Le juge d’instruction, Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, devrait pouvoir reprendre ses investigations, régulièrement bloquées par une cascade de recours contre lui. La Cour de cassation de Beyrouth a rejeté jeudi dans la journée deux recours engageant la responsabilité de l’Etat du fait de fautes présumées de Tarek Bitar. Le premier recours avait été présenté par l’ancien Premier ministre, Hassane Diab, et le second par l’ancien ministre Nohad Machnouk, tous deux poursuivis, en même temps que d’autres officiels, pour « négligence et manquements graves aux devoirs de la fonction, ayant causé des décès ». La cour que préside le juge Souheil Abboud, président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a également rejeté deux autres recours en dessaisissement du dossier, présentés par les anciens ministres et députés actuels, Ghazi Zeayter et Ali Hassan Khalil, poursuivis pour les mêmes motifs.
Mardi, le juge Habib Mezher, président p. i. d’une chambre civile de la cour d’appel de Beyrouth, qui avait ordonné une suspension de l’enquête sur base d’un énième recours en dessaisissement contre M. Tarek Bitar (présenté par les avocats de l’ancien ministre Youssef Fenianos, également poursuivi par le magistrat pour sa responsabilité présumée dans l’explosion de plusieurs centaines de nitrate d’ammonium mal stockées au hangar n°12 du port) a été jugé incompétent pour se prononcer sur ce recours. Le jugement avait été rendu par le premier président de la cour d’appel, Habib Rizkallah.
La magistrature gagne ainsi une nouvelle manche contre tout un bloc politique qui s’efforce à coups de recours de tous genres d’empêcher l’enquête d’avancer pour que sa responsabilité ne soit pas engagée.
Retarder le juge dans sa mission
Quinze recours : de toute l’affaire d’une enquête qui piétine, depuis son ouverture en août 2020 après la nomination du premier juge d’instruction, Fady Sawan, c’est ce chiffre qu’on retient le plus. Jamais, au Liban, un juge n’a été autant combattu pour l’exercice de sa mission et pour la détermination des responsabilités dans la pire catastrophe de l’histoire contemporaine du pays. Jamais la classe politique ne s’est autant investie pour court-circuiter une enquête et empêcher, dans ce cas précis, les Libanais de savoir pourquoi et à cause de qui une partie de leur capitale a été pulvérisée. Plus de 200 personnes avaient été tuées et plusieurs autres se sont retrouvées sans abri à la suite de cette explosion.
Les trois derniers recours avaient été présentés contre le juge Bitar entre le 27 octobre et 4 novembre 2021. « Il ne s’agit que de moyens dilatoires visant à retarder le juge dans sa mission d’investigation et d’entraver la justice », avance Me Ramzi Haykal, avocat à la Cour et membre du bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth, chargé de représenter en justice 1200 à 1400 victimes.
Trois genres de pourvois ont été présentés jusque-là contre le juge Bitar, par les personnalités politiques poursuivies dans le cadre de l’enquête :
-Des recours pour récusation : le juge est tenu de suspendre l’enquête jusqu’à ce que la décision de la Cour de cassation soit rendue à son égard.
-Des demandes de transfert du dossier pour des fautes présumées d’impartialité du juge : le magistrat notifié, poursuit toutefois son enquête jusqu’à ce que la Cour de cassation rende sa décision.
-Des recours engageant la responsabilité de l’Etat du fait de fautes présumées attribuées au magistrat, présenté notamment par l’ancien Premier ministre, Hassane Diab. Dans ce cas, on considère que le juge prend une décision entachée d’une faute lourde. La mise en cause de sa responsabilité ne peut donc résulter que d’une action récursoire de l’État. « Les deux premiers recours n’ayant pas abouti, les anciens ministres, de même que l’ancien Premier ministre Hassan Diab, qui cherchent à utiliser tous les moyens dilatoires possibles pour entraver le cours de la justice, ont présenté cet ultime recours contre le juge Bitar, pour des motifs infondés, que l’on ignore », soulignent le président Sader et Me Haykal.
L'intention probable
Il convient de rappeler que dans le cadre de l’enquête, plusieurs officiels sont poursuivis, notamment l’ancien Premier ministre, Hassane Diab, les anciens ministres et députés actuels, Ali Hassan Khalil, Ghazi Zeayter et Nohad Machnouk, l’ancien ministre Youssef Fenianos, l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwaji, et d’autres responsables militaires et administratifs. Tous sont accusés de « négligence et manquement au devoir de la fonction, ayant causé des décès, des handicaps et des destructions ». Des mandats d’arrêt ont été décernés par le juge Bitar contre MM. Diab, Zeayter et Fenianos qui refusent de comparaître devant lui.
Avec la cascade de recours en dessaisissement présentés contre lui, le juge Bitar, accusé de « politiser » l’enquête et d’« enfreindre les lois », gagnerait « à éviter de tomber dans le traquenard qu’essaient de lui tendre les responsables politiques interpellés », conseille Me Haykal qui explique : « En procédant de la sorte, les hommes politiques qu’il poursuit essaient de le piéger pour le pousser à leur infliger une amende pour abus de droit. Or s’il le fait, cela voudra dire qu’il devient en conflit avec les parties dans le dossier et que son impartialité sera hypothétique. Le magistrat risque de connaître alors le même sort que son prédécesseur, Fadi Sawan, dessaisi de l’enquête en février dernier, parce qu’il avait été considéré comme étant partial », en sa qualité de victime, vu que son appartement avait été détruit lors de la déflagration.
A la question de savoir si le juge Bitar est en droit de poursuivre les anciens ministres, (lesquels estiment qu’il appartient à la Haute cour chargée de juger les présidents, les chefs de gouvernement et les ministres de les auditionner et non pas à une juridiction ordinaire) Me Haykal, apporte une réponse qui est également partagée par le juge Chucri Sader, ancien président du Conseil d’Etat : « D’après la Constitution, les ministres sont responsables devant le Parlement dans deux cas : la haute trahison et le manquement grave aux devoirs de la charge. Cependant, il y a ce que l’on appelle l’intention probable : lorsqu’un ministre, un député ou n’importe quel responsable est informé de l’existence du nitrate d’ammonium dans le port, de son danger et que ces faits sont occultés, ces personnes sont tenues responsables pour homicide volontaire. Il ne s’agit plus d’une simple négligence mais d’un délit pénal. Le juge Bitar les poursuit donc sur la base d’un crime intentionnel, ce qui relève pleinement de ses compétences ».
Campagne politique féroce
Patiemment, Tarek Bitar attend de nouveau d’avoir les coudées franches pour poursuivre ses investigations menées toujours sous le sceau du secret, ce qui normalement, ne devrait pas tarder.
Compte-tenu cependant de la férocité de la campagne politique menée contre lui, des interférences flagrantes dans son travail et des menaces à peine voilées qu’il a reçues du Hezbollah, un de ses plus farouches détracteurs, la question de savoir si ces derniers le laisseront poursuivre ses investigations s’impose. Quoi qu’il en soit, Tarek Bitar reste plongé dans ses dossiers et déterminé à publier son acte d’accusation, sur base des données qu’il a rassemblées grâce à un dossier constitué de plusieurs milliers de pages. Personne ne pourra court-circuiter cette étape, à moins que le magistrat ne soit dessaisi du dossier.
Lire aussi: Une enquête à trois volets
Mardi, le juge Habib Mezher, président p. i. d’une chambre civile de la cour d’appel de Beyrouth, qui avait ordonné une suspension de l’enquête sur base d’un énième recours en dessaisissement contre M. Tarek Bitar (présenté par les avocats de l’ancien ministre Youssef Fenianos, également poursuivi par le magistrat pour sa responsabilité présumée dans l’explosion de plusieurs centaines de nitrate d’ammonium mal stockées au hangar n°12 du port) a été jugé incompétent pour se prononcer sur ce recours. Le jugement avait été rendu par le premier président de la cour d’appel, Habib Rizkallah.
La magistrature gagne ainsi une nouvelle manche contre tout un bloc politique qui s’efforce à coups de recours de tous genres d’empêcher l’enquête d’avancer pour que sa responsabilité ne soit pas engagée.
Retarder le juge dans sa mission
Quinze recours : de toute l’affaire d’une enquête qui piétine, depuis son ouverture en août 2020 après la nomination du premier juge d’instruction, Fady Sawan, c’est ce chiffre qu’on retient le plus. Jamais, au Liban, un juge n’a été autant combattu pour l’exercice de sa mission et pour la détermination des responsabilités dans la pire catastrophe de l’histoire contemporaine du pays. Jamais la classe politique ne s’est autant investie pour court-circuiter une enquête et empêcher, dans ce cas précis, les Libanais de savoir pourquoi et à cause de qui une partie de leur capitale a été pulvérisée. Plus de 200 personnes avaient été tuées et plusieurs autres se sont retrouvées sans abri à la suite de cette explosion.
Les trois derniers recours avaient été présentés contre le juge Bitar entre le 27 octobre et 4 novembre 2021. « Il ne s’agit que de moyens dilatoires visant à retarder le juge dans sa mission d’investigation et d’entraver la justice », avance Me Ramzi Haykal, avocat à la Cour et membre du bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth, chargé de représenter en justice 1200 à 1400 victimes.
Trois genres de pourvois ont été présentés jusque-là contre le juge Bitar, par les personnalités politiques poursuivies dans le cadre de l’enquête :
-Des recours pour récusation : le juge est tenu de suspendre l’enquête jusqu’à ce que la décision de la Cour de cassation soit rendue à son égard.
-Des demandes de transfert du dossier pour des fautes présumées d’impartialité du juge : le magistrat notifié, poursuit toutefois son enquête jusqu’à ce que la Cour de cassation rende sa décision.
-Des recours engageant la responsabilité de l’Etat du fait de fautes présumées attribuées au magistrat, présenté notamment par l’ancien Premier ministre, Hassane Diab. Dans ce cas, on considère que le juge prend une décision entachée d’une faute lourde. La mise en cause de sa responsabilité ne peut donc résulter que d’une action récursoire de l’État. « Les deux premiers recours n’ayant pas abouti, les anciens ministres, de même que l’ancien Premier ministre Hassan Diab, qui cherchent à utiliser tous les moyens dilatoires possibles pour entraver le cours de la justice, ont présenté cet ultime recours contre le juge Bitar, pour des motifs infondés, que l’on ignore », soulignent le président Sader et Me Haykal.
L'intention probable
Il convient de rappeler que dans le cadre de l’enquête, plusieurs officiels sont poursuivis, notamment l’ancien Premier ministre, Hassane Diab, les anciens ministres et députés actuels, Ali Hassan Khalil, Ghazi Zeayter et Nohad Machnouk, l’ancien ministre Youssef Fenianos, l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwaji, et d’autres responsables militaires et administratifs. Tous sont accusés de « négligence et manquement au devoir de la fonction, ayant causé des décès, des handicaps et des destructions ». Des mandats d’arrêt ont été décernés par le juge Bitar contre MM. Diab, Zeayter et Fenianos qui refusent de comparaître devant lui.
Avec la cascade de recours en dessaisissement présentés contre lui, le juge Bitar, accusé de « politiser » l’enquête et d’« enfreindre les lois », gagnerait « à éviter de tomber dans le traquenard qu’essaient de lui tendre les responsables politiques interpellés », conseille Me Haykal qui explique : « En procédant de la sorte, les hommes politiques qu’il poursuit essaient de le piéger pour le pousser à leur infliger une amende pour abus de droit. Or s’il le fait, cela voudra dire qu’il devient en conflit avec les parties dans le dossier et que son impartialité sera hypothétique. Le magistrat risque de connaître alors le même sort que son prédécesseur, Fadi Sawan, dessaisi de l’enquête en février dernier, parce qu’il avait été considéré comme étant partial », en sa qualité de victime, vu que son appartement avait été détruit lors de la déflagration.
A la question de savoir si le juge Bitar est en droit de poursuivre les anciens ministres, (lesquels estiment qu’il appartient à la Haute cour chargée de juger les présidents, les chefs de gouvernement et les ministres de les auditionner et non pas à une juridiction ordinaire) Me Haykal, apporte une réponse qui est également partagée par le juge Chucri Sader, ancien président du Conseil d’Etat : « D’après la Constitution, les ministres sont responsables devant le Parlement dans deux cas : la haute trahison et le manquement grave aux devoirs de la charge. Cependant, il y a ce que l’on appelle l’intention probable : lorsqu’un ministre, un député ou n’importe quel responsable est informé de l’existence du nitrate d’ammonium dans le port, de son danger et que ces faits sont occultés, ces personnes sont tenues responsables pour homicide volontaire. Il ne s’agit plus d’une simple négligence mais d’un délit pénal. Le juge Bitar les poursuit donc sur la base d’un crime intentionnel, ce qui relève pleinement de ses compétences ».
Campagne politique féroce
Patiemment, Tarek Bitar attend de nouveau d’avoir les coudées franches pour poursuivre ses investigations menées toujours sous le sceau du secret, ce qui normalement, ne devrait pas tarder.
Compte-tenu cependant de la férocité de la campagne politique menée contre lui, des interférences flagrantes dans son travail et des menaces à peine voilées qu’il a reçues du Hezbollah, un de ses plus farouches détracteurs, la question de savoir si ces derniers le laisseront poursuivre ses investigations s’impose. Quoi qu’il en soit, Tarek Bitar reste plongé dans ses dossiers et déterminé à publier son acte d’accusation, sur base des données qu’il a rassemblées grâce à un dossier constitué de plusieurs milliers de pages. Personne ne pourra court-circuiter cette étape, à moins que le magistrat ne soit dessaisi du dossier.
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