Des contrats de gré à gré pour l’énergie solaire
Que le Liban veuille se tourner vers l’énergie renouvelable, notamment solaire, pour régler sa crise de l’électricité est une bonne chose, mais qu’il se lance dans cette entreprise suivant un processus qui manque de transparence, à travers des contrats de gré à gré, l’est beaucoup moins.

Le gouvernement a validé au cours de sa réunion jeudi, une proposition du ministre de l’Énergie Walid Fayad d’accorder des licences d’exploitation de champs d’énergie renouvelable à 11 compagnies, non pas suivant un appel d’offres dans les règles, mais sur base de contrats de gré à gré étalés sur 25 ans. L’explication du ministre est la suivante: un appel d’offres avait été lancé en 2017 (sous le mandat du ministre César Abi Khalil) et ce sont les compagnies qui avaient proposé les prix les plus bas qui doivent signer aujourd’hui le contrat de gré à gré avec l’État libanais. Il n'a pas cependant précisé les raisons pour lesquelles les projets n'avaient pas été adjugés. Quoi qu'il en soit, ces sociétés disposeront d'un an pour trouver les fonds nécessaires pour la construction de stations de production d’énergie solaire (soit 11 au total), d’une capacité de 15 mégawatts chacune, une fois remplies les conditions posées par le ministère pour la signature finale du volet financier des accords.

L’annonce des contrats de gré à gré pour la construction de parcs de panneaux solaires sur l’ensemble du territoire libanais, à quelques jours des élections parlementaires et alors que le gouvernement est sur le point d’être chargé d’expédier les affaires courantes suscite des interrogations. Qu’est-ce qui justifie des contrats de gré à gré? Pourquoi la construction de parcs pour la production d’énergie solaire n’a-t-elle pas été envisagée au début de la crise lorsque le Liban a sombré dans l’obscurité? Qui sont ces compagnies et, surtout, de qui relèvent-t-elles? Dans un pays où le clientélisme et l’opportunisme sont les deux principaux critères pour la gestion des affaires publiques et alors que la communauté internationale attend toujours que les réformes promises soient réalisées, ces questions sont tout à fait légitimes. «Parce qu’il n’y a pas eu d’appel d’offres récent, le processus est faussé», relève à Ici Beyrouth Laury Haytayan, experte en hydrocarbures et directrice de l'Institute for natural resource governance (NRGI) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, en s’interrogeant sur le point de savoir qui «va financer ces compagnies dans un pays qui ne procède pas à des réformes et qui est épinglé à cause de la corruption qui marque notamment la gestion de son secteur de l’énergie».

Pour Mme Haytayan, l’empressement du ministère de l’Énergie à signer ces contrats sans passer par les procédures réglementaires, en se basant sur un feu vert du Conseil des ministres, « révèle surtout une volonté de ce département d’ajouter ce dossier à son bilan, alors que ses compétences sont sur le point d’expirer. Cela lui permettrait de dire plus tard: voilà, j’ai lancé le processus». Le Courant patriotique libre (CPL) dont Walid Fayad est proche et qui est depuis 2010 à la tête d’un ministère qui n’a pas été capable de lancer des réformes, laissant le déficit d’EDL atteindre des plafonds vertigineux (une dette de plus de 40 milliards de dollars) est en mal de réalisations. Alors que la réforme du secteur de l’énergie était censée débuter depuis des années par la mise en place d’un comité de régulation autonome – une réforme que Gebran Bassil conteste parce qu’elle rogne les prérogatives du ministre au profit du comité – le ministère lui préfère les contrats de gré à gré, plus rapides et surtout non soumis aux règles officielles de contrôle. Selon Mme Haytayan, il n’est pas possible de justifier le recours à ce procédé par des appels d’offres qui remontent à 2017, ce qui entraîne une autre question: qu’est-ce qui a empêché l’État de lancer ce projet en 2017 puisque les enveloppes des compagnies ayant participé à l’appel d’offres avaient été décachetées?

Les onze compagnies sont: Ecosys-Kaco, Dawtec-Looop-Staunch et Labwe solar farm (Hermel) Joun PV, Sibline solar farm et E/One (Mont-Liban), South water, Rimat 15 et GDS-ET-Nabatiyeh (Liban-Sud et Nabatiyé), Kfifane-Phoenix power plant et Elect-Stc-Solistis (Liban-nord et Akkar).


Selon le document soumis par Walid Fayad au gouvernement, les trois premières compagnies ont accepté de se conformer au prix minimum proposé lors de l’appel d’offres de 2017, soit 5,7 cent américain le kilowatt/heure ce qui les a rendues éligibles aux licences d’exploitation.

Les huit autres, précise le texte, avaient été sélectionnées parmi 14 qui avaient participé à l’appel d’offres de 2017, parce qu’elles ont également accepté de se conformer au prix de 6,27 cent américain le kilowatt/heure, «selon le rapport du consultant international».

Dans ce même document, le ministre souligne que «le Liban a un besoin urgent de produire de l’électricité à partir d'une énergie renouvelable, notamment solaire», et insiste sur l’économie réalisée de ce fait, d’abord «par la réduction de la facture d’achat du carburant, ensuite parce que le coût du kilowatt/heure assumé par EDL est en moyenne de 23 cent américain».

Les licences octroyées aux onze compagnies sont «exclusives» sur une période de 25 ans, et prévoient une interconnexion avec le réseau d’EDL moyennant les tarifs cités plus haut, sachant que 30% de la somme sera payée en livres mais sur base du taux du dollar de la plateforme Sayrafa, et 70% en devises.

Ces sociétés ont deux ans pour se conformer aux conditions posées par le ministère dans les contrats, dont celle de disposer d’un an, une fois le contrat financier final scellé, pour la mise en place des parcs et leur connexion au réseau EDL. Le tout devrait prendre trois ans.
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