La tragédie du 24 juin dernier qui a eu lieu à la frontière entre le Maroc et l'enclave espagnole de Melilla est venue rappeler au monde le problème des migrations clandestines entre le Sud et le Nord. Cette fois, le bilan humain, 37 morts selon les ONG, a suscité un tollé international. Les forces de sécurité, tant marocaines qu'espagnoles, ont été montrées du doigt. En effet, l'ampleur de la répression et autres abus envers les clandestins subsahariens, dont la majorité fuit les conflits et la misère, étaient largement responsables de ce massacre. Par ailleurs, cet incident majeur s'inscrit dans la dynamique des relations entre le royaume chérifien et l'UE.
À Nador, ville marocaine située à la frontière avec l’Espagne, une foule de 2.000 migrants africains déferle vers Melilla, armés de couteaux, bâtons et divers outils. L'enclave espagnole est considérée comme un avant-poste de la frontière européenne, avec sa barrière de douze kilomètres de long et sept mètres de hauteur qui la sépare du reste du continent africain.
Parmi ces migrants, près de 500 personnes réussissent à s’approcher de la clôture et tentent de l’escalader. Les témoignages divergent quant à la suite des évènements, les autorités, elles, se renvoient la balle. Pourtant, les faits sont là: bousculades, chutes du haut de la clôture, et attaques de la part des forces de l’ordre espagnoles et marocaines ont conduit à un véritable carnage. Les autorités marocaines ont fait état de 23 morts, alors que l’ONG espagnole Caminando Fronteras déplore 37 décès.
Les images des migrants, morts ou blessés, les mains attachées dans le dos et gisant à même le sol, ont fait le tour du monde et provoqué un véritable tollé international. Elles ont ravivé le malaise européen autour de la question migratoire, entre indignation officielle et appels à renforcer les contrôles aux frontières.
Ce n’est pas la première fois que Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles en terre marocaine, sont le théâtre de telles tragédies, mais cette fois-ci, la violence inédite de l’assaut marque un véritable tournant. Depuis 2019, la route migratoire marocaine a détrôné la Libye comme première porte d’entrée vers l’Europe: selon le ministère de l’Intérieur marocain, 63.121 migrants auraient été arrêtés et 256 réseaux criminels de passeurs démantelés en 2021.
La ville de Melilla est la frontière la plus fortifiée de l'Europe, avec sa barrière de 12 km de long et sept mètres de hauteur. (AFP)
Pour le gouvernement espagnol, la responsabilité de la tragédie du 24 juin incombe aux « mafias » de passeurs, qui ont orchestré cet évènement et armé les migrants pour mener un assaut à la frontière. Une position partagée par le Maroc, qui a choisi la voie de la répression envers les migrants.
Soixante-cinq migrants ayant participé à la tentative sont poursuivis par la justice marocaine, dont trente-six pour «entrée illégale sur le sol marocain», «violence contre agents de la force publique» et «attroupement armé», les autres étant accusés de «participation à une bande criminelle en vue de faciliter l’immigration clandestine à l’étranger».
Des chefs d’inculpation que l’Association marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) rejette, considérant que ces migrants doivent être considérés comme des réfugiés, car originaires d’une zone de conflit. L’ONG a rassemblé des preuves incriminant le Maroc et l'Espagne. Des témoignages et des images diffusées par les survivants ont prouvé que les migrants ont dû faire face à des forces de sécurité marocaines munies de matraques, gaz lacrymogènes et tirant des balles en caoutchouc.
Côté espagnol, la société civile a dénoncé le «refoulement sommaire» de cinq cents migrants qui avaient réussi à franchir la clôture, une procédure illégale vis-à-vis du droit européen et international.
Par ailleurs, les autorités marocaines sont soupçonnées d'avoir dissimulé les preuves et d'empêcher une enquête indépendante. Le pays a pour l’heure simplement établi une «mission d’information», alors qu'on enterre à la hâte les corps des migrants.
Une vingtaine de tombes ont ainsi été identifiées par Human Rights Watch, à Nador, comme appartenant à des migrants décédés. L’ONG a appelé les autorités marocaines à «préserver les corps de manière digne et appropriée, pour permettre d’effectuer des autopsies et vérifier les causes des décès». Réponse des autorités: l’hôpital n’a pas suffisamment de place pour conserver les corps dans les frigos.
Des milliers de manifestants se sont mobilisés en Espagne suite au drame de Melilla, protestant contre "le racisme contre les migrants" et "la militarisation des frontières". (AFP)
Ces violations manifestes des droits de l’Homme se heurtent à l’impuissance de la communauté internationale. Celle-ci s’est empressée de condamner l’évènement, à l’image de l’Union Africaine, qui a dénoncé «la violence envers les migrants africains et le comportement dégradant à leur encontre» et réclamé une enquête.
La commission des Affaires étrangères et celle des Droits de l'Homme de l'UE ont présenté deux rapports visant à condamner les agissements du Maroc. Un projet de résolution allant dans ce sens a été également déposé par un groupe d’eurodéputés des Verts et de la Gauche unitaire européenne.
Ces initiatives ont rencontré l’opposition farouche de la puissante Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne. Celle-ci a fait échouer cette démarche en conduisant les responsables européens à condamner l’action des mafias qui ont «armé les migrants».
Quant aux Nations-Unies, le Conseil de sécurité a tenu une réunion à huis-clos mercredi dernier à l’initiative du Kenya, du Ghana et du Gabon. En vain, car le texte proposé, qui dénonçait les souffrances des migrants africains et demandait au Maroc et à l’Espagne une enquête rapide et indépendante, n’a pas obtenu la majorité des voix.
Finalement, c'est le Bureau des droits de l’Homme de l’ONU et des experts indépendants onusiens qui ont pu émettre une condamnation qui dénonce le recours excessif à la force «des deux côtés de la frontière». Le texte exhorte également à établir une enquête efficace et indépendante. Des appels restés lettres mortes jusqu’à présent.
Des dizaines de Marocains ont exprimé leur indignation devant le Parlement à Rabat, condamnant la coopération migratoire hispano-marocaine et notamment le rôle de "gendarme des frontières européennes" que joue le Maroc, selon eux. (AFP)
L’embarras de Madrid suite à la tragédie est palpable: le Premier ministre Pedro Sanchez, tout en «reconnaissant l’effort déployé par le Maroc pour défendre des frontières qui ne sont pas les siennes», a renvoyé la balle au gouvernement marocain quant aux violations des droits de l’Homme commises le 24 juin dernier.
Selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras, l’origine du drame réside dans «la reprise de la coopération sécuritaire dans le domaine de la migration entre le Maroc et l’Espagne». Suite aux accords d’avril 2022 dans lesquels les deux pays se sont engagés à renforcer leur lutte contre l'immigration clandestine, la répression des migrants par Rabat s’est accrue: démantèlements de camps à Nador, ratonnades, arrestations et difficultés d’accès aux soins constituent le quotidien pour ces personnes.
Selon l’AMDH, le Maroc joue le rôle «d’exécutant dans le cadre des politiques européennes d’externalisation des frontières», en échange d’un appui politique sur la question du Sahara occidental et autres aides financières. Ainsi, Bruxelles a versé au Maroc près de 270 millions de dollars depuis 2007 pour financer la politique migratoire européenne.
Rabat dispose d’un véritable instrument de chantage politique, qu’il n’a pas hésité à mobiliser par le passé. Après l'accueil par l'Espagne du leader du Front Polisario, Brahim Ghali, en 2021 pour le soigner de la Covid-19, le Maroc a suspendu sa coopération migratoire et laissé 8000 migrants franchir la frontière à Ceuta. Au contraire, les relations bilatérales sont actuellement marquées par un apaisement diplomatique, l’Espagne ayant donné son feu vert au plan marocain d’autonomie du Sahara occidental. Le royaume chérifien a donc les coudées franches pour exercer sa répression sur les migrants.
À Melilla, des milliers de personnes se sont réunies pour dénoncer "les politiques migratoires qui sont à l'origine de la brutalité policière et la militarisation des frontières". À Rabat, plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés devant le Parlement pour que l’État «cesse de jouer le rôle de gendarme de l’Union européenne», et qu'il procède à la restitution des corps des victimes à leurs familles.
À Nador, ville marocaine située à la frontière avec l’Espagne, une foule de 2.000 migrants africains déferle vers Melilla, armés de couteaux, bâtons et divers outils. L'enclave espagnole est considérée comme un avant-poste de la frontière européenne, avec sa barrière de douze kilomètres de long et sept mètres de hauteur qui la sépare du reste du continent africain.
Parmi ces migrants, près de 500 personnes réussissent à s’approcher de la clôture et tentent de l’escalader. Les témoignages divergent quant à la suite des évènements, les autorités, elles, se renvoient la balle. Pourtant, les faits sont là: bousculades, chutes du haut de la clôture, et attaques de la part des forces de l’ordre espagnoles et marocaines ont conduit à un véritable carnage. Les autorités marocaines ont fait état de 23 morts, alors que l’ONG espagnole Caminando Fronteras déplore 37 décès.
Les images des migrants, morts ou blessés, les mains attachées dans le dos et gisant à même le sol, ont fait le tour du monde et provoqué un véritable tollé international. Elles ont ravivé le malaise européen autour de la question migratoire, entre indignation officielle et appels à renforcer les contrôles aux frontières.
Ce n’est pas la première fois que Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles en terre marocaine, sont le théâtre de telles tragédies, mais cette fois-ci, la violence inédite de l’assaut marque un véritable tournant. Depuis 2019, la route migratoire marocaine a détrôné la Libye comme première porte d’entrée vers l’Europe: selon le ministère de l’Intérieur marocain, 63.121 migrants auraient été arrêtés et 256 réseaux criminels de passeurs démantelés en 2021.
Un véritable charnier à la frontière
La ville de Melilla est la frontière la plus fortifiée de l'Europe, avec sa barrière de 12 km de long et sept mètres de hauteur. (AFP)
Pour le gouvernement espagnol, la responsabilité de la tragédie du 24 juin incombe aux « mafias » de passeurs, qui ont orchestré cet évènement et armé les migrants pour mener un assaut à la frontière. Une position partagée par le Maroc, qui a choisi la voie de la répression envers les migrants.
Soixante-cinq migrants ayant participé à la tentative sont poursuivis par la justice marocaine, dont trente-six pour «entrée illégale sur le sol marocain», «violence contre agents de la force publique» et «attroupement armé», les autres étant accusés de «participation à une bande criminelle en vue de faciliter l’immigration clandestine à l’étranger».
Des chefs d’inculpation que l’Association marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) rejette, considérant que ces migrants doivent être considérés comme des réfugiés, car originaires d’une zone de conflit. L’ONG a rassemblé des preuves incriminant le Maroc et l'Espagne. Des témoignages et des images diffusées par les survivants ont prouvé que les migrants ont dû faire face à des forces de sécurité marocaines munies de matraques, gaz lacrymogènes et tirant des balles en caoutchouc.
Côté espagnol, la société civile a dénoncé le «refoulement sommaire» de cinq cents migrants qui avaient réussi à franchir la clôture, une procédure illégale vis-à-vis du droit européen et international.
Par ailleurs, les autorités marocaines sont soupçonnées d'avoir dissimulé les preuves et d'empêcher une enquête indépendante. Le pays a pour l’heure simplement établi une «mission d’information», alors qu'on enterre à la hâte les corps des migrants.
Une vingtaine de tombes ont ainsi été identifiées par Human Rights Watch, à Nador, comme appartenant à des migrants décédés. L’ONG a appelé les autorités marocaines à «préserver les corps de manière digne et appropriée, pour permettre d’effectuer des autopsies et vérifier les causes des décès». Réponse des autorités: l’hôpital n’a pas suffisamment de place pour conserver les corps dans les frigos.
La communauté internationale, indignée mais impuissante
Des milliers de manifestants se sont mobilisés en Espagne suite au drame de Melilla, protestant contre "le racisme contre les migrants" et "la militarisation des frontières". (AFP)
Ces violations manifestes des droits de l’Homme se heurtent à l’impuissance de la communauté internationale. Celle-ci s’est empressée de condamner l’évènement, à l’image de l’Union Africaine, qui a dénoncé «la violence envers les migrants africains et le comportement dégradant à leur encontre» et réclamé une enquête.
La commission des Affaires étrangères et celle des Droits de l'Homme de l'UE ont présenté deux rapports visant à condamner les agissements du Maroc. Un projet de résolution allant dans ce sens a été également déposé par un groupe d’eurodéputés des Verts et de la Gauche unitaire européenne.
Ces initiatives ont rencontré l’opposition farouche de la puissante Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne. Celle-ci a fait échouer cette démarche en conduisant les responsables européens à condamner l’action des mafias qui ont «armé les migrants».
Quant aux Nations-Unies, le Conseil de sécurité a tenu une réunion à huis-clos mercredi dernier à l’initiative du Kenya, du Ghana et du Gabon. En vain, car le texte proposé, qui dénonçait les souffrances des migrants africains et demandait au Maroc et à l’Espagne une enquête rapide et indépendante, n’a pas obtenu la majorité des voix.
Finalement, c'est le Bureau des droits de l’Homme de l’ONU et des experts indépendants onusiens qui ont pu émettre une condamnation qui dénonce le recours excessif à la force «des deux côtés de la frontière». Le texte exhorte également à établir une enquête efficace et indépendante. Des appels restés lettres mortes jusqu’à présent.
Derrière la tragédie, la coopération sécuritaire hispano-marocaine
Des dizaines de Marocains ont exprimé leur indignation devant le Parlement à Rabat, condamnant la coopération migratoire hispano-marocaine et notamment le rôle de "gendarme des frontières européennes" que joue le Maroc, selon eux. (AFP)
L’embarras de Madrid suite à la tragédie est palpable: le Premier ministre Pedro Sanchez, tout en «reconnaissant l’effort déployé par le Maroc pour défendre des frontières qui ne sont pas les siennes», a renvoyé la balle au gouvernement marocain quant aux violations des droits de l’Homme commises le 24 juin dernier.
Selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras, l’origine du drame réside dans «la reprise de la coopération sécuritaire dans le domaine de la migration entre le Maroc et l’Espagne». Suite aux accords d’avril 2022 dans lesquels les deux pays se sont engagés à renforcer leur lutte contre l'immigration clandestine, la répression des migrants par Rabat s’est accrue: démantèlements de camps à Nador, ratonnades, arrestations et difficultés d’accès aux soins constituent le quotidien pour ces personnes.
Selon l’AMDH, le Maroc joue le rôle «d’exécutant dans le cadre des politiques européennes d’externalisation des frontières», en échange d’un appui politique sur la question du Sahara occidental et autres aides financières. Ainsi, Bruxelles a versé au Maroc près de 270 millions de dollars depuis 2007 pour financer la politique migratoire européenne.
Rabat dispose d’un véritable instrument de chantage politique, qu’il n’a pas hésité à mobiliser par le passé. Après l'accueil par l'Espagne du leader du Front Polisario, Brahim Ghali, en 2021 pour le soigner de la Covid-19, le Maroc a suspendu sa coopération migratoire et laissé 8000 migrants franchir la frontière à Ceuta. Au contraire, les relations bilatérales sont actuellement marquées par un apaisement diplomatique, l’Espagne ayant donné son feu vert au plan marocain d’autonomie du Sahara occidental. Le royaume chérifien a donc les coudées franches pour exercer sa répression sur les migrants.
À Melilla, des milliers de personnes se sont réunies pour dénoncer "les politiques migratoires qui sont à l'origine de la brutalité policière et la militarisation des frontières". À Rabat, plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés devant le Parlement pour que l’État «cesse de jouer le rôle de gendarme de l’Union européenne», et qu'il procède à la restitution des corps des victimes à leurs familles.
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