Alors que les stocks de blé ont à nouveau atteint un seuil critique, menaçant la sécurité alimentaire du pays, c’est une nouvelle course contre la montre qui s’enclenche pour essayer de pallier le pire. Une énième tentative de sauvetage entre faillite financière, système de subventions à bout de course, contrebande et marché noir.
Chaque mois, c'est la même ritournelle. Alors que le marché commence à bruire d’une nouvelle menace de rupture imminente des stocks de blé, l’anxiété ambiante remonte soudain d’un cran. Car cette perspective, si elle trouvait aujourd’hui sa concrétisation, aurait des effets dévastateurs sur une population déjà exsangue et serait à coup sûr annonciatrice d’une crise alimentaire difficile à contenir vu le contexte actuel. «Ce que je peux vous dire, c’est que la situation n’est pas bonne», confie à Ici Beyrouth un minotier sous couvert d’anonymat. Car sans faire de mauvais jeux de mots, le pays est aujourd’hui dans le pétrin. Un marché domestique sous tension extrême qui s’opacifie à mesure qu’il s’enfonce dans la crise.
Les différents acteurs du secteur et les responsables refusent ainsi de s’exprimer face aux annonces contradictoires qui émanent de part et d’autre: est-ce une ou trois semaines de sursis avant l’assèchement total des stocks existants? Il est évident que le pays perd pied et que la gestion de la crise devient incroyablement compliquée. «Actuellement, quatre minoteries sur douze ont déjà arrêté leurs activités faute de blé, explique le minotier. Le problème principal, nous le connaissons tous. Il provient du système de subventions toujours maintenu, alors que la banque centrale est presque à court de liquidité en devises. Ce système restera-t-il en place malgré tout? C’est la question à laquelle nous faisons face aujourd’hui.»
Évaluant ses propres réserves, le minotier estime la couverture du pays en blé entre vingt jours et un mois maximum. «D’après mon sentiment et mes estimations, les quantités de blé disponibles au Liban devraient tourner autour de 37.000 tonnes au total, dont 20 à 22.000 tonnes appartenant aux meuniers et environ 15.000 tonnes déjà stockées, mais dont on ne peut disposer, car toujours dans l’attente d’être payées par la BDL. »
Le bourbier des subventions
Petit rappel: le blé, denrée cruciale, est encore subventionné à 100% par l’État libanais à un taux préférentiel de 1.500 livres pour un dollar. Ce système de subventions suivait un mécanisme précis selon lequel les meuniers présentaient les factures d’achat de blé à la BDL afin que cette dernière puisse payer les fournisseurs dans un délai rapide. Seulement, avec l’effondrement financier et économique du pays, la banque centrale n’a plus les moyens de sa politique et n’arrive donc plus à subventionner les importations de blé pour son marché local. Les reports de paiements incessants qu’elle fait subir aux compagnies exportatrices de blé ont fini par décourager ces dernières de prendre le risque d’insolvabilité du pays. Nombre d’entre elles réclament aujourd’hui d’être directement payées en argent comptant par les minotiers libanais, avant ou au moment du chargement. Des montants qui devront toutefois être remboursés aux acheteurs par la BDL selon un accord conclu et en temps réduit. Quelques fournisseurs acceptent encore toutefois de décharger la marchandise et d’attendre trois semaines le règlement par la Banque du Liban. Quoi qu’il en soit, ces délais de paiement ne sont évidemment jamais respectés.
Contrebande
«Depuis la destruction des silos du port, les seuls stocks existants que nous contrôlons sont ceux des minotiers», explique Geryes Berberi, directeur général des graines et de la betterave sucrière, rattaché au ministère de l’Économie et du Commerce et dont la mission est d’assurer que les réserves de blé suffisent à satisfaire la consommation locale. «Les meuniers moulent le blé et distribuent la farine aux boulangeries à travers tout le territoire, poursuit-il. Notre rôle consiste à distribuer des coupons aux fabricants de pain arabe afin que ces derniers puissent obtenir leurs quotas mensuels de farine.» C’est sur cette base que M. Berberi procède aux calculs afin d’évaluer les besoins du marché. «Le chiffre de la consommation tournait il y a encore quelques mois autour de 50 à 52.000 tonnes de blé par mois, soit environ 600.000 à 620.000 tonnes importées par an. Des quantités qui tiennent également compte de la demande des réfugiés syriens et de la consommation croissante de pain due au sentiment de faim», précise-t-il.
Dans ce micmac généralisé, où les contrôles sont pratiquement inexistants, les frontières poreuses et la paupérisation galopante, pas étonnant que certains profitent de cette situation fortement dégradée pour alimenter la contrebande de blé vers la Syrie, jouant ainsi sur la forte disparité de prix entre les deux marchés. «Une fois la subvention appliquée, le prix du blé tombe à 28 dollars la tonne (si l’on assume qu’un dollar équivaut à 29.000 livres libanaises), alors que le prix réel de la céréale importée tourne autour de 550 dollars la tonne, indique M. Berberi. Par conséquent, la même différence s’applique à la farine: 3 millions de livres libanaises la tonne au Liban contre 20/25 millions la tonne en Syrie.»
«Cette hémorragie ne s’arrêtera pas de sitôt d’autant qu’aucune mesure n’est prise, alors que nous avons expressément appelé les forces de sécurité à travailler de concert avec nous sur ce dossier, précise M. Berberi. Le Premier ministre, Najib Mikati, a d’ailleurs exprimé son inquiétude quant à la sécurité alimentaire du pays lors de notre dernière réunion, il y a un mois environ.»
Marché noir
Le développement du marché noir est l’autre aspect pervers des dysfonctionnements actuels liés à la question des subventions. «Suite à la décision du Premier ministre, seules 36.000 tonnes de blé par mois sont désormais subventionnées au lieu des 50.000 initiales, soit l’équivalent de 28.000 tonnes de farine destinées exclusivement à la fabrication de pain arabe, raconte M. Berberi. Les 14.000 tonnes qui ont été retirées du marché étaient réservées à la fabrication de pains français, croissants, gâteaux, etc. C’est dans ce vacuum qu’est venu se greffer un marché noir dont les prix atteignent actuellement 18 et 22 millions de livres libanaises la tonne de farine, alors que nous la vendons aux boulangers à seulement 3 millions de livres libanaises. Qui voudrait produire du pain lorsqu’il est possible de faire une plus-value de 600% en revendant simplement sa matière première?»
Bouée de sauvetage
Aujourd’hui, l’ultime planche de salut pour le Liban reste le prêt de 150 millions de dollars que souhaite octroyer sous conditions la Banque mondiale, qui permettrait, sur base d’une consommation mensuelle revue à la baisse (36.000 tonnes de blé), de couvrir neuf mois de consommation au lieu de six. «Ce prêt est évidemment soumis à une série de conditions strictes, au nombre desquelles la traçabilité de la farine, le contrôle de la contrebande, du marché noir, des dessous-de-table, etc., explique M. Berberi. Un projet de loi devra être présenté au Parlement pour être débattu, puis ultérieurement voté.»
Mais étant donné que l’État est en faillite, que la BDL est à court de devises et que le pays doit malgré tout s’acquitter de nouvelles cargaisons, le ministère a demandé une avance de 43 millions de dollars sur ce prêt pour pouvoir couvrir l’équivalent de deux mois des besoins en blé du pays. «Nous avons seulement reçu 12,5 millions de dollars, montant qui a été en totalité reversé aux fournisseurs en attente d’être payés», indique le directeur. Mais, depuis, les minotiers ont de nouveau adressé à la banque centrale des demandes pour trois cargos additionnels. «Nous allons présenter une lettre au ministre de l’Économie pour signature; elle sera ensuite envoyée au Premier ministre afin de demander un montant d’extrême urgence de 10 à 15 millions de dollars, sinon nous nous dirigeons à coup sûr vers un soulèvement social, car les stocks s’amenuisent jour après jour», met-il en garde.
Chaque mois, c'est la même ritournelle. Alors que le marché commence à bruire d’une nouvelle menace de rupture imminente des stocks de blé, l’anxiété ambiante remonte soudain d’un cran. Car cette perspective, si elle trouvait aujourd’hui sa concrétisation, aurait des effets dévastateurs sur une population déjà exsangue et serait à coup sûr annonciatrice d’une crise alimentaire difficile à contenir vu le contexte actuel. «Ce que je peux vous dire, c’est que la situation n’est pas bonne», confie à Ici Beyrouth un minotier sous couvert d’anonymat. Car sans faire de mauvais jeux de mots, le pays est aujourd’hui dans le pétrin. Un marché domestique sous tension extrême qui s’opacifie à mesure qu’il s’enfonce dans la crise.
Les différents acteurs du secteur et les responsables refusent ainsi de s’exprimer face aux annonces contradictoires qui émanent de part et d’autre: est-ce une ou trois semaines de sursis avant l’assèchement total des stocks existants? Il est évident que le pays perd pied et que la gestion de la crise devient incroyablement compliquée. «Actuellement, quatre minoteries sur douze ont déjà arrêté leurs activités faute de blé, explique le minotier. Le problème principal, nous le connaissons tous. Il provient du système de subventions toujours maintenu, alors que la banque centrale est presque à court de liquidité en devises. Ce système restera-t-il en place malgré tout? C’est la question à laquelle nous faisons face aujourd’hui.»
Évaluant ses propres réserves, le minotier estime la couverture du pays en blé entre vingt jours et un mois maximum. «D’après mon sentiment et mes estimations, les quantités de blé disponibles au Liban devraient tourner autour de 37.000 tonnes au total, dont 20 à 22.000 tonnes appartenant aux meuniers et environ 15.000 tonnes déjà stockées, mais dont on ne peut disposer, car toujours dans l’attente d’être payées par la BDL. »
Le bourbier des subventions
Petit rappel: le blé, denrée cruciale, est encore subventionné à 100% par l’État libanais à un taux préférentiel de 1.500 livres pour un dollar. Ce système de subventions suivait un mécanisme précis selon lequel les meuniers présentaient les factures d’achat de blé à la BDL afin que cette dernière puisse payer les fournisseurs dans un délai rapide. Seulement, avec l’effondrement financier et économique du pays, la banque centrale n’a plus les moyens de sa politique et n’arrive donc plus à subventionner les importations de blé pour son marché local. Les reports de paiements incessants qu’elle fait subir aux compagnies exportatrices de blé ont fini par décourager ces dernières de prendre le risque d’insolvabilité du pays. Nombre d’entre elles réclament aujourd’hui d’être directement payées en argent comptant par les minotiers libanais, avant ou au moment du chargement. Des montants qui devront toutefois être remboursés aux acheteurs par la BDL selon un accord conclu et en temps réduit. Quelques fournisseurs acceptent encore toutefois de décharger la marchandise et d’attendre trois semaines le règlement par la Banque du Liban. Quoi qu’il en soit, ces délais de paiement ne sont évidemment jamais respectés.
Contrebande
«Depuis la destruction des silos du port, les seuls stocks existants que nous contrôlons sont ceux des minotiers», explique Geryes Berberi, directeur général des graines et de la betterave sucrière, rattaché au ministère de l’Économie et du Commerce et dont la mission est d’assurer que les réserves de blé suffisent à satisfaire la consommation locale. «Les meuniers moulent le blé et distribuent la farine aux boulangeries à travers tout le territoire, poursuit-il. Notre rôle consiste à distribuer des coupons aux fabricants de pain arabe afin que ces derniers puissent obtenir leurs quotas mensuels de farine.» C’est sur cette base que M. Berberi procède aux calculs afin d’évaluer les besoins du marché. «Le chiffre de la consommation tournait il y a encore quelques mois autour de 50 à 52.000 tonnes de blé par mois, soit environ 600.000 à 620.000 tonnes importées par an. Des quantités qui tiennent également compte de la demande des réfugiés syriens et de la consommation croissante de pain due au sentiment de faim», précise-t-il.
Dans ce micmac généralisé, où les contrôles sont pratiquement inexistants, les frontières poreuses et la paupérisation galopante, pas étonnant que certains profitent de cette situation fortement dégradée pour alimenter la contrebande de blé vers la Syrie, jouant ainsi sur la forte disparité de prix entre les deux marchés. «Une fois la subvention appliquée, le prix du blé tombe à 28 dollars la tonne (si l’on assume qu’un dollar équivaut à 29.000 livres libanaises), alors que le prix réel de la céréale importée tourne autour de 550 dollars la tonne, indique M. Berberi. Par conséquent, la même différence s’applique à la farine: 3 millions de livres libanaises la tonne au Liban contre 20/25 millions la tonne en Syrie.»
«Cette hémorragie ne s’arrêtera pas de sitôt d’autant qu’aucune mesure n’est prise, alors que nous avons expressément appelé les forces de sécurité à travailler de concert avec nous sur ce dossier, précise M. Berberi. Le Premier ministre, Najib Mikati, a d’ailleurs exprimé son inquiétude quant à la sécurité alimentaire du pays lors de notre dernière réunion, il y a un mois environ.»
Marché noir
Le développement du marché noir est l’autre aspect pervers des dysfonctionnements actuels liés à la question des subventions. «Suite à la décision du Premier ministre, seules 36.000 tonnes de blé par mois sont désormais subventionnées au lieu des 50.000 initiales, soit l’équivalent de 28.000 tonnes de farine destinées exclusivement à la fabrication de pain arabe, raconte M. Berberi. Les 14.000 tonnes qui ont été retirées du marché étaient réservées à la fabrication de pains français, croissants, gâteaux, etc. C’est dans ce vacuum qu’est venu se greffer un marché noir dont les prix atteignent actuellement 18 et 22 millions de livres libanaises la tonne de farine, alors que nous la vendons aux boulangers à seulement 3 millions de livres libanaises. Qui voudrait produire du pain lorsqu’il est possible de faire une plus-value de 600% en revendant simplement sa matière première?»
Bouée de sauvetage
Aujourd’hui, l’ultime planche de salut pour le Liban reste le prêt de 150 millions de dollars que souhaite octroyer sous conditions la Banque mondiale, qui permettrait, sur base d’une consommation mensuelle revue à la baisse (36.000 tonnes de blé), de couvrir neuf mois de consommation au lieu de six. «Ce prêt est évidemment soumis à une série de conditions strictes, au nombre desquelles la traçabilité de la farine, le contrôle de la contrebande, du marché noir, des dessous-de-table, etc., explique M. Berberi. Un projet de loi devra être présenté au Parlement pour être débattu, puis ultérieurement voté.»
Mais étant donné que l’État est en faillite, que la BDL est à court de devises et que le pays doit malgré tout s’acquitter de nouvelles cargaisons, le ministère a demandé une avance de 43 millions de dollars sur ce prêt pour pouvoir couvrir l’équivalent de deux mois des besoins en blé du pays. «Nous avons seulement reçu 12,5 millions de dollars, montant qui a été en totalité reversé aux fournisseurs en attente d’être payés», indique le directeur. Mais, depuis, les minotiers ont de nouveau adressé à la banque centrale des demandes pour trois cargos additionnels. «Nous allons présenter une lettre au ministre de l’Économie pour signature; elle sera ensuite envoyée au Premier ministre afin de demander un montant d’extrême urgence de 10 à 15 millions de dollars, sinon nous nous dirigeons à coup sûr vers un soulèvement social, car les stocks s’amenuisent jour après jour», met-il en garde.
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