Arpentant la ville, du quartier de Mar Mikhaël, en passant par Gemmayzé pour arriver au Sporting Club, Fadia Ahmad suit son itinéraire quotidien à la redécouverte de ce Beyrouth qu’elle n’a jamais vraiment connu. Née à Alicante en Espagne où elle a passé toute son enfance, elle a été bercée par les histoires que sa mère lui racontait sur cette ville atypique et follement addictive qu’est Beyrouth. Lorsque Fadia Ahmad effectue enfin le voyage vers le Liban en 1991, elle ne reconnaît en rien, dans ce qu’elle voit, cette ville louée par sa mère jusqu’à la dévotion. Elle est bouleversée par les dégâts de la guerre civile et découvre un pays exsangue.
Les 10 452 pas que Fadia Ahmad entreprend d’effectuer symboliquement, couvrent l’étendue du territoire libanais. Les endroits qu’elle foule et dont elle capture des instantanés sont immortalisés dans son livre _Beyrouth, Beirut_, ainsi que lors d’une exposition de ses photographies en 2019. Une grande tournée internationale était alors prévue au programme, mais elle n’aura pas lieu à cause de la pandémie de la Covid-19 en mars 2020, suivie par la terrible double explosion du 4 août 2020.
Le 1er août 2020, Fadia se lève avec une angoisse aussi sourde qu’inexplicable. Elle ressent le besoin de quitter le Liban et de rentrer en Espagne, où elle avait d’ailleurs prévu de passer les vacances d’été en famille, comme chaque année. Les billets d’avion sont déjà achetés pour le 8 août. Quelque chose en elle la pousse à avancer la date de son départ. En dépit des propos rassurants de son mari, elle décide quand même de suivre son intuition et de prendre l’avion seule, avant la date initialement prévue.
La souffrance doublée de culpabilité, engendrée par l’explosion qui aura lieu deux jours plus tard à Beyrouth, alors qu’elle est déjà en Espagne, lui est insoutenable. Elle ne supporte pas l’idée d’avoir été épargnée, alors que sa ville a été détruite. Fadia sombre dans une lourde dépression et s’en prend à Dieu. Elle ne comprend pas pourquoi elle avait reçu ce « signe » du Ciel, alors que tant d’autres n’avaient pas eu cette « grâce ».
Ceci la pousse alors à monter un projet-hommage à cette ville tant aimée et à ce peuple meurtri. Elle interprète le message qui lui a été divulgué comme suit : si elle a été préservée, c’est pour accomplir une mission. Fadia rentre à Beyrouth et décide de se remettre à parcourir la ville, pour en faire un documentaire qu’elle exposerait aux regards du monde entier. Elle se doit de dire la vérité, non pas en tant qu’historienne, mais en tant qu’artiste.
C’est ainsi que le 4 septembre 2020, elle rechausse ses baskets et reprend les 10 452 pas qu’elle avait effectués auparavant, pour mettre en image le drame. Sa caméra en main et ses émotions à fleur de peau, elle capture les instants qui avaient suivi l’explosion.
Ayant déjà collecté beaucoup de photos d’archives avant l’explosion, elle peut désormais se permettre de documenter la tragédie, en exposant les images d’avant et d’après le 4 août. Ce qu’elle donne à voir est limpide. Elle met en valeur l’innommable souffrance d’un peuple en deuil et prend à témoin certains protagonistes que les médias avaient occultés. Les prises de vue sont authentiques. Elles exposent l’immense chaos qui avait prévalu après l’explosion. Les témoignages sont sincères, douloureux et invariablement entrecoupés de sanglots.
Fadia Ahmad donne la parole à ceux qui n’ont pas été entendus. Elle use de sa caméra pour offrir à chacun le peu de justice qu’elle peut offrir à travers son travail.
Elle marche, l’âme lourde, sur les débris, les décombres et la poussière. Elle avance, comme une automate dans un film d’horreur, malgré les larmes et le sang. Et pourtant, elle n’en montre pas une goutte. Elle s’abstient de filmer la chair humaine mutilée et en lambeaux. Elle laisse à chacun le supplice d’en imaginer les images.
Par ailleurs, Fadia met en valeur la force de solidarité de ce peuple libanais qui ne cesse de se relever envers et contre tout. Elle filme l’entraide, la chaleur humaine, la main qui se tend et le travail de reconstruction qui se fait à travers les organisations non gouvernementales.
Ce scénario écrit avec brio et sincérité est signé par la plume magistrale de Maya Nassar, qui élucide la force de la pensée de Fadia Ahmad, traduite en voix off tout le long du film. Fadia parle au spectateur et lui dit sa peine.
C’est un film dont on sort sans mots. Un film qui remue les couteaux dans les plaies encore béantes.
Fadia Ahmad filme la vérité. Et Dieu, ce que la vérité fait mal !
Les 10 452 pas que Fadia Ahmad entreprend d’effectuer symboliquement, couvrent l’étendue du territoire libanais. Les endroits qu’elle foule et dont elle capture des instantanés sont immortalisés dans son livre _Beyrouth, Beirut_, ainsi que lors d’une exposition de ses photographies en 2019. Une grande tournée internationale était alors prévue au programme, mais elle n’aura pas lieu à cause de la pandémie de la Covid-19 en mars 2020, suivie par la terrible double explosion du 4 août 2020.
Le 1er août 2020, Fadia se lève avec une angoisse aussi sourde qu’inexplicable. Elle ressent le besoin de quitter le Liban et de rentrer en Espagne, où elle avait d’ailleurs prévu de passer les vacances d’été en famille, comme chaque année. Les billets d’avion sont déjà achetés pour le 8 août. Quelque chose en elle la pousse à avancer la date de son départ. En dépit des propos rassurants de son mari, elle décide quand même de suivre son intuition et de prendre l’avion seule, avant la date initialement prévue.
La souffrance doublée de culpabilité, engendrée par l’explosion qui aura lieu deux jours plus tard à Beyrouth, alors qu’elle est déjà en Espagne, lui est insoutenable. Elle ne supporte pas l’idée d’avoir été épargnée, alors que sa ville a été détruite. Fadia sombre dans une lourde dépression et s’en prend à Dieu. Elle ne comprend pas pourquoi elle avait reçu ce « signe » du Ciel, alors que tant d’autres n’avaient pas eu cette « grâce ».
Ceci la pousse alors à monter un projet-hommage à cette ville tant aimée et à ce peuple meurtri. Elle interprète le message qui lui a été divulgué comme suit : si elle a été préservée, c’est pour accomplir une mission. Fadia rentre à Beyrouth et décide de se remettre à parcourir la ville, pour en faire un documentaire qu’elle exposerait aux regards du monde entier. Elle se doit de dire la vérité, non pas en tant qu’historienne, mais en tant qu’artiste.
C’est ainsi que le 4 septembre 2020, elle rechausse ses baskets et reprend les 10 452 pas qu’elle avait effectués auparavant, pour mettre en image le drame. Sa caméra en main et ses émotions à fleur de peau, elle capture les instants qui avaient suivi l’explosion.
Ayant déjà collecté beaucoup de photos d’archives avant l’explosion, elle peut désormais se permettre de documenter la tragédie, en exposant les images d’avant et d’après le 4 août. Ce qu’elle donne à voir est limpide. Elle met en valeur l’innommable souffrance d’un peuple en deuil et prend à témoin certains protagonistes que les médias avaient occultés. Les prises de vue sont authentiques. Elles exposent l’immense chaos qui avait prévalu après l’explosion. Les témoignages sont sincères, douloureux et invariablement entrecoupés de sanglots.
Fadia Ahmad donne la parole à ceux qui n’ont pas été entendus. Elle use de sa caméra pour offrir à chacun le peu de justice qu’elle peut offrir à travers son travail.
Elle marche, l’âme lourde, sur les débris, les décombres et la poussière. Elle avance, comme une automate dans un film d’horreur, malgré les larmes et le sang. Et pourtant, elle n’en montre pas une goutte. Elle s’abstient de filmer la chair humaine mutilée et en lambeaux. Elle laisse à chacun le supplice d’en imaginer les images.
Par ailleurs, Fadia met en valeur la force de solidarité de ce peuple libanais qui ne cesse de se relever envers et contre tout. Elle filme l’entraide, la chaleur humaine, la main qui se tend et le travail de reconstruction qui se fait à travers les organisations non gouvernementales.
Ce scénario écrit avec brio et sincérité est signé par la plume magistrale de Maya Nassar, qui élucide la force de la pensée de Fadia Ahmad, traduite en voix off tout le long du film. Fadia parle au spectateur et lui dit sa peine.
C’est un film dont on sort sans mots. Un film qui remue les couteaux dans les plaies encore béantes.
Fadia Ahmad filme la vérité. Et Dieu, ce que la vérité fait mal !
Lire aussi
Commentaires