L'invasion russe provoque un schisme dans l'église orthodoxe




Vladimir Poutine a gagné une localité au Donbass, mais perdu un patriarcat à Kiev.  L'armée russe a annoncé vendredi avoir remporté un gain territorial avec la prise d'une localité stratégique au Donbass. Mais à Kiev, l'Eglise orthodoxe ukrainienne dépendante de Moscou a déclaré vouloir rompre ses liens avec le patriarche Kirill, belliqueux et fidèle au président Poutine, mettant un terme à trois siècles de domination russe. L'institution déclare "sa pleine indépendance" des autorités spirituelles russes. Il est fort probable qu'elle s'unira avec l'Eglise orthodoxe d'Ukraine, autocéphale, qui s'est affranchie de Moscou en 2019.
Deux églises orthodoxes en Ukraine

L'invasion russe de l'Ukraine a placé en porte-à-faux les prêtres de l'Église orthodoxe relevant du patriarcat de Moscou. Celle-ci a conservé de nombreuses paroisses à travers l'Ukraine, en dépit de la reconnaissance par le patriarcat œcuménique de Constantinople en 2019 d'une Église orthodoxe indépendante en Ukraine, mettant fin à plus de 300 ans de tutelle religieuse russe.

Ainsi, parmi les multiples églises orthodoxes ukrainiennes, deux institutions représentent l'écrasante majorité de la population. La première, l'Église orthodoxe d'Ukraine, son primat est Épiphane et porte le titre de « Métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine ».

Elle a été créée en 2018, et son autocéphalie a été reconnue par le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée 1er, "premier parmi ses égaux", au grand dam de Kirill, patriarche "de Moscou et de toutes les Russies".



Pour les Russes, accorder une juridiction religieuse indépendante à l'Ukraine relève de l'hérésie. Elle signifie de couper un des multiples cordons ombilicaux qui relient l'Ukraine à la "mère patrie", selon les Russes bien sûr. Les Ukrainiens ne voient pas les choses sous cet angle. Ils luttent pour leur indépendance totale de Moscou. Cette lutte est une des bases de la guerre actuelle.

En face, il y a l'Église orthodoxe ukrainienne rattachée à Moscou, dont le chef, le métropolite Onuphre, dépend directement de Kirill, patriarche de Moscou. C'est la raison pour laquelle elle est connue sous le nom de "branche moscovite" de l'Église orthodoxe ukrainienne.
Les "forces du mal"

Mais le soutien absolu du patriarche Kirill à l'invasion russe a bouleversé la situation. Le 27 février, Kirill avait dit y voir un combat contre les "forces du mal" opposées à "l'unité" historique entre la Russie et l'Ukraine. Puis, en avril, il avait appelé à faire corps autour du pouvoir contre les "ennemis extérieurs et intérieurs" de la Russie.

Une religieuse traverse la cour du couvent orthodoxe russe Vladychny Vvedensky fondé en 1360 dans la ville de Serpoukhov, à quelque 95 km de Moscou.

Des propos qui ont provoqué l'indignation en Occident et fait réagir le pape François, qui lui a reproché d'être "l'enfant de chœur de Poutine". Pour certains prêtres ukrainiens la situation est intenable. Continuer de prêter allégeance à leurs supérieurs de Moscou est de plus en plus difficile, mais rompre les liens avec l'Église russe risque de provoquer des troubles au sein de leur paroisse.

Le métropolite Onuphre s'est jusqu'à présent abstenu de toute critique envers Kirill, toutefois ses comptes sur les réseaux sociaux sont remplis d'images de funérailles de soldats ukrainiens et de messages de soutien à l'armée de Kiev.

Onuphre avait également appelé à une procession à Pâques pour tenter de sauver les soldats ukrainiens piégés dans l'aciérie Azovstal de Marioupol, assiégée par l'armée russe.
Le schisme

Vendredi, la branche moscovite a annoncé rompre avec la Russie après que cette dernière a envahi l'Ukraine, déclarant "sa pleine indépendance" des autorités spirituelles russes. Une décision en somme historique, car elle montre à quel point l'invasion russe a galvanisé l'unité des Ukrainiens et consolidé leur indépendance envers Moscou. Vladimir Poutine a perdu ainsi une bataille de plus, (de trop?), même si ses troupes sont données vainqueurs dans le Donbass.



"Nous ne sommes pas d'accord avec le patriarche moscovite Kirill (...) en ce qui concerne la guerre en Ukraine", a expliqué dans un communiqué l'Eglise ukrainienne, à l'issue d'un concile consacré à "l'agression" russe contre son pays, durant lequel elle a prononcé "la pleine indépendance et l'autonomie de l'Eglise orthodoxe ukrainienne".
"Tu ne tueras point"

"Le concile condamne la guerre, qui est une violation du commandement de Dieu "Tu ne tueras point", et exprime ses condoléances à tous ceux qui souffrent à cause de la guerre", ajoute le communiqué.

Le concile appelle également l'Ukraine et la Russie à "continuer le processus de négociation" et à trouver un moyen de "mettre fin à l'effusion de sang".

Selon l'Eglise ukrainienne, ses relations avec sa direction moscovite était "compliquées ou inexistantes" depuis que la loi martiale a été déclarée en Ukraine.



 

Le porte-parole de l'Eglise d'Ukraine, interrogé par l'AFP, a précisé que le concile avait insisté sur "son rejet total de la position du patriarche Kirill à propos de la guerre".

"Non seulement il n'a pas condamné l'agression militaire de la Russie, mais il n'a pas non plus trouvé de mots pour le peuple ukrainien qui souffre", a-t-il déclaré.
Réaction sibylline de Moscou

Sur son compte Telegram, le porte-parole de l’Eglise orthodoxe russe, Vladimir Legoïda, s'est contenté d'indiquer, vendredi soir : "Etant donné que l’Eglise orthodoxe russe n’a pas reçu d’adresse de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, nous ne pouvons réagir à l’information donnée par la presse et sur internet".

"Nous prions pour la préservation de l’unité de l’Eglise orthodoxe russe. Nous prions pour une paix rapide et la fin de l’effusion de sang", a-t-il toutefois ajouté.

L'invasion décidée par Vladimir Poutine et le soutien de Kirill à la guerre avait placé l'Eglise ukrainienne encore rattachée à Moscou dans une situation de plus en plus intenable.

Des bombardiers russes survolant Moscou lors de la parade commémorative de la victoire soviétique durant la Seconde Guerre mondiale.

 

Des centaines de ses prêtres avaient signé récemment une lettre ouverte appelant à faire juger Kirill par un tribunal religieux à cause de ses positions sur le conflit.

L’Ukraine est centrale pour l'Eglise orthodoxe russe, dont certains des monastères les plus importants sont situés dans ce pays.

Reste à savoir si les deux églises ukrainiennes, l'ex-branche moscovite et la branche "nationale", seront fusionnées en une seule institution totalement indépendante du pouvoir russe.

Prise d'une localité clé du Donbass par les Russes

Sur le terrain, la défense territoriale de l'autoproclamée "république" séparatiste prorusse de Donetsk a indiqué sur Telegram avoir "pris le contrôle complet" de Lyman, avec "l'appui" des forces armées russes.

Ni l'armée russe, ni l'armée ukrainienne n'ont immédiatement commenté cette information, que l'AFP n'a pu vérifier de source indépendante.



 

Après leur offensive infructueuse sur Kiev et Kharkiv au début de la guerre lancée par la Russie le 24 février, les forces de Moscou concentrent leurs forces dans l'est de l'Ukraine, avec l'objectif affiché de prendre le contrôle total du bassin minier du Donbass, partiellement contrôlé depuis 2014 par des séparatistes prorusses soutenus par Moscou.

La prise de Lyman leur ouvrirait la route vers les centres régionaux de Sloviansk, puis Kramatorsk, tout en contribuant à l'encerclement de l'agglomération formée par les villes de Severodonetsk et Lyssytchansk, plus à l'est.




Après plusieurs semaines de pilonnage de Severodonetsk, cet encerclement semble presque achevé.

Un responsable policier de la république séparatiste prorusse de Lougansk, cité par l'agence Ria Novosti, a affirmé vendredi que "la ville de Severodonetsk est actuellement encerclée", et que les troupes ukrainiennes y sont piégées.

Le chef de l'administration ukrainienne de la ville, Oleksandr Striouk, a reconnu une situation "très difficile", avec "90% des immeubles résidentiels" endommagés. "Près des deux tiers du périmètre de la ville sont occupés par l'ennemi, mais elle n'est pas encerclée", a-t-il indiqué, cité par le gouverneur régional Serguiï Gaïdaï.



 

La dernière vraie route permettant de quitter l'agglomération depuis Lyssytchansk est devenue ces derniers jours un champ de bataille, a constaté l'AFP. Pour rejoindre le reste de l'Ukraine ou chercher du ravitaillement, il ne reste qu'une route de campagne sur laquelle peinent les véhicules militaires.

"Les gens sont prêts à prendre tous les risques pour de l'eau et de la nourriture", explique Oleksandr Kozyr, responsable d'un centre de distribution d'aide à Lyssytchansk. "Ils sont si déprimés qu'ils n'ont plus peur. Tout ce qu'ils veulent, c'est trouver à manger".



Au moins cinq civils ont été tués en 24 heures dans la région, selon M. Gaïdaï: quatre à Severodonetsk et un autre à Komychouvakha, à 50 kilomètres de là. Les autorités prorusses du Lougansk ont signalé deux morts et huit blessés dans une frappe ukrainienne sur le village de Svatov, selon les agences de presse russes.
Le CPI appelle la Russie à coopérer

Depuis La Haye (Pays-Bas), le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a appelé la Russie à coopérer dans l'enquête, qu'il avait ouverte quatre jours après l'invasion russe, sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis en Ukraine. Ni la Russie ni l'Ukraine ne sont membres de la CPI, mais Kiev a accepté la compétence de la Cour.



"Si (la Russie) mène ses propres enquêtes ou poursuites ou si elle a des informations pertinentes, partagez-les avec nous", a-t-il lancé, refusant de dire si Vladimir Poutine pourrait lui-même un jour être un suspect.
La guerre se poursuit dans le reste du pays

Des missiles russes ont visé vendredi une installation militaire de la ville de Dnipro , sur le fleuve Dniepr. "On déplore une dizaine de morts et entre 30 et 35 blessés", tous des militaires, a déclaré Guennadi Korban, responsable de la défense locale.

A Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine située à 50 km de la frontière russe, les sirènes d'alerte aérienne ont à nouveau retenti vendredi à l'aube. Des bombardements la veille avaient fait neuf morts et 19 blessés, tous des civils, selon Kiev.

Des démineurs à l'oeuvre aux environs de Kiev

Dans le Sud-Est, à Marioupol, grand port dévasté par les bombes, les autorités prorusses, citées par Ria Novosti, ont signalé la découverte de 14 corps de soldats ukrainiens près du stade Metallourg. "Les recherches se poursuivent, il pourrait y en avoir jusqu’à 40", a indiqué un responsable sanitaire, Dmitri Kalachnikov, selon qui ces soldats ont péri en "février-mars".

Le système de lance-roquette multiples américain "MLRS"

Les autorités ukrainiennes ont à nouveau réclamé vendredi davantage d'armes aux Occidentaux: "Certains partenaires évitent de donner les armes nécessaires par peur de l'escalade. Escalade, vraiment? La Russie utilise déjà les armes non nucléaires les plus lourdes, brûle les gens vivants. Peut-être qu'il est temps (...) de nous donner des (lance-roquette multiples) MLRS?" a tweeté Mykhaïlo Podoliak, conseiller de la présidence ukrainienne.

Le système de lance-roquette multiples américain "HIMARS". Kiev a grandement besoin de ce genre d'artillerie pour faire face à la formidable puissance de feu russe

 
Crise alimentaire: Poutine rejette sa responsabilité

Alors que l'Ukraine, grande puissance agricole, ne peut plus exporter ses céréales en raison du blocage de ses ports, Vladimir Poutine a rejeté vendredi toute responsabilité russe dans la crise alimentaire mondiale lors d'un entretien téléphonique avec le chancelier autrichien Karl Nehammer, selon un communiqué du Kremlin.

Jeudi, le président russe avait proposé d'aider à "surmonter la crise alimentaire" - à condition que les sanctions occidentales contre Moscou soient préalablement levées, ce qui lui a valu des accusations de chantage.

Un villageois ukrainien devant sa demeure détruite aux environs de Kiev

Pour aider Kiev à contourner le blocus russe, l'Allemagne a notamment mis sur pied un "pont ferroviaire" avec l'Ukraine, réservant des trains au transport du blé ukrainien vers l'Europe de l'Ouest, selon le prochain chef des forces américaines en Europe, le général Chris Cavoli.

Dans ce contexte, le président Zelensky devrait s'adresser lundi par visioconférence aux dirigeants de l'UE réunis à Bruxelles. Ils devraient aborder à nouveau le projet d'embargo de l'UE sur le pétrole russe, toujours bloqué par la Hongrie.

Le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, a déclaré vendredi soir dans un entretien télévisé que la Russie devrait engranger cette année 1.000 milliards de roubles (13,7 milliards d'euros) supplémentaires de ses exportations d'hydrocarbures, dont les prix flambent. Une partie sera allouée à la poursuite de l'offensive en Ukraine, selon lui.


Lavrov dénonce une "russophobie sans précédent"

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a dénoncé vendredi "une guerre totale" occidentale contre la Russie et estimé que celle-ci allait durer "longtemps".

"L'Occident a annoncé une guerre totale contre nous, contre le monde entier russe", a déclaré M. Lavrov, lors d'une réunion avec des responsables de régions russes.

"On peut dire avec certitude que cette situation est avec nous pour longtemps", a-t-il estimé, alors que les puissances occidentales ont multiplié les sanctions contre Moscou pour avoir lancé une vaste offensive militaire contre l'Ukraine.

 

 

Une route coupée par une énorme déflagration au Donbass. ( Crédit: Site officiel du président ukrainien)

 

"Les Etats-Unis et leurs satellites doublent, triplent, quadruplent leurs efforts pour endiguer la Russie, en utilisant un instrumentaire très large: en commençant par les sanctions économiques unilatérales jusqu'à une propagande profondément mensongère dans l'espace médiatique mondial", a martelé le ministre, dénonçant une "russophobie sans précédent".

Il s'en est aussi pris à "la culture dite de +l'annulation+" ("cancel culture" en anglais), assurant que les Occidentaux interdisaient les classiques: Tchaïkovski et Dostoïevski, Tolstoï, Pouchkine.

De nombreuses institutions culturelles occidentales ont cessé leur coopération avec des institutions étatiques russes ou banni des artistes qui soutiennent l'offensive contre l'Ukraine.

Avec AFP

 

 
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