Un nouveau podcast de douze épisodes, Maabar – ou barrage, dans le sens de checkpoint - propose une immersion dans les récits de guerre, en donnant la parole à des témoins et acteurs, civils ou anciens combattants, du conflit libanais de 1975 à 1990. L'objectif est de dégager un "vécu commun", explique Anthony Tawil, musicien et publicitaire, initiateur du podcast avec Cedric Kayem, compositeur et ingénieur du son.
Un nouveau podcast de douze épisodes, Maabar – ou barrage, dans le sens de checkpoint - propose une immersion dans les récits de guerre, en donnant la parole à des témoins et acteurs, civils ou anciens combattants, du conflit libanais de 1975 à 1990. Des récits oraux, spontanés et anonymes, sur fond de musique et graphiques minimalistes, sont proposés à l’écoute pour environ une demi-heure autour d’un thème précis. Le visuel est à imaginer, tandis que les voix se succèdent et s’entrecroisent.
L’anonymat est voulu notamment pour «effacer tout préjugé chez ceux qui écoutent», explique Anthony Tawil, musicien et publicitaire, initiateur du podcast avec Cedric Kayem, compositeur et ingénieur du son.
C’est à cette fin que la chronologie est, elle aussi, éludée. Ainsi, par exemple, deux témoignages épars, à Beyrouth en 1981 et au Sud en 1978 peuvent se faire écho sous un même thème sans que l’auditeur n’en perçoive l’écart spatio-temporel. Les événements historiques en tant que tels sont relégués au second plan, et ne sont retenus que si le témoin juge essentiel d’en parler.
Dégager un vécu commun
«Ce que nous avons choisi de garder des plus de cent heures d’interviews, menées avec environ 55 personnes, est important puisque c’est là que réside l’esprit du projet : l’équidistance à l’égard de tous», poursuit M. Tawil.
«L’opinion est évidemment laissée, ainsi que les insultes, tant que d’autres leur font écho», nuance le jeune artiste. Parce qu’au final «tout le monde doit pouvoir s’identifier à ce projet et sentir que ce projet lui parle», précisément à travers «le vécu commun» qui s’en dégage. C’est par la découverte de ce vécu que le silence imposé sur le passé de guerre est progressivement levé. La géographie des lieux et des déplacements est mise en avant. «Il faut permettre à l’auditeur de visualiser le récit comme on visualise une histoire» et de permettre donc à ces vécus communs de prendre forme dans la réalité.
L’un des effets pratiques serait d’identifier «l’autre» qui jadis n’était qu’une «image», afin de cesser de le percevoir comme différent, et comme source des afflictions de la guerre.
Il est attendu que ce projet inédit d’histoire orale, recouvrant toutes les zones géographiques du pays, offre des outils théoriques et pratiques sur la manière d’initier la discussion sur un passé que beaucoup trouvent encore trop douloureux d’aborder, même anonymement.
L’absurdité
D’ores et déjà, il se dégage de ces récits polyphones, des perceptions différentes, parfois contradictoires autour de vécus similaires. Chaque épisode s’achève sur un récit inattendu, alliant des pulsions contradictoires, où la culture du lien est néanmoins mise en avant. Une culture que l’histoire orale semble fortement favoriser. Cinq épisodes ont déjà été diffusés. Dans un premier épisode, les vécus des enfants d’alors s’entrecroisent autour d’une innocence rattrapée par la violence, prise d’un vague sentiment de peur, les marques de désillusion, l’image partagée par plus d’un, d’un père humilié par des miliciens, l’intégration de la guerre dans les jeux d’enfants, ou au contraire, l’initiation au rejet de la violence, en voyant un père roué de coups par ceux-là mêmes pour qui il avait cru devoir prendre les armes. Et parfois, dans l’indicible tumulte, peut rejaillir «le plus beau souvenir» d’une vie, dans un abri où s’échangent entre deux adolescents des baisers à coups de canon. Un abri que l’un d’eux revisite après le départ de l’autre, pour en humer l’odeur.
Dans cette rencontre de toutes les contradictions, entre la mort et le désir, «il y a une part d’absurde», renforcée par le fait que certains sont restés figés dans un passé non verbalisé jusque-là.
Des écoles recomposées
Sont évoquées dans un deuxième épisode les écoles en temps de guerre, ces endroits où certains recouvraient une certaine discipline, où régnait une sécurité relative au milieu du chaos, mais où d’autres, côtoyant des camarades de classe armés, ont vécu leurs premiers traumatismes. On y perçoit les mutations opérées par la guerre en cours, comme ce camarade de classe brillant qui prend les armes après la mort de son père tué par un Palestinien, une école qu’on relocalise dans des maisons à la Montagne, transcendant les barricades communautaires, des écoles abandonnées au niveau des lignes de démarcation, d’autres bombardées, mais devenant le terrain de scènes inédites, comme celles de la mère supérieure d’une école tenant tête à un combattant qui tirait sur elle, sous le regard admiratif d’un autre combattant, issu des mêmes rangs et qui prendra sa défense.
Les médias en temps de guerre font l’objet d’un troisième épisode centré sur la radio, média de crise par excellence puisqu’accompagnant les citoyens où qu’ils se trouvaient, alors que les journalistes et techniciens s’acharnaient à maintenir la diffusion en bravant tous les aléas et dangers. Des témoignages de journalistes de chaines rivales s’entrecroisent jusqu’à l’ultime face-à-face où une journaliste de Beyrouth-Ouest, dont l’oncle avait été tué à la Montagne par les Forces libanaises, devait interviewer Samir Geagea, qui opérait alors un revirement en direction du camp opposé, en appuyant Taëf. Quelques jours plus tard, ce sera la guerre d’élimination interchrétienne.
D’insultes en amitiés
Un quatrième épisode évoque les moyens de communications, notamment par les ondes radio du Citizen Band, où des insultes se muaient vite en liens d’amitié par-delà les frontières entre l’Est chrétien et l’Ouest musulman.
Un cinquième sur les déplacements et arrêts au niveau des barrages est la preuve que « tout le monde a un rapport aux barrages » qu’ils soient libanais, relevant de partis, syriens ou israéliens, fait remarquer Anthony Tawil.
Sept autres épisodes sont attendus à partir de la semaine prochaine : le début de l’armement des milices, qui donne la parole aux combattants, l’oppression subie même dans les zones non atteintes par la guerre (le vécu de guerre s’étend loin derrière les barricades, précise Anthony), le rapt et les disparitions (des survivants de rapts et des proches de personnes enlevées témoignent), le combat en tant que tel traité en deux épisodes avec une mise en parallèle entre les civils s’abritant et les civils s’armant, un épisode, « sans doute le plus grave, mais qu’on essaie de doser », sur les tragédies, et un dernier épisode qui regroupe les conclusions que les personnes interviewées tirent de leur vécu, et incidemment, les conclusions des deux jeunes initiateurs du projet.
Un nouveau podcast de douze épisodes, Maabar – ou barrage, dans le sens de checkpoint - propose une immersion dans les récits de guerre, en donnant la parole à des témoins et acteurs, civils ou anciens combattants, du conflit libanais de 1975 à 1990. Des récits oraux, spontanés et anonymes, sur fond de musique et graphiques minimalistes, sont proposés à l’écoute pour environ une demi-heure autour d’un thème précis. Le visuel est à imaginer, tandis que les voix se succèdent et s’entrecroisent.
L’anonymat est voulu notamment pour «effacer tout préjugé chez ceux qui écoutent», explique Anthony Tawil, musicien et publicitaire, initiateur du podcast avec Cedric Kayem, compositeur et ingénieur du son.
C’est à cette fin que la chronologie est, elle aussi, éludée. Ainsi, par exemple, deux témoignages épars, à Beyrouth en 1981 et au Sud en 1978 peuvent se faire écho sous un même thème sans que l’auditeur n’en perçoive l’écart spatio-temporel. Les événements historiques en tant que tels sont relégués au second plan, et ne sont retenus que si le témoin juge essentiel d’en parler.
Dégager un vécu commun
«Ce que nous avons choisi de garder des plus de cent heures d’interviews, menées avec environ 55 personnes, est important puisque c’est là que réside l’esprit du projet : l’équidistance à l’égard de tous», poursuit M. Tawil.
«L’opinion est évidemment laissée, ainsi que les insultes, tant que d’autres leur font écho», nuance le jeune artiste. Parce qu’au final «tout le monde doit pouvoir s’identifier à ce projet et sentir que ce projet lui parle», précisément à travers «le vécu commun» qui s’en dégage. C’est par la découverte de ce vécu que le silence imposé sur le passé de guerre est progressivement levé. La géographie des lieux et des déplacements est mise en avant. «Il faut permettre à l’auditeur de visualiser le récit comme on visualise une histoire» et de permettre donc à ces vécus communs de prendre forme dans la réalité.
L’un des effets pratiques serait d’identifier «l’autre» qui jadis n’était qu’une «image», afin de cesser de le percevoir comme différent, et comme source des afflictions de la guerre.
Il est attendu que ce projet inédit d’histoire orale, recouvrant toutes les zones géographiques du pays, offre des outils théoriques et pratiques sur la manière d’initier la discussion sur un passé que beaucoup trouvent encore trop douloureux d’aborder, même anonymement.
L’absurdité
D’ores et déjà, il se dégage de ces récits polyphones, des perceptions différentes, parfois contradictoires autour de vécus similaires. Chaque épisode s’achève sur un récit inattendu, alliant des pulsions contradictoires, où la culture du lien est néanmoins mise en avant. Une culture que l’histoire orale semble fortement favoriser. Cinq épisodes ont déjà été diffusés. Dans un premier épisode, les vécus des enfants d’alors s’entrecroisent autour d’une innocence rattrapée par la violence, prise d’un vague sentiment de peur, les marques de désillusion, l’image partagée par plus d’un, d’un père humilié par des miliciens, l’intégration de la guerre dans les jeux d’enfants, ou au contraire, l’initiation au rejet de la violence, en voyant un père roué de coups par ceux-là mêmes pour qui il avait cru devoir prendre les armes. Et parfois, dans l’indicible tumulte, peut rejaillir «le plus beau souvenir» d’une vie, dans un abri où s’échangent entre deux adolescents des baisers à coups de canon. Un abri que l’un d’eux revisite après le départ de l’autre, pour en humer l’odeur.
Dans cette rencontre de toutes les contradictions, entre la mort et le désir, «il y a une part d’absurde», renforcée par le fait que certains sont restés figés dans un passé non verbalisé jusque-là.
Des écoles recomposées
Sont évoquées dans un deuxième épisode les écoles en temps de guerre, ces endroits où certains recouvraient une certaine discipline, où régnait une sécurité relative au milieu du chaos, mais où d’autres, côtoyant des camarades de classe armés, ont vécu leurs premiers traumatismes. On y perçoit les mutations opérées par la guerre en cours, comme ce camarade de classe brillant qui prend les armes après la mort de son père tué par un Palestinien, une école qu’on relocalise dans des maisons à la Montagne, transcendant les barricades communautaires, des écoles abandonnées au niveau des lignes de démarcation, d’autres bombardées, mais devenant le terrain de scènes inédites, comme celles de la mère supérieure d’une école tenant tête à un combattant qui tirait sur elle, sous le regard admiratif d’un autre combattant, issu des mêmes rangs et qui prendra sa défense.
Les médias en temps de guerre font l’objet d’un troisième épisode centré sur la radio, média de crise par excellence puisqu’accompagnant les citoyens où qu’ils se trouvaient, alors que les journalistes et techniciens s’acharnaient à maintenir la diffusion en bravant tous les aléas et dangers. Des témoignages de journalistes de chaines rivales s’entrecroisent jusqu’à l’ultime face-à-face où une journaliste de Beyrouth-Ouest, dont l’oncle avait été tué à la Montagne par les Forces libanaises, devait interviewer Samir Geagea, qui opérait alors un revirement en direction du camp opposé, en appuyant Taëf. Quelques jours plus tard, ce sera la guerre d’élimination interchrétienne.
D’insultes en amitiés
Un quatrième épisode évoque les moyens de communications, notamment par les ondes radio du Citizen Band, où des insultes se muaient vite en liens d’amitié par-delà les frontières entre l’Est chrétien et l’Ouest musulman.
Un cinquième sur les déplacements et arrêts au niveau des barrages est la preuve que « tout le monde a un rapport aux barrages » qu’ils soient libanais, relevant de partis, syriens ou israéliens, fait remarquer Anthony Tawil.
Sept autres épisodes sont attendus à partir de la semaine prochaine : le début de l’armement des milices, qui donne la parole aux combattants, l’oppression subie même dans les zones non atteintes par la guerre (le vécu de guerre s’étend loin derrière les barricades, précise Anthony), le rapt et les disparitions (des survivants de rapts et des proches de personnes enlevées témoignent), le combat en tant que tel traité en deux épisodes avec une mise en parallèle entre les civils s’abritant et les civils s’armant, un épisode, « sans doute le plus grave, mais qu’on essaie de doser », sur les tragédies, et un dernier épisode qui regroupe les conclusions que les personnes interviewées tirent de leur vécu, et incidemment, les conclusions des deux jeunes initiateurs du projet.
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