans les familles.
"Le régime met en valeur les possibilités de carrière pour ceux qui, formés en Europe, regagneraient la Tchétchénie", explique la chercheuse Anne Le Huérou. "La propagande homophobe et la mise en valeur de la masculinité peuvent aussi faire recette".
Depuis le début de l'offensive de Moscou en Ukraine, un "millier" de volontaires envoyés par Ramzan Kadyrov se battent aux côtés des Russes. En face, certains sont partis prêter main forte aux Ukrainiens, selon plusieurs sources interrogées par l'AFP.
Parmi les millions de réfugiés qui ont fui les bombardements, une jeune Tchétchène, venue avec son fils, a été arrêtée en Roumanie, selon la justice, qui a prononcé son extradition. Accusée de "participation à un groupe armé à des fins contraires à la Fédération russe", son appel a été rejeté mercredi 4 mai.
Avec AFP
(AFP)
Leur capitale Grozny a subi le même sort que Marioupol, écrasée sous les bombes russes. Plus de deux décennies après, les Tchétchènes réfugiés en Europe vivent toujours dans la peur de Moscou.
Ils sont des dizaines de milliers à avoir fui la petite république russe à majorité musulmane ravagée par deux guerres meurtrières. La dernière, déclenchée en 1999 par Vladimir Poutine, a abouti à la mise en place à sa tête du redoutable Ramzan Kadyrov, fidèle du Kremlin accusé de réprimer impitoyablement ses détracteurs.
L'Autriche, pays de 9 millions d'habitants, en accueille quelque 35.000, la plus grande communauté en diaspora par habitant, sur 250.000 en Europe. A Vienne, ils vivent dans un quartier populaire du nord-est de la ville aux bâtisses d'après-guerre sans cachet et aux barres d'immeubles où les hommes sont souvent employés comme agents de sécurité pendant que les femmes élèvent les enfants.
Mais, sous ces apparences de tranquillité dans les rues aux pizzerias modestes, boutiques de robes de mariée typiques de là-bas ou commerces d'alimentation, des dizaines de réfugiés ont raconté à l'AFP être pris en tenailles.
Les uns craignent d'être renvoyés du jour au lendemain en Russie, au risque d'être torturés ou tués selon des organisations des droits de l'Homme, alors que les extraditions se sont accélérées au motif de la lutte antiterroriste depuis des attentats commis par des islamistes tchétchènes dans l'Union européenne (UE).
Les autres vivent dans l'angoisse d'être la cible des commandos de "Kadyrovtsy", ces hommes de main de Ramzan Kadyrov accusés par des ONG de traquer ses opposants sans relâche, y compris à l'étranger.
Jusqu'en février dernier, Zorbek Nazouïev, grand-père trapu à la longue barbe grise exilé en Autriche depuis 18 ans, n'avait plus entendu parler de la Russie. Après avoir rejoint pendant la première guerre (1994-1996) les "boïeviki", ces combattants tchétchènes qui ont affronté les troupes fédérales russes, il avait suite au deuxième conflit pris la fuite par crainte de représailles et reconstruit sa vie en Autriche avec ses nombreux enfants.
Et puis cette lettre du parquet autrichien est arrivée, l'informant de son inculpation pour meurtre et acte de terrorisme. Selon le document consulté par l'AFP, il est accusé d'avoir participé à des massacres de civils russes en 1995. Lui nie avoir "tué des innocents" et rappelle qu'il "se défendait alors contre l'envahisseur" russe. "On réécrit l'histoire", s'emporte le quinquagénaire qui s'exprime sous un nom d'emprunt.
L'homme se demande si cette volonté de le juger n'est pas plutôt liée à la présence dans sa famille d'un jihadiste parti combattre en Syrie dans les rangs de l'Etat islamique.
En dépit des nombreuses requêtes de l'AFP, les autorités autrichiennes en charge de ce dossier ont refusé de s'exprimer. Il n'a pas été possible non plus de parler à des sources judiciaires et policières, silencieuses sur ce sujet sensible.
En 2006, l'UE a conclu un accord de réadmission avec le gouvernement russe facilitant le retour des personnes condamnées en justice ou faisant l'objet d'une notice rouge d'Interpol émise par Moscou. Des Tchétchènes ont depuis été expulsés par centaines - aucunes statistiques officielles ne sont disponibles, ce dont s'insurgent régulièrement des organisations internationales.
Dans un rapport de 2017, le Conseil de l'Europe avait dénoncé "le détournement abusif du système" d'Interpol par certains États pour "persécuter des opposants politiques à l'étranger". La notion de prévention des risques s'est installée en Occident. Selon la communauté tchétchène, les pays de l'UE ont durci leur politique par crainte des attentats.
"Il y a très clairement une alerte qui est donnée au niveau des services" pour essayer d'empêcher de futurs passages à l'acte, estime Anne le Huérou, spécialiste des conflits post-soviétiques à l'université Paris-Ouest Nanterre.
Après l'assassinat en France de l'enseignant Samuel Paty en octobre 2020 par un réfugié tchétchène, l'Autriche a ainsi créé une force d'intervention pour lutter contre "les tendances extrémistes" et les "sociétés parallèles" au sein de cette communauté.
Frappé pour la première fois sur son sol un mois plus tard lors d'un attentat à Vienne et accusé de négligence dans la surveillance de la nébuleuse radicale, le pays alpin redouble depuis de prudence. En décembre 2021, il a organisé un vol charter pour dix personnes, vantant une "coopération efficace en matière de rapatriement" avec la Russie.
Interrogé par l'AFP, le gouvernement affirme que "quatre ressortissants russes sont actuellement en détention en vue d'une expulsion". Malgré l'arrêt des liaisons commerciales avec la Russie en raison des sanctions liées à la guerre en Ukraine, les expulsions sont toujours d'actualité selon le ministère autrichien de l'Intérieur.
"Plutôt que d'y retourner, je préfère me tuer ici", lâche épouvanté Zorbek Nazouïev, handicapé, dit-il, après avoir été torturé à l'électricité pendant la répression en Tchétchénie. S'il est reconnu coupable, il risque un retrait de son statut de réfugié et une extradition.
Aux autorités européennes, aux exilés tchétchènes renvoyés en Russie, Moscou promet systématiquement un bon traitement. Pourtant, plusieurs d'entre eux ont disparu, ont été torturés ou condamnés sur des charges que des ONG considèrent comme "fabriquées" ou bien ont été tués.
Le 4 avril dernier, l'organisation russe Memorial a épinglé la France pour être restée sourde aux suppliques d'un jeune homme. Daoud Mouradov, né en 2002, a été expulsé en décembre 2020 sur fond d'inquiétudes pour la sûreté de l'Etat. Fin 2021, il a été transporté vers une prison de Grozny où il a été torturé, selon l'emblématique ONG récemment dissoute par Moscou.
Ses proches ont été informés de sa mort en février. Ils n'ont pas obtenu les conclusions de l'examen médico-légal et n'ont pas pu récupérer son corps, a détaillé la même source.
Quand ils ne risquent pas l'extradition, les Tchétchènes craignent les commandos envoyés par Kadyrov, accusé de faire liquider ses adversaires là où ils se cachent.
Le rôle du dirigeant tchétchène, au pouvoir dans le territoire caucasien depuis 2007, a été spécifiquement pointé par la justice autrichienne dans l'assassinat par balles à Vienne en janvier 2009 de l'un de ses opposants qui avait témoigné publiquement de ses atteintes aux droits de l'Homme.
Ce dossier "empêche encore de dormir" son avocate, a-t-elle confié à l'AFP. Me Nadia Lorenz estime que "la correspondance entre les tribunaux autrichiens et le tribunal de Grozny a permis de localiser la résidence" de son client.
Quelques jours avant d'être abattu, Oumar Israïlov, jeune père de quatre enfants, avait demandé en vain une protection policière, remarquant qu'on le suivait dans la rue. Le jugement a mis en lumière le mode opératoire de la Russie. Pour le parquet, Ramzan Kadyrov était le donneur d'ordres.
Selon la veuve de la victime, le dirigeant tchétchène avait appelé deux fois son mari avant le meurtre, pour exiger qu'il rentre immédiatement. Kadyrov n'a jamais été inquiété: les demandes de coopération judiciaire adressées à Moscou sont restées lettres mortes.
L'activiste quadragénaire tchétchène Rosa Dounaïeva affirme que d'autres meurtres mis sur le compte des "Kadyrovtsy" ont eu lieu: à Istanbul en septembre 2011, à Lille (France) en janvier 2020, à Vienne encore en juillet 2020.
"On nous associe dans les médias seulement à la criminalité et à l'extrémisme religieux alors que la majorité des Tchétchènes, qui vivent dans l'angoisse, rasent les murs et ne font plus de politique", assure en marge de l'une des manifestations régulières qu'elle organise pour dénoncer les expulsions Mme Dounaïeva, vendeuse à mi-temps.
Il y a de multiples exemples d'intégration réussie en Autriche, comme le judoka Chamil Borchachvili, 26 ans, revenu des JO de Tokyo en 2020 avec une médaille olympique gratifiante pour le pays.
Ou comme Zelimkhan Kazan, 19 ans. Le jeune homme, cheveux noirs et veste à motifs camouflage, est né en Autriche. Il n'a jamais connu la Tchétchénie. Il poursuit ses études d'informatique, a déjà monté deux projets de start-up et paie des impôts. "Je travaille et j'ai tout ce qu'il me faut mais je ne me sens pas à 100% en sécurité", regrette cet adepte des arts martiaux mixtes (MMA) en pleine séance de musculation près du canal du Danube.
"Pas question de faire des conneries qu'on passerait à un ado autrichien: pour moi, c'est l'arrêt de mort." Zelimkhan Kazan, qui n'a pas de papiers officiels russes - juste un laisser-passer autrichien - ne peut pas se faire naturaliser dans ce pays où prévaut le strict droit du sang.
Compliqué, alors qu'à Vienne des policiers en civil le contrôlent "trois ou quatre fois par mois", poursuit le jeune homme qui préfère aussi rester anonyme. "Certains me traitent de tafiole, espérant une réaction violente."
Tous les réfugiés tchétchènes rencontrés par l'AFP disent être ciblés par les forces de l'ordre, le moindre geste envers un fonctionnaire pouvant mener à une condamnation puis à l'expulsion. En juillet 2021, des policiers ont été condamnés après la révélation d'images de vidéosurveillance les montrant en train de tabasser un Tchétchène en se croyant à l'abri des regards.
Zelimkhan Kazan doit aussi se méfier des "Kadyrovtsy" qu'il reconnaît à leurs grosses voitures et à leur assurance. Quand il les croise, il ajuste sa capuche pour que l'on ne lui pose pas de questions.
Rosa Dounaïeva s'inquiète de l'emprise grandissante de Ramzan Kadyrov sur les jeunes nés dans l'UE. "Quand il ne les tue pas, il leur lave le cerveau, les dresse contre nous ou contre l'Occident".
Les Tchétchènes parlent des "deals" de cocaïne qui détruisent la vie de nombre d'entre eux, privés d'avenir et pris dans un système de clans mafieux. Des filles se plaignent, elles, d'être entravées dans leur liberté par des "grands frères".
Désabusés par les discriminations, certains tombent dans le piège de Ramzan Kadyrov, qui arrive à les séduire via les réseaux sociaux où il compte des millions d'adeptes et sème la division dans les familles.
"Le régime met en valeur les possibilités de carrière pour ceux qui, formés en Europe, regagneraient la Tchétchénie", explique la chercheuse Anne Le Huérou. "La propagande homophobe et la mise en valeur de la masculinité peuvent aussi faire recette".
Depuis le début de l'offensive de Moscou en Ukraine, un "millier" de volontaires envoyés par Ramzan Kadyrov se battent aux côtés des Russes. En face, certains sont partis prêter main forte aux Ukrainiens, selon plusieurs sources interrogées par l'AFP.
Parmi les millions de réfugiés qui ont fui les bombardements, une jeune Tchétchène, venue avec son fils, a été arrêtée en Roumanie, selon la justice, qui a prononcé son extradition. Accusée de "participation à un groupe armé à des fins contraires à la Fédération russe", son appel a été rejeté mercredi 4 mai.
Avec AFP
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