Crise des médicaments: ni prévenir ni guérir!
Le ministère de la Santé a publié le 11 mai une nouvelle liste tarifaire des médicaments. Les prix des traitements oncologiques et des vaccins préventifs ont explosé.

«Mieux vaut prévenir que guérir». Cet adage populaire prend tout son sens dans les pays développés, où les politiques de santé demeurent aussi bien centrées sur le préventif que le curatif. Au Liban, la situation est bien différente. Un cercle vicieux sans fin semble régir depuis plusieurs mois le secteur de la santé, où ces deux notions demeurent les grandes oubliées.

Après les médicaments des maladies chroniques, les insulines et leurs analogues, les collyres ophtalmiques, les traitements oncologiques, les substances morphiniques et les produits anesthésiants, c’est au tour des vaccins préventifs de subir le même triste sort. Entre pénurie et augmentation dramatique des prix, un certain nombre de ces spécialités pharmaceutiques demeurent inaccessibles. Face à cette déplorable stagnation, voire cette régression, Amnesty International s’était insurgée en novembre dernier contre les décisions infondées des autorités libanaises. «Supprimer les subventions sur les médicaments sans s’assurer qu’un cadre de protection sociale est en place, afin de garantir l’accès aux médicaments essentiels, est un acte d’une profonde inconscience», avait écrit l’ONG.

Subventions et désinformation


Comme il est de coutume, le ministère de la Santé publie périodiquement une nouvelle liste tarifaire des médicaments qui va de pair avec les fluctuations du taux de change. Le mercredi 11 mai, la situation était toutefois bien différente. Le prix de plusieurs dizaines de médicaments a explosé. Il est cinq fois plus cher, voire 15 à 18 fois pour certains médicaments. Selon une source du ministère, le feu vert a finalement été donné pour la levée des subventions sur les princeps qui ont un générique (local ou dans le cas échéant importé) dont le prix serait naturellement inférieur. Quant aux génériques renfermant le même principe actif, les subventions ont été maintenues pour le moins cher et levées pour les autres. À cet égard, une campagne de désinformation a été menée, au cours des derniers jours, attestant que les subventions sur tous les médicaments anti-cancéreux ont été supprimées, ce qui est loin d’être le cas.

Ces rumeurs infondées ont créé une atmosphère d’angoisse chez les patients atteints, qui ont aussitôt vu tout espoir de guérison tomber à l’eau. «Lorsque mon frère m’a annoncé que, suite à la nouvelle tarification, mon médicament est devenu dix-sept fois plus cher, je me suis retrouvée confrontée à une mort imminente», confie à Ici Beyrouth sous le couvert de l’anonymat une patiente atteinte d’un glioblastome (cancer cérébral). «J’ai tout de suite appelé mon médecin, qui m’a rassuré qu’un générique subventionné existe et dont le prix ne dépasse pas les 250.000 livres libanaises», ajoute-t-elle.

En effet, le prix du princeps du témozolomide, dosé à 250 mg, est passé de 409.000 livres à près de 7.220.000 livres. Son générique anglais demeure toutefois subventionné et coûterait 233.000 livres. Il en est de même pour des dizaines d’autres molécules exhaustivement énumérées par le ministère de la Santé. À titre d’exemple, le princeps de la capécitabine, un agent chimiothérapeutique préconisé principalement dans le traitement de certains types de cancers métastatiques, qui se vendait à 312.000 livres il y a quelques jours, coûte aujourd’hui, selon la nouvelle grille tarifaire, 5.507.000 livres. Cependant, le prix de deux de ses génériques, libanais et français, n’a connu aucune augmentation. Leur prix est fixé, par le ministère de la Santé, à 218.000 livres et 201.000 livres respectivement.

«Nos patients meurent!»


Contacté par Ici Beyrouth, Fady Nasr, médecin spécialiste en hématologie-oncologie, hausse le ton et évoque la «situation catastrophique» à laquelle est confronté le secteur médical au Liban. «Les oncologues n’ont aucun problème de prescrire les génériques subventionnés qui sont aussi efficaces que les princeps, mais à condition qu’ils soient disponibles, s’insurge-t-il. Or ces médicaments et la majorité des traitements oncologiques sont introuvables sur le marché local. Nous sommes en train de conseiller à nos patients de les acheter en Turquie où les médicaments anti-cancéreux sont subventionnés par l’État.»


Le Dr Nasr tire la sonnette d’alarme face à l’effondrement du système de santé, infligé par les crise économique et politique qui sévissent depuis des mois au pays du Cèdre, et dénonce la nonchalance des autorités libanaises. «Nous avons essayé à plusieurs reprises de contacter le ministère de la Santé afin de mettre au point un plan de sauvetage, lance-t-il. On nous a alors demandé de patienter quelques jours, le temps que les élections législatives s’achèvent. Nos patients sont en train de mourir! Nous avons une liste d’une dizaine de malades dont l’état de santé s’est gravement détérioré à cause de la pénurie des traitements. Ils sont abandonnés à leur triste sort. La mort.»

Le médecin libanais se révolte contre le gouvernement qui aurait imposé que toute donation de médicaments soit gérée par l’État afin de «mettre la main dessus». «Nous sommes arrivés au fond du gouffre, notre gouvernement nous tue! Nous sommes en pénurie de tout genre de médicaments anti-cancéreux, de la chimiothérapie à l’immunothérapie en passant par la thérapie ciblée, en plus des substances morphiniques dont la situation ne s’est pas améliorée», dénonce le Dr Nasr, qui affirme que les patients et les oncologues s’apprêtent à descendre dans la rue.

Vide total


De son côté, le président du syndicat des importateurs de médicaments, Karim Jebara, met en garde contre un «vide total», concernant l’importation des médicaments, qui pourrait paralyser le Liban après les élections législatives et la démission du gouvernement, si le Conseil des ministres ne prend pas des mesures pragmatiques à cet égard lors de sa prochaine session qui doit se tenir vendredi. «Depuis le 17 mars, lorsque la Banque du Liban a annoncé qu’elle n’a plus suffisamment de réserves pour assurer l’importation des médicaments, toute ouverture de crédits d’importation doit être approuvée par le Conseil des ministres, précise à Ici Beyrouth M. Jebara. Une fois que ce dernier donne son feu vert, il faut attendre deux semaines pour que la somme soit débloquée et deux à trois autres semaines pour que les sociétés importatrices finalisent les formalités d’importation». Ainsi, les médicaments approuvés lors de la dernière séance du Conseil des ministres devraient arrivés d’ici la fin du mois de mai, mais quid donc pour les prochains mois? Aucune promesse n’a été faite par les autorités libanaises à et égard, répond M. Jebara qui rappelle que «tout devrait se jouer vendredi».

En préventif comme en curatif


Outre les traitements oncologiques, les vaccins préventifs ont été parmi les médicaments les plus affectés par la levée totale des subventions. Ainsi, à titre d’exemple, le prix de l’un des deux vaccins contre le papillomavirus humain (HPV), recommandé principalement chez les jeunes filles (mais également chez les garçons) comme prévention primaire contre le cancer du col de l’utérus lié à une infection par un HPV, est passé de 279.000 livres à 4.928.000 livres. Le prix du second vaccin, qui coûtait 107.000 livres il y a quelques jours, a été fixé à 1.845.000 livres. Cela est également vrai pour les autres vaccins pédiatriques obligatoires dont le vaccin tétravalent, indiqué dans la prévention conjointe de la diphtérie, du tétanos, de la coqueluche et de la poliomyélite. En comparant les listes tarifaires d’avril et de mai, il s’avère que le prix de ce dernier a quintuplé, passant de 99.000 livres à 499.000 livres.

«Nous avions demandé le maintien de la subvention sur certaines classes de vaccins, mais le ministère de la Santé a un budget limité, au sein duquel il a préféré prioriser les vaccins sans équivalent. Ainsi, la subvention a été maintenue pour les vaccins contre l’hépatite A, le méningocoque ACWY, le rotavirus, la fièvre typhoïde, et la varicelle», explique à Ici Beyrouth Bernard Gerbaka, président du comité national de vaccination auprès du ministère de la Santé. En effet, le prix de ces vaccins a été maintenu respectivement à 30.000 livres, 108.000 livres, 80.000 livres, 26.000 livres et 72.000 livres. Quant au vaccin contre le HPV, le Dr Gerbaka précise que son comité avait réclamé auprès du ministère que celui-ci reste subventionné, une demande qui n’a pas été prise en compte. Cela conduira, selon le Dr Nasr, à une diminution du taux de vaccination contre le HPV et par conséquent à une augmentation du taux d’infection par le virus. Ce qui se traduirait à long terme par une augmentation de l’incidence du cancer du col de l’utérus dont la majorité des cas est due audit virus.

Un pays pauvre


Selon le Dr Gerbaka, le ministère de la Santé est capable de subvenir à tous les besoins en terme de vaccination, sachant que les vaccins pédiatriques obligatoires sont disponibles gratuitement dans les centres de soins de santé primaires relevant du ministère de la Santé. «Notre priorité actuelle est de vacciner tous les enfants avec les 10 vaccins obligatoires et de rattraper les retardataires», note-t-il. Deux autres objectifs sont en vue: catégoriser le Liban comme pays socio-économiquement pauvre pour bénéficier de la plateforme GAVI (organisation internationale créée en 2000 pour améliorer l’accès aux vaccins pour les enfants vivant dans les pays les plus pauvres du monde) et «augmenter le lot des vaccins obligatoires de dix à onze vaccins obligatoires, puis peut-être à douze». Ces dix vaccins sont ceux contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite, l’Haemophilus influnzae de type B, l’hépatite B, le pneumocoque, la rougeole, les oreillons et la rubéole. Le onzième vaccin est celui contre le rotavirus.
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