Un vent nouveau a soufflé sur les législatives
La bataille aura été longue pour les indépendantistes élus et le résultat est inespéré avec 13 sièges sur 128 au Parlement. Les premières réunions ont déjà commencé en vue d’établir un plan de travail pour la prochaine étape.

«Changement». Un mot qui revenait, en ce dimanche 15 mai, comme une litanie sur les lèvres de nombreux électeurs sur l’ensemble du territoire. Après 30 ans de règne d’une classe politique en place depuis la fin de la guerre civile, de nombreux Libanais ont exprimé leur souhait de sang neuf dans les urnes. Malgré les fraudes enregistrées par l’Association libanaise pour la démocratie des élections (LADE), émanant notamment des partis traditionnels, 13 candidats indépendants ont quand même réussi à faire leur entrée au Parlement.

Mont-Liban IV, une victoire inattendue

«Je n’arrive toujours pas à croire à notre victoire», s’exclame Mark Daou, député élu au siège druze de Aley (Mont-Liban IV, qui compte également le caza du Chouf) et cofondateur de l’agence de relations publiques RPR. «Nous ne pensions pas obtenir 13 sièges au Parlement, confie-t-il. C’est un très bon début. Surtout au Chouf où la bataille électorale a été difficile, car les partis traditionnels sont puissants et présents depuis des décennies.» Au Chouf, où la politique a longtemps été marquée par la présence de deux grandes familles, les Joumblatt et les Arslane, la population a réussi à élire pour la première fois trois candidats issus de la société civile: Mark Daou, à l’un des deux sièges druzes à Aley, Najat Aoun Saliba, à l’un des trois sièges maronites du Chouf, et Halimeh Kaakour, à l’un des deux sièges sunnites du Chouf.

«Nous allons former un bloc uni avec tous les députés indépendants pour travailler tous ensemble, affirme Najat Saliba. Il n’y a plus de temps ni de place pour que chacun travaille de son côté. Le principal objectif est de travailler pour servir le peuple libanais et nous sommes prêts à collaborer avec tous ceux qui ont le même objectif. Nous voulons un État et un gouvernement forts.» Pour Najat Saliba, la priorité sera de «répondre aux besoins primaires du peuple, comme les droits de l’homme, le droit à l’éducation et la baisse du chômage, avant de s’attaquer aux problèmes d’envergure nationale», comme la souveraineté de l’État et les armes du Hezbollah.

Professeur de chimie analytique et atmosphérique et directrice de l’académie de l’environnement à l’Université américaine de Beyrouth, Najat Saliba a mis l’environnement au cœur de son programme puisqu’elle le lie étroitement à la santé des citoyens. Pour Mark Daou, l’une des principales priorités est de résoudre le problème lié aux banques. «Il faut s’attaquer au plus vite à la loi du contrôle des capitaux pour que les déposants n’aient pas à payer le prix de l’irresponsabilité du gouvernement», souligne-t-il.

À Beyrouth, non aux zaïms 


Du côté des élus indépendants à Beyrouth, l’objectif est le même. «Notre priorité est le redressement économique du pays, la lutte contre la pauvreté galopante et la stabilisation du taux de change du dollar», intervient Waddah Sadek, député élu au siège sunnite à Beyrouth. «Avant les élections, la livre libanaise avait repris de la valeur face au dollar, une tactique à laquelle ont eu recours les partis traditionnels pour que les électeurs votent pour eux. Au lendemain des élections, le dollar avait déjà atteint les 30.000 livres», dit-il avec ironie. Waddah Sadek compte œuvrer pour une justice indépendante. «Pour construire et panser les plaies du passé, il faut demander justice, insiste-t-il. Justice pour la double explosion du 4 août 2020 et justice pour les déposants. Certes, nous ne pouvons pas changer en une seule année un système politique défectueux vieux de 30 ans, mais nous allons renforcer le rôle de l’État pour affaiblir le rôle des milices.»
Les Beyrouthins ont été nombreux à voter pour le changement. «La rue est avec nous, se félicite Waddah Sadek. Près de 500.000 Libanais ont quitté le pays au cours des deux dernières années. La majorité d’entre eux sont avec le changement. Environ 20% d’entre eux n’ont toutefois pas pu voter, parce que les bureaux de vote étaient trop loin, ou encore en raison des longues heures d’attente dans les files devant les centres de vote, mais aussi parce qu’ils n’ont pas trouvé leur nom sur les listes. S’ils avaient pu accomplir leur droit citoyen, les indépendants auraient remporté plus de sièges.»

Waddah Sadek souligne en outre que «les partis traditionnels ont essayé d’empêcher le vote de la diaspora et de nous intimider pour que nous nous retirions de la course électorale». «Aujourd’hui, les Libanais en sont conscients et c’est le début d’une nouvelle ère, s'enthousiasme-t-il. Certes, nous prenons un risque à faire partie de ce système politique avant d’être en mesure de le changer. C’est pour cela qu’il faut rester vigilant.»

Pour Ibrahim Mneimné, député élu au siège sunnite de Beyrouth, la cohabitation avec les partis traditionnels ne va pas être facile, mais elle est nécessaire. «Nous sommes obligés de travailler avec eux, une partie du peuple les a élus et nous vivons dans une démocratie, avance-t-il. Certains sujets vont être coriaces à traiter. Il faut travailler en parallèle sur l’économie et la politique. Rebâtir les institutions étatiques, respecter le système démocratique, abolir le confessionnalisme… autant de sujets sur lesquels il faut se pencher pour pouvoir changer les choses. Il faut surtout changer la loi électorale qui a été faite pour avantager l’ancien régime.»

À Sud I, brise de liberté

À Jezzine-Saida, la bataille a également été difficile, mais les indépendants ont réussi à vaincre les candidats du Courant patriotique libre et du mouvement Amal. «La défaite des candidats des partis traditionnels dans cette circonscription démontre un ras-le-bol de la population, après deux années très difficiles», explique Charbel Massaad, député élu au siège maronite de Jezzine (Sud I) aux côtés d’Abdel Rahman Bizri et Oussama Saad, élus aux sièges sunnites de Saïda. Il souligne le fait que la loi électorale doit être changée, car elle est en faveur des politiciens issus de la guerre civile. «Les partis politiques traditionnels ont tout essayé pour gagner, affirme-t-il. Ils ont soudoyé les électeurs, mais la nouvelle génération a voté pour nous. Pour les gens, l’ancien régime est synonyme de destruction. Ils souhaitent un souffle nouveau au pouvoir.»

Charbel Massaad est médecin, il a vécu la misère des gens de près. «La priorité va être d’améliorer le quotidien des gens, affirme-t-il. Je vais porter au Parlement leur souffrance. Il faut mettre en priorité la santé et la justice pour les victimes du 4 août, mais il faut également renforcer l’armée libanaise à tout prix, pour affaiblir les armes du Hezbollah. Plus nous serons nombreux, plus nous aurons des chances de nous faire entendre.» Mais pour Charbel Massaad, le plus grand défi est de retenir les Libanais au pays. «Aujourd’hui, comment faire revenir les Libanais qui sont partis au cours des deux dernières années?» se désole-t-il.

Critiqués par de nombreux Libanais pour ne pas avoir fait une liste commune, les indépendantistes auraient pu avoir plus de sièges au Parlement s’ils avaient fait front commun. Certes, une partie de la population est ravie de cette nouvelle vague de députés à l’hémicycle. Mais le scepticisme reste au rendez-vous. La question qui se pose est celle de savoir comment ils réussiront à proposer des réformes et des projets de loi en présence de partis traditionnels connus pour le blocage qu’ils exercent.
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