Sur la place centrale de la ville de Slovyansk, la statue de Lénine trône toujours devant le siège du Conseil municipal. Slovyansk est en partie occupée par les séparatistes prorusses qui réclame le rattachement de leur "république populaire de Donetsk" à la Russie. Le drapeau rouge-bleu-noir au fond est celui de leur "république" reconnu seulement par Moscou. En 1941, les "Einsatzgruppen" des SS nazis ont commis des massacres de civils, surtout des juifs, dans les carrières à la lisière de la ville, un épisode de la Seconde Guerre mondiale connu par le nom de "Shoah par balles". Les statues de Lénine érigées à l'époque de l'URSS dans les places centrales des villes et des villages sont pour la plupart déboulonnées à l'ouest de l'Ukraine. Elles trônent toujours dans certaines villes de l'est, non pas par attachement au communisme, mais par nostalgie de l'époque où l'Ukraine appartenait à la Russie, qu'elle soit Sainte ou soviétique. En effet, une bonne partie du Donbass est habitée par des russophones. Leur présence a été exploitée par Moscou pour lancer l'invasion de l'Ukraine dans le but de les "libérer du nazisme".
La Russie s'est lancée à corps perdu dans la bataille de Severodonetsk, une ville-clé de l'est de l'Ukraine en proie ce week-end à des "combats de rue", tout en cherchant toujours, selon Kiev, à avoir la mainmise sur l'ensemble du territoire ukrainien. Une bataille qui évoque en plusieurs points celle de Stalingrad, lors de la Seconde Guerre mondiale.
Pour le moment en tout cas, plus de 100 jours après le début du conflit, les troupes russes concentraient leur offensive sur le grand bassin minier du Donbass, une région orientale partiellement aux mains depuis 2014 de séparatistes prorusses et dont elles espèrent conquérir l'intégralité.
Cet énorme cratère est dû à l'explosion d'un missile dans la ville de Soledar, au Donbass
Une "guerre d'usure", a tranché le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, tandis que le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov, tout en reconnaissant qu'"il est encore impossible de prédire" quand elle se terminera, a de manière inattendue dans ce contexte lâché samedi: "selon mes prévisions optimistes, c'est réaliste cette année".
Et ce bien que "la Russie continue de faire des efforts pour occuper tout notre État", a-t-il ajouté devant un forum international sur la sécurité, le Kremlin rêvant selon lui de "rassembler les terres" qu'il considère comme "siennes", y compris "la Pologne, les Pays baltes, la Slovaquie et d'autres".
Combats de rue à Severodonetsk
Sur le terrain, la situation restait très confuse à Severodonetsk. La Russie affirmait samedi que des unités militaires ukrainiennes s'en retiraient, tandis que l'état-major de l'armée ukrainienne et le maire de cette cité, Olexandre Striouk, signalaient dans la soirée des affrontements en vue de complètement la reprendre.
Les troupes russes "ont réussi à entrer dans la ville et à s'emparer d'une bonne partie de celle-ci, en la divisant en deux. Mais nos militaires sont parvenus à se redéployer, à construire une ligne de défense. Actuellement, on fait tout le nécessaire pour rétablir le contrôle total" de Severodonetsk, a déclaré M. Striouk, évoquant des "combats de rue".
Les victimes qui ont le plus souffert du conflit sont bien sûr les enfants, mais surtout les vieux retraités, vivant souvent seuls et ne pouvant pas quitter leurs demeures, même si elles sont détruites.
"Des unités de l'armée ukrainienne, ayant subi des pertes critiques au cours des combats pour Severodonetsk (jusqu'à 90% dans plusieurs unités), se replient vers Lyssytchansk", une localité voisine,a pour sa part proclamé le ministère russe de la Défense.
Un peu plus tôt dans la journée, le gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï, avait admis que "la situation dans toute la région" était "extrêmement difficile" : "Les combats se concentrent actuellement à Severodonetsk car (...) l'armée russe a mis tout son poids et ses réserves" dans cette bataille. "De premières informations indiquent qu'ils (les Russes) ont réussi à prendre le contrôle de la majeure partie de la ville. Mais nos forces les repoussent maintenant".
Severodonetsk, qui comptait avant la guerre quelque 100.000 habitants, et Lyssytchansk, situées à quelque 80 km de la capitale administrative régionale ukrainienne de Kramatorsk, sont des agglomérations-clés pour y parvenir.
Le front du Sud
Des attaques se sont produites parallèlement samedi sur d'autres fronts. Dans la région méridionale de Kherson, "des habitants ont quitté le village de Trudolyubivka" et les forces russes "continuent de bombarder les territoires occupés et les positions de l'armée ukrainienne", a annoncé la présidence ukrainienne, mettant en garde contre une crise humanitaire dans les zones aux mains des Russes.
En outre, "des entrepôts ont été endommagés" et il y a eu deux "victimes", selon Kiev, quand un missile de croisière russe a frappé une entreprise agricole dans le grand port d'Odessa, également dans le sud.
A Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine située au nord du Donbass, les projectiles russes continuent de s'abattre sur les quartiers résidentiels.
L'armée russe a de son côté affirmé avoir détruit "un point de déploiement de mercenaires étrangers" près de Datchnoe, dans la région d’Odessa, et deux centres de commandement ukrainiens et six dépôts de munitions dans les régions de Donetsk et de Lougansk.
Elle a aussi dit avoir touché avec des missiles un centre de formation d’artilleurs ukrainiens près de Stetskovka, dans la région de Soumy, où des "instructeurs étrangers ont formé des militaires ukrainiens à l’utilisation d’obusier M777".
"Légion internationale de défense de l'Ukraine"
Quatre militaires volontaires étrangers dont un Français ont été tués en combattant les troupes russes en Ukraine, a par ailleurs annoncé samedi la Légion internationale de défense de l'Ukraine, l'organisme officiel des combattants volontaires étrangers.
Les Ukrainiens doivent s'exercer à manier les obusiers lourds M777 fournis par les Américains avant leur utilisation dans le Donbass
La Légion a cité les noms d'un Néerlandais, d'un Australien, d'un Allemand et d'un Français sans préciser la date ni les circonstances de leur mort.
Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, les Russes ont triplé la portion du territoire ukrainien qu'ils contrôlent: avec la péninsule de Crimée et les régions occupées du Donbass et du sud de l'Ukraine, la Russie a désormais la mainmise sur près de 125.000 km2, soit 20% de la superficie de ce pays, selon le président Zelensky.
Aide internationale
La situation restait par ailleurs très fragile dans les villes reprises par les forces ukrainiennes, comme à Horenka, en périphérie de Kiev, où a eu lieu vendredi une distribution d'aide humanitaire
Hanna Viniychuk, 67 ans, pleure en expliquant avoir tout perdu: "Quand l'appartement a été bombardé, je n'ai presque rien pu emporter et maintenant c'est trop cher de prendre le bus, donc je suis venue chercher dans les locaux de la mairie des produits de première nécessité".
Dans la banlieue nord de Kiev, les traces des combats sont toujours visibles malgré le retour d'une partie de la population. La reconstruction risque de prendre plusieurs mois, voire des années dans certaines régions complètement rasées comme Marioupol.
Tetyana Shepeleva, une responsable de la communauté d'Horenka, distribue l'aide humanitaire: "On a une liste de gens qui ont besoin d'aide gérée par l'armée, environ 5.000 personnes actuellement".
Elle montre les cartons de l'Unicef entassés jusqu'au plafond : "Il y a des draps, des matelas, des plats préparés par le réseau World Center Kitchen. Les gens n'ont rien et tentent toujours d'avoir un peu plus".
"La position de Macron ne fait qu'humilier la France"
Répliquant au président français Emmanuel Macron qui avait répété la veille qu'il ne fallait "pas humilier la Russie" "pour que le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques", le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a jugé samedi que cette position ne pouvait qu'"humilier la France".
Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba lors d'un point de presse à Bruxelles, au siège du Conseil européen.
"Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place. Cela apportera la paix et sauvera des vies", a-t-il rétorqué à M. Macron, un des rares dirigeants internationaux qui essaie d'entretenir un dialogue avec le président russe Vladimir Poutine.
Mark Milley assiste à des manoeuvres navales dans la Baltique
Dans le même temps, le chef d'état-major des forces américaines, le général Mark Milley, a affiché la détermination des Etats-Unis à soutenir la Suède et la Finlande avant leur adhésion à l'Otan, à bord de l'USS Kearsarge, le plus grand navire de guerre américain ne s'étant jamais ancré dans le port de Stockholm.
L'USS Kearsarge, bâtiment porte-aéronefs (hélicoptères et Ospreys) américain dans le port de Stockholm. Il fait partie de plusieurs navires participant aux manœuvres de l'Otan "Baltops 22" dans la Baltique.
"Il est important pour nous, les Etats-Unis, ainsi que pour les autres pays de l'Otan, de montrer notre solidarité avec la Finlande et la Suède avec cet exercice", a noté l'officier, parlant des manoeuvres navales annuelles de l'Alliance en mer Baltique "Baltops 22".
Avec AFP
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