En Serbie, la propagande russe prêche des convaincus
En Serbie, la propagande du Kremlin tourne à plein régime, créant un véritable culte de la personnalité autour du président Poutine qui dépasse celui dont jouit le président du pays, Aleksandar Vucic. Les médias russes ont d'excellents relais en Serbie, pays où la haine contre l'Occident est latente depuis les bombardements qu'a subis le pays en 1999 lors de la guerre du Kosovo. Selon une enquête d'opinion menée par l'ONG CRTA, 40% de la population aimerait que la Serbie abandonne sa candidature à l'Union européenne en faveur d'un rapprochement avec Moscou. 

Au bout de 12 ans, la propagande a finalement eu raison du mariage entre l'Ukrainienne Liubov Maric et son époux serbe. L'économiste de 44 ans reconnaît que son union était tumultueuse, mais après l'invasion de l'Ukraine par la Russie fin février, la situation a dégénéré à mesure que grandissait l'appétit de son mari pour le prosélytisme russe.

L'homme dont elle était tombée amoureuse était devenu méconnaissable, raconte-t-elle à l'AFP. À un moment, son mari, un Serbe originaire de Bosnie, a même interdit à leur fils de neuf ans d'écouter de la musique folklorique ukrainienne, qualifiée de "nazie". "J'avais espéré du soutien, de la compréhension, mais il a commencé à accuser tout le monde, sauf les Russes", poursuit-elle. Voici quelques jours, elle a fait ses bagages et est partie pour l'Ukraine avec leur enfant. Elle ne sait pas si elle reviendra un jour.

Le président serbe Aleksandar Vucic recevant la médaille de l'Ordre d'Alexandre Nevski de la part du président Poutine en janvier 2019. (AFP)

Loin de Moscou, la propagande du Kremlin a trouvé d'excellents relais en Serbie, où la haine contre l'Otan et les États-Unis est latente, héritage entre autres de la campagne de bombardement menée en 1999 pour mettre fin à la guerre du Kosovo. Parmi les sept millions de Serbes, beaucoup se rangent du côté de Moscou dans le conflit ukrainien.

Dans de nombreux pays d'Europe, les autorités ont sévi contre les médias russes, mais ils s'épanouissent en Serbie, où les médias serbes eux-mêmes répètent à l'envi les messages du Kremlin. "Je crois que la vérité se situe quelque part entre les deux mais personne n'en parle", déclare à l'AFP Dario Acimovic, graphiste de 27 ans. "Ils (l'Occident) ont coupé les tuyaux aux médias russes, alors ils n'entendent pas l'autre versant. Le résultat, c'est l'hystérie".
Un véritable culte de la personnalité

Sous la férule du président serbe Aleksandar Vucic, le contrôle du pouvoir sur les médias serbes s'est considérablement accru ces dernières années. Les rares voix indépendantes sont l'objet de pressions intenses.

Dans les semaines avant la guerre, Informer, le premier tabloïd serbe, a chanté à longueur d'articles les louanges du président russe Vladimir Poutine. "L'Ukraine a attaqué la Russie", titrait le journal en une deux jours avant l'invasion.

"Les médias serbes de propagande gouvernementale ont créé un culte de la personnalité autour de Poutine qui dépasse même celui qu'ils ont créé pour Vucic", juge Dinko Gruhonjic, professeur de journalisme à l'Université de Novi Sad. "Il bénéficie quasiment d'un statut de droit divin".

D'après une enquête d'opinion, Selon la dernière enquête d'opinion menée par l'ONG indépendante CRTA, les deux tiers des gens se sentent "plus proches" de la Russie et les trois quarts estiment que Moscou a été acculé à la guerre "à cause des visées expansionnistes de l'Otan". (AFP)


D'après la dernière enquête d'opinion menée par l'ONG indépendante CRTA, les deux tiers des gens se sentent "plus proches" de la Russie et les trois quarts estiment que Moscou a été acculé à la guerre "à cause des visées expansionnistes de l'Otan". Selon le même sondage, 40% de la population aimerait que la Serbie abandonne sa candidature à l'Union européenne et s'allie à la Russie.

"Les médias pro-gouvernementaux ont adopté une position clairement favorable à la Russie, sont neutres envers l'UE et négatifs envers l'Ukraine", souligne le chercheur Vujo Ilic, l'un des auteurs de l'enquête. "La Russie est l'alternative présentée aux électeurs pour prouver que la Serbie peut s'en sortir sans l'UE".
Des tendances anti-occidentales qui datent des guerres de Yougoslavie

Les deux pays à majorité orthodoxe et slave sont unis par des liens culturels et historiques et beaucoup se sentent proches du "grand frère" russe.

À Belgrade, les T-shirts à l'effigie de Vladimir Poutine se vendent comme des petits pains. La lettre Z, devenue le symbole de l'invasion russe, orne les murs de la capitale.

La propagande autour de Poutine surpasse même celle autour du président Vucic en Serbie, un rapprochement avec la Russie étant vue comme une alternative à l'adhésion à l'Union européenne. (AFP)

Les guerres qui ont consacré la désintégration sanglante de l'ex-Yougoslavie ont laissé des traces. "Je ne fais pas confiance aux médias occidentaux", dit à l'AFP Tihomir Vranjes, retraité de 73 ans. "Je me rappelle ce qu'ils racontaient sur les Serbes pendant la guerre. Ils nous présentaient comme des animaux. Et si ce n'était pas vrai à l'époque, ce n'est pas vrai aujourd'hui ce qu'ils racontent sur les Russes".

La couverture de la guerre par les médias serbes et la prévalence des médias russes ont suscité la colère de l'ambassadeur ukrainien à Belgrade, qui a estimé que "les citoyens serbes n’étaient pas correctement informés".

Mais se tenir au courant n'est pas forcément facile dans ce petit pays des Balkans. Pour Liubov Maric, qui a pourtant accès à des informations de première main sur les événements en Ukraine, il était parfois difficile de s'y retrouver parmi le déluge de désinformation en Serbie. "Leur propagande est si efficace qu'après cinq minutes de lecture, je commence à me remettre en question".

Avec AFP
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