À Ghosta, des vestiges de dinosaures menacés de disparition
Il y a 125 millions d’années, le Liban abritait différentes espèces de dinosaures. Certains d’entre eux ont laissé des traces de leur passage, comme à Ghosta dans le Kesrouan. Aujourd’hui menacés, ces vestiges constituent un patrimoine scientifique et culturel inestimable.



Ghosta, terre des dinosaures. Aux abords de ce village du Kesrouan, un mur de 500 mètres de long arbore une multitudes d’empreintes de ces lézards géants. Découvertes en 2010 par deux paléontologues, dont Dany Azar, elles dateraient de 125 millions d’années. La raison de leur exceptionnelle conservation: les sédiments mous sur lesquels ont marché ces animaux. Car la zone était autrefois traversée par une plage et un lagon d’eau salée, où grouillaient de nombreuses espèces de vie. «On était ici sur les bords de la Thétys, un océan immense, ancêtre de la Méditerranée, explique Dany Azar. L’actuel Liban était alors au nord-est du continent Gondwana.» Formé durant le Néoprotérozoïque (il y a 550 millions d’années), il comprenait notamment l’Amérique du sud, l’Afrique, l’Antarctique, l’Australie, l’Inde et l’Arabie.

Situé le plus à l’est de ce super-continent, le Liban abritait plusieurs espèces de dinosaures, notamment de la famille des ornithopodes, des théropodes et des sauropodes, à l’origine des traces laissées sur le mur. «Les deux premiers étaient des carnivores généralement bipèdes, les sauropodes, quant à eux, étaient de gros herbivores se déplaçant sur quatre pattes», commente M. Azar. S’il est difficile de savoir précisément à quel dinosaure appartiennent ces traces, celles-ci livrent néanmoins de précieuses informations à qui sait les lire. «On peut connaître la vélocité et la grandeur de l'animal en fonction de la taille du pas. Certains faisaient deux à trois mètres. D’autres jusqu’à huit mètres», note le chercheur, tout en soulignant que la majorité des dinosaures étaient en réalité petits. «À peine plus grands qu’une poule!», se plaît-il à rappeler.

Si le site possède une valeur scientifique inestimable, il est aujourd’hui menacé. Récemment, un riverain de la zone a émis son souhait de casser le mur pour y faire passer une route menant à sa propriété. Soucieux de protéger la zone, des habitants des immeubles alentour ont contacté Dany Azar. En sa qualité de président de l’Association paléontologique et évolutive libanaise, il œuvre également à la protection de ce type de site.


«Nous avons écrit plusieurs lettres aux ministères concernés comme ceux de la Culture et de l’Environnement, ainsi qu’aux municipalités de Batha et Ghosta et au mohafez du Mont-Liban. Nous y avons expliqué la valeur scientifique, environnementale et patrimoniale du site.»

Si le riverain en question a porté plainte pour obtenir un droit de passage et que la zone n’est pas encore protégée, l’avocat de la partie adverse a néanmoins permis de mettre un stop provisoire aux velléités des bulldozers. Une première victoire pour la conservation du site, le seul au Moyen-Orient à contenir des empreintes datant de 125 millions d’années. Pour les dater, les scientifiques ont dû étudier les microfossiles de bêtes unicellulaires et d’algues vertes présentes dans la zone à l’époque. «Si on fait une datation géologique avec la charte internationale, cela correspond au Barrémien supérieur», précise Sibelle Maksoud, paléontologue et enseignante-chercheuse à l’Université libanaise. «Ce sont surtout les orbitolines, de toutes petites foraminifères en forme de chapeaux chinois, qui ont permis de donner un âge exact aux strates géologiques», poursuit-elle.

Le site fait partie du Jezzinien, un nouvel étage régional ainsi nommé par la chercheuse. De cette étendue géologique sont également issus le pont naturel de Faqra à Kfardebian et les cascades de Jezzine. «Le Jezzinien s’étend du nord au sud du Liban, mais également au sud de la Syrie et en Israël. Il est notamment en corrélation avec l’Urgonien en France et en Europe», détaille-t-elle, tout en précisant qu’une telle association a pu être établie en constatant que des animaux et une micro faune identiques habitaient à l’époque ces deux zones.

Au fil des époques, les dinosaures ont laissé d’autres traces de leur passage au Liban. «Des dents ont été retrouvées au sud. Elles dateraient de 130 millions d’années et auraient appartenu à des brachiosaures (famille des sauropodes), les plus grands animaux ayant existé sur Terre. D’autres ossements de sauropodes ont été trouvés du côté de Baskinta (Metn) et Meyrouba (Kesrouan). Ils dateraient de la même époque.

Malheureusement ce dernier gisement est passé sous une carrière», se désole M. Azar, avant d’annoncer, non sans un air mystérieux: «Nous allons très prochainement déclarer une nouvelle découverte.» Avant toute chose, les experts doivent encore en finir l’étude scientifique et s’assurer de la protection du site, afin d’éviter que le problème survenu à Ghosta ne se répète.
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