Ici Beyrouth revient sur certains éléments clés de l’enquête menée par le juge d’instruction, Tarek Bitar, sur l’explosion du 4 août 2020, au port de Beyrouth :
à l’exception des images satellites russes, remises lundi seulement aux autorités compétentes, le Liban n’a pas réussi depuis plus d’un an, à obtenir des images satellites d’autres puissances, sous prétexte (d’après le gouvernement français) que « l’engin en question n’était pas tourné vers cette région ». « Comment cela est-il possible lorsque tous les yeux sont rivés sur un Moyen-Orient en pleine ébullition ? » s’étonne Chucri Sader, ancien président du Conseil d’Etat.
Les rapports des experts internationaux auraient été sans grande importance pour l’avancement de l’enquête. Certes, ces derniers se sont mobilisés au lendemain de l’explosion. Toutefois, ni le rapport du FBI, ni les prélèvements effectués par les sous-marins français (pour ne citer que quelques travaux d’expertise) ne semblent avoir apporté des éléments concrets sur ce qui s’est réellement passé.
Dix-huit demandes d’information ont été adressées par le juge d’instruction, Tarek Bitar, aux multiples pays, dont le Mozambique et la Géorgie, au sujet du bateau, le Rhosus, qui a déchargé le nitrate d’ammonium au port de Beyrouth en 2014. Apparemment, celles-ci n’ont pas abouti. Toute collaboration semble suspendue « ce qui donne un avant-goût de ce à quoi aurait mené une enquête internationale », avance Chucri Sader.
Ne pouvant donc pas, pour le moment, compter sur un soutien technique internationale efficace, le magistrat tente, tant bien que mal, d’élucider l’affaire avec les moyens dont il dispose. Jusqu’au 4 novembre 2021, l’enquête était menée à trois niveaux :
Volet 1- Comprendre pour quelles raisons le bateau a accosté au port de Beyrouth
Celles-ci ne semblent toujours pas claires. Les versions « justifiant » l’arrivée du navire à Beyrouth ne sont pas uniformes :
-Certains affirment qu’il s’agissait d’un vieux cargo, le MV Rhosus, appartenant à un homme d’affaires russe basé à Chypre, Igor Grechushkin. Le navire aurait fait escale à Beyrouth du fait de problèmes techniques et y est resté jusqu’à ce qu’il coule au port, en 2018, à cause d’une ouverture dans la coque. Or si l’on suit la trajectoire du Rhosus qui était chargé de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium destinées à une usine d’explosifs au Mozambique et qui avait quitté, en septembre 2013, un port de Géorgie, on constate que le cargo n’était pas censé passer par le port de Beyrouth. « Tout se passe comme s’il y était venu exprès pour vider sa marchandise », analyse Chucri Sader.
-D’autres estiment qu’il a été demandé au bateau, qui devait donc aller de la Géorgie au Mozambique, de faire un détour par le Liban pour prendre du port de Beyrouth des équipements de prospection pétrolière maritime pour le compte du ministère libanais de l’Energie, à destination de Akaba, en Jordanie. La raison pour laquelle le propriétaire du bateau aurait accepté une telle mission serait la suivante : en faisant escale en Grèce, pour faire le plein de carburant, des problèmes financiers surgissent. L’armateur, n’ayant plus les moyens de payer ses fournisseurs qui le bloquent au Pirée, ni de payer le passage du canal de Suez, se retrouve dans l’obligation de renflouer ses caisses. Il a donc accepté de transporter les équipements de prospection pétrolière à Akaba.
Supprimer les preuves
D’après le professeur Nasri Diab, avocat à la Cour et membre du Bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth, « les équipements qui valent plusieurs dizaines de millions de dollars devaient être transportés sur un bateau spécialement équipé, ce qui n’était pas le cas du Rhosus, un vieux navire qui ne pouvait transporter le matériel en question que sur le pont, donc à l’extérieur, en plein mois de novembre. D’ailleurs, dès que les premiers équipements ont été chargés sur le bateau, celui-ci a subi des avaries qui ont fait que la marchandise n’a pas pu être transportée ».
-Plus encore, toute trace du navire a été noyée au plus profond de la mer. Le bateau, auquel il a été interdit de reprendre la mer par les autorités du port de Beyrouth, a coulé en 2018, à cause dit-on, d’un trou dans la coque. « Aucun bateau arrimé au brise-lames du port de Beyrouth n’avait jamais coulé auparavant, sans sa marchandise, dans cet endroit spécifique. Il s’agit probablement d’un moyen de supprimer toute preuve pouvant conduire à la vérité », indique Me. Diab.
Volet 2 - Comprendre comment le nitrate d’ammonium, transporté par le navire, a pu entrer au Liban
Le bateau MV Rhosus transportait du nitrate d’ammonium qui fait partie, conformément à l’article 17 de la loi libanaise sur les armes et munitions, des matières considérées dangereuses : « Sont considérés comme explosifs [entre autres] le nitrate d’ammonium à plus de 33.5% de teneur en azote ». Son entrée en territoire libanais nécessitait donc « une autorisation préalable du ministère de l’Economie, après approbation du ministère de la Défense nationale (le commandement de l’armée) et du Conseil des ministres ».
Volet 3 – Comprendre comment l’explosion a eu lieu
D’un point de vue purement technique, on sait déjà que le nitrate d’ammonium ne peut exploser que dans deux cas : s’il est placé dans un endroit où les températures dépassent les 200 degrés ou s’il est amorcé par un détonateur.
« Les photos des pompiers tenant avec la main la poignée de la porte de l’entrepôt numéro 12 dans lequel était conservé le nitrate d’ammonium, prouvent que la température à l’intérieur du hangar n’était pas supérieure à 200 degrés. La première hypothèse est donc éliminée. S’agit-il d’un acte terroriste, d’une bombe ou d’un missile, surtout lorsque l’on sait que, dans les heures qui ont suivi la déflagration, l’ancien président américain, Donald Trump, avait annoncé que l’explosion n’était autre que le résultat d’une attaque (israélienne) ? Nous ne le savons pas, mais ce qui est certain, c’est que l’imagerie satellite est cruciale pour répondre à de telles interrogations », insiste Me Ramzi Haykal, avocat à la Cour et membre du bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth, chargé de représenter en justice 1200 à 1400 victimes.
L’enquête du juge d’instruction, Tarek Bitar, s’articule autour de ces trois volets. Les familles des victimes, qui espèrent toujours pouvoir obtenir des réponses claires sur toute l’affaire, continuent de faire bloc autour du magistrat, « jusqu’à ce que toute la vérité, et rien que la vérité, soit connue ».
à l’exception des images satellites russes, remises lundi seulement aux autorités compétentes, le Liban n’a pas réussi depuis plus d’un an, à obtenir des images satellites d’autres puissances, sous prétexte (d’après le gouvernement français) que « l’engin en question n’était pas tourné vers cette région ». « Comment cela est-il possible lorsque tous les yeux sont rivés sur un Moyen-Orient en pleine ébullition ? » s’étonne Chucri Sader, ancien président du Conseil d’Etat.
Les rapports des experts internationaux auraient été sans grande importance pour l’avancement de l’enquête. Certes, ces derniers se sont mobilisés au lendemain de l’explosion. Toutefois, ni le rapport du FBI, ni les prélèvements effectués par les sous-marins français (pour ne citer que quelques travaux d’expertise) ne semblent avoir apporté des éléments concrets sur ce qui s’est réellement passé.
Dix-huit demandes d’information ont été adressées par le juge d’instruction, Tarek Bitar, aux multiples pays, dont le Mozambique et la Géorgie, au sujet du bateau, le Rhosus, qui a déchargé le nitrate d’ammonium au port de Beyrouth en 2014. Apparemment, celles-ci n’ont pas abouti. Toute collaboration semble suspendue « ce qui donne un avant-goût de ce à quoi aurait mené une enquête internationale », avance Chucri Sader.
Ne pouvant donc pas, pour le moment, compter sur un soutien technique internationale efficace, le magistrat tente, tant bien que mal, d’élucider l’affaire avec les moyens dont il dispose. Jusqu’au 4 novembre 2021, l’enquête était menée à trois niveaux :
Volet 1- Comprendre pour quelles raisons le bateau a accosté au port de Beyrouth
Celles-ci ne semblent toujours pas claires. Les versions « justifiant » l’arrivée du navire à Beyrouth ne sont pas uniformes :
-Certains affirment qu’il s’agissait d’un vieux cargo, le MV Rhosus, appartenant à un homme d’affaires russe basé à Chypre, Igor Grechushkin. Le navire aurait fait escale à Beyrouth du fait de problèmes techniques et y est resté jusqu’à ce qu’il coule au port, en 2018, à cause d’une ouverture dans la coque. Or si l’on suit la trajectoire du Rhosus qui était chargé de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium destinées à une usine d’explosifs au Mozambique et qui avait quitté, en septembre 2013, un port de Géorgie, on constate que le cargo n’était pas censé passer par le port de Beyrouth. « Tout se passe comme s’il y était venu exprès pour vider sa marchandise », analyse Chucri Sader.
-D’autres estiment qu’il a été demandé au bateau, qui devait donc aller de la Géorgie au Mozambique, de faire un détour par le Liban pour prendre du port de Beyrouth des équipements de prospection pétrolière maritime pour le compte du ministère libanais de l’Energie, à destination de Akaba, en Jordanie. La raison pour laquelle le propriétaire du bateau aurait accepté une telle mission serait la suivante : en faisant escale en Grèce, pour faire le plein de carburant, des problèmes financiers surgissent. L’armateur, n’ayant plus les moyens de payer ses fournisseurs qui le bloquent au Pirée, ni de payer le passage du canal de Suez, se retrouve dans l’obligation de renflouer ses caisses. Il a donc accepté de transporter les équipements de prospection pétrolière à Akaba.
Supprimer les preuves
D’après le professeur Nasri Diab, avocat à la Cour et membre du Bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth, « les équipements qui valent plusieurs dizaines de millions de dollars devaient être transportés sur un bateau spécialement équipé, ce qui n’était pas le cas du Rhosus, un vieux navire qui ne pouvait transporter le matériel en question que sur le pont, donc à l’extérieur, en plein mois de novembre. D’ailleurs, dès que les premiers équipements ont été chargés sur le bateau, celui-ci a subi des avaries qui ont fait que la marchandise n’a pas pu être transportée ».
-Plus encore, toute trace du navire a été noyée au plus profond de la mer. Le bateau, auquel il a été interdit de reprendre la mer par les autorités du port de Beyrouth, a coulé en 2018, à cause dit-on, d’un trou dans la coque. « Aucun bateau arrimé au brise-lames du port de Beyrouth n’avait jamais coulé auparavant, sans sa marchandise, dans cet endroit spécifique. Il s’agit probablement d’un moyen de supprimer toute preuve pouvant conduire à la vérité », indique Me. Diab.
Volet 2 - Comprendre comment le nitrate d’ammonium, transporté par le navire, a pu entrer au Liban
Le bateau MV Rhosus transportait du nitrate d’ammonium qui fait partie, conformément à l’article 17 de la loi libanaise sur les armes et munitions, des matières considérées dangereuses : « Sont considérés comme explosifs [entre autres] le nitrate d’ammonium à plus de 33.5% de teneur en azote ». Son entrée en territoire libanais nécessitait donc « une autorisation préalable du ministère de l’Economie, après approbation du ministère de la Défense nationale (le commandement de l’armée) et du Conseil des ministres ».
Volet 3 – Comprendre comment l’explosion a eu lieu
D’un point de vue purement technique, on sait déjà que le nitrate d’ammonium ne peut exploser que dans deux cas : s’il est placé dans un endroit où les températures dépassent les 200 degrés ou s’il est amorcé par un détonateur.
« Les photos des pompiers tenant avec la main la poignée de la porte de l’entrepôt numéro 12 dans lequel était conservé le nitrate d’ammonium, prouvent que la température à l’intérieur du hangar n’était pas supérieure à 200 degrés. La première hypothèse est donc éliminée. S’agit-il d’un acte terroriste, d’une bombe ou d’un missile, surtout lorsque l’on sait que, dans les heures qui ont suivi la déflagration, l’ancien président américain, Donald Trump, avait annoncé que l’explosion n’était autre que le résultat d’une attaque (israélienne) ? Nous ne le savons pas, mais ce qui est certain, c’est que l’imagerie satellite est cruciale pour répondre à de telles interrogations », insiste Me Ramzi Haykal, avocat à la Cour et membre du bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth, chargé de représenter en justice 1200 à 1400 victimes.
L’enquête du juge d’instruction, Tarek Bitar, s’articule autour de ces trois volets. Les familles des victimes, qui espèrent toujours pouvoir obtenir des réponses claires sur toute l’affaire, continuent de faire bloc autour du magistrat, « jusqu’à ce que toute la vérité, et rien que la vérité, soit connue ».
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