« Corsage », une Sissi en fin de règne à Cannes
Vendredi, tous les regards étaient rivés sur la présentation en avant-première du film Corsage sur la Croisette à Cannes, tandis qu’un autre projet monté en Autriche est attendu pour l’automne. C’est une Vicky Krieps, aux antipodes d’une Romy Schneider romanesque, qui a relevé le pari d’incarner le rôle de ce personnage devenu légendaire.

125 ans après sa mort, Sissi, impératrice rebelle au destin tragique, inspire à nouveau des réalisateurs en quête d’une personnalité féminine avant-gardiste et romanesque. Pas moins de deux longs-métrages et deux séries reviennent actuellement sur la vie d’Élisabeth de Wittelsbach (1837-1898), immortalisée après la Seconde Guerre mondiale en mode kitsch par Romy Schneider au cinéma.

Ce regain d’intérêt est porté par le désir de « trouver plus de récits de femmes », explique l’actrice Dominique Devenport, qui a prêté ses traits outre-Rhin à l’impératrice d’Autriche dans la force de sa jeunesse.

Car aujourd’hui encore, les touristes consomment un rêve vendu à Vienne de paillettes et de valses, sous les dorures des appartements impériaux attirant jusqu’en Chine, où Sissi reste adulée.

C’est une Sissi en fin de règne, frustrée par un système qui ne lui permettait jamais d’exprimer une opinion, qu’interprète Vicky Krieps dans  Corsage le drame présenté en sélection « Un Certain Regard ».
Aux antipodes de Romy Schneider, la Luxembourgeoise incarne une impératrice qui désespère de s’émanciper de son mari et ne goûte aucun des plaisirs de la Cour.

Sur une idée de Vicky Krieps, l’Autrichienne Marie Kreutzer s’est emparée de l’histoire de l’impératrice d’Autriche, sommée de se taire, de sourire, de ne pas s’ingérer dans les affaires de l’Empire, et qui sombre dans la mélancolie à la quarantaine. Avec ses décors anachroniques, mêlant meubles d’époque et lampes électriques, et sa bande-son signée par la chanteuse et compositrice Camille avec des tubes rocks repris à la harpe, le film entend aussi parler d’aujourd’hui. Avec les réseaux sociaux notamment, « dans toutes les fonctions qu’on prend, dans tous les environnements professionnels, la beauté prend un rôle et ça, ce n’est pas bien du tout ! Si on est belle ou beau, on prend plus de place, on vous écoute mieux, on vote pour mieux, et ça, c’est le pire », regrette l’actrice révélée dans Phantom Thread.

Sissi, star glamour toujours en représentation

Mariée à François-Joseph alors qu’elle n’a que 16 ans, Sissi, star glamour en perpétuelle représentation, a vécu une vie « extrême et pleine de douleur », en butte constante au rigide protocole de la cour des Habsbourg.
« Comment rester soi-même, quelles décisions prendre, comment répondre aux attentes ? », autant de questionnements qui reflètent des enjeux très contemporains, souligne l’actrice de 26 ans.
D’autant « qu’entrée dans l’histoire au moment de l’avènement des médias de masse », Sissi fut « l’une des premières femmes confrontées à une immense célébrité en Europe », comme le rappelle l’historienne Martina Winkelhofer, auteure d’un livre sur cette personnalité iconique.

L’invention de la photographie a accéléré la renommée de cette excellente cavalière : « Soudain, on pouvait vraiment voir la femme d’un empereur », poursuit-elle. Sissi a fait figure de pionnière dans l’utilisation de son image à des fins politiques, œuvrant à l’union avec la Hongrie, et a tenté de la contrôler jusqu’à l’obsession. Elle se dérobait du regard de la Cour par des passages secrets en se réfugiant dans l’élégante Villa Hermès nichée au cœur d’une réserve de chasse des environs de Vienne, offerte par son époux.

La conservatrice du musée Michaela Lindeinger y montre des équipements de sport fabriqués sur mesure lui permettant de conserver une silhouette, fine à l’extrême, d’éternelle jeune fille.

Une impératrice mélancolique

C’est là qu’elle passa, recluse, les dernières années de sa vie après le suicide de l’héritier du trône, son fils Rodolphe en 1889. On peut encore y voir aujourd’hui dans sa chambre à coucher la statue morbide réalisée sur sa commande d’une femme portant le voile du deuil, symbole d’une mélancolie l’accompagnant jusqu’à son assassinat à 60 ans par un anarchiste italien.

Pour le rôle, Vicky Krieps a dû porter un corset, comme Sissi, femme « au bord de la crise de nerfs et de l’effondrement ». « C’était dur, ça serre le plexus solaire, là où tous les nerfs sont accrochés. Ça enlève les émotions, j’étais bloquée dans mes émotions, je ne pouvais pas sortir ma tristesse ou ma joie », témoigne-t-elle.

Ces multiples facettes permettent à « chaque époque d’avoir sa propre Sissi », résume Martina Winkelhofer.

Une Sissi « victime de son image »…

Scrutée et sommée de se taire, l’impératrice Sissi était « victime de son image » comme le sont les Instagrameurs aujourd’hui, a déclaré l’actrice Vicky Krieps . « Les photos Instagram nous rendent de plus en plus victimes de notre image, comme Sissi l’était aussi », a ajouté à Cannes l’actrice luxembourgeoise qui enfile les robes de la femme de François-Joseph 1er dans cette nouvelle version, féministe et crépusculaire, de la vie de l’impératrice.

Quinze ans après Marie Antoinette, rhabillée par la réalisatrice Sofia Coppola version Converse et macarons, en reine rongée par l’ennui et la déprime, c’est au tour d’un autre mythe, celui de « Sissi », qui a rendu Romy Schneider célèbre, d’être revisité.

Corsage est attendu en France en décembre.

Avec AFP
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